Version bêta. Lecteur-lectrice bêta : je ne m’attarderai pas à cette drôle d’utilisation du mot « bêta » qui, utilisé seul, comme nom ou adjectif, signifie « un peu bête » alors que collé sur « version » ou « lecteur » se change en réviseur, testeur, donc qui demande une certaine intelligence.
Toujours est-il que pour mon futur roman Les têtes dures (soyons confiante que le titre tienne jusqu’à la parution), j’ai fait appel à une nouvelle lectrice bêta. Elle achève de lire le manuscrit. Déjà, à vingt pages de la fin, je l’ai entendu me dire : J’en veux encore. Triste, ça achève. On sent que tu précipites la fin. On dirait que tu veux en finir.
Et tutti quanti.J’ai déjà entendu un éditeur me passer les mêmes remarques.Mais bien sûr que je veux en finir.
Les premières fois, je paniquais un peu. Je le prenais comme un reproche. Comme une correction à apporter, comme une amélioration à prévoir. Si trois personnes notaient les mêmes observations, je me disais qu’elles devaient avoir raison. Je me creusais la tête : comment allonger, quoi ajouter? Et pourquoi imaginer d’autres intrigues, je les ai toutes résolues. Quant à aligner des mots pour la seule satisfaction de l'insatiable appétit des lecteurs...
En tant que lectrice, il m’arrive moi aussi d’en vouloir encore, de trouver que c’est précipité. Je sais maintenant que l’auteur a fait le tour, a bouclé la boucle. Comme un bon repas, il ne faut pas s’empiffrer, il faut se laisser un temps de digestion et qu’il nous reste cette impression d’en vouloir encore. Le repas n’en est que meilleur dans notre souvenir. Rester sur son appétit n’est pas nécessairement mauvais. D’autant que mes romans ne sont pas des policiers, je n’ai pas de meurtriers à livrer. Que des intrigues à clore. C’est fait.
En tant qu’auteure, maintenant, je me dis bravo tu as réussi : ils en veulent encore, ils voudraient que ça ne finisse pas. Ils continueront l’histoire dans leur tête. Ainsi, leur plaisir de lecture perdurera quelques jours. Pour les deux tomes précédents, je pouvais toujours donner l’excuse qu’il y aurait une suite. Pas cette fois.
Reste à savoir si aux prochains commentaires de bêta-lecteur ou d’éditeur, je saurai m’affirmer.
Je me rappelle l’admiration vouée à Simone de Beauvoir à la question de l’éditeur « pouvez-vous le réécrire »? Elle a tenu le coup, elle a répondu « Non » et l’éditeur a publié tel quel. C’était L’invitée, son premier roman publié. Quelle hardiesse!
Si l’éditeur me demande de rallonger la fin, d’ajouter quelques scènes, saurais-je dire : non. Ou au moins : « si vous trouvez que c’est précipité, c’est que, selon moi, c’est réussi ».
Je ne suis pas Simone de Beauvoir. En revanche, ce n’est pas mon premier roman. Mon dernier plutôt.