Un jour enfin qu’il cherche et rôde autour des murs, Guillaume aperçoit une poterne ''abandonnée'' close par une forte porte de bois, fermée à clé... , à travers laquelle il est possible de se parler, mieux peut-être, un jour de se voir, de se toucher … Il s'agit, vous savez de cette poterne par laquelle nous sommes entrés en cette ballade …
Il trouve moyen de le faire savoir à Ermengarde, et ne manquent pas d’en profiter. Pour lui il peut venir en sûreté au lieu du rendez-vous par de petits sentiers détournés, à travers la forêt, que lui seul connaît. Ce dédommagement léger fait d’abord le bonheur des deux amants : ils en jouissent pendant quelque temps avec transport ; mais quoi ! se parler sans se voir, s’aimer tendrement et ne pouvoir se le prouver ! pas un baiser ! toujours craindre d’être découverts et d’être séparés pour toujours ! Guillaume ne peut tenir à une pareille situation.
Et Guillaume revient de force au défi que son ami Bertran, lui a soufflé... Un défi qui ne le détournera point de sa passion pour Ermengarde, mais qui lui commande de tourner ses ardeurs vers la dame de Hauterive, gagner son cœur pour qu'elle devienne auprès du seigneur de Lasnours son ambassadrice...
Alors que Guillaume et Bertran, échangent sur le plan de cette bataille... Le troubadour commence à divertir son ami, avec l’idée même du cocuage, souvent raillé et même fêté à cette époque... Le cocu a de nombreux amis : ceux de sa femme sont aussi les siens. Ils ont même leur Saint-patron : Saint Gengoul assassiné en 760 par un clerc, amant de sa femme (fêté le 11 mai).
Tout homme possède un devenir-cocu en raison du mariage, il s’ensuit que chacun, avant de se marier, a joué le rôle de cocueur. Parfois même, le cocuage est considéré comme unes sorte de ''partage des femmes'', partage qu'affectionne les ''compagnons'' et renforcent le lien d'amitié...
Rabelais écrit les bienfaits du cocuage dans LE TIERS LIVRE, et conseille le mari cocu : n'y fait rien : « Si tu es cocu, ergo ta femme sera belle, ergo seras bien traité d'elle, ergo tu auras des amis beaucoup, ergo tu seras sauvé.... »
Les deux amis rient beaucoup, et Guillaume s'habitue à l'idée même de s'engager à séduire la jeune et belle Emma, épouse du seigneur Guy de Hauterive.
Bertran le supplie d'écouter encore, cette histoire qui court avec succès, dans les châteaux :
* La belle épouse du seigneur, brûle de donner à son nouvel amant une forte preuve de son amour. Elle cherche un défi, imagine et trouve le moyen de satisfaire sa passion en présence de son mari. Elle feint pour cet effet d’être indisposée. Sa femme de chambre a instruit Pirrus son amant, du personnage qu’il doit jouer.
Pirrus va voir madame à l’heure de l’après-dîner, en son logis, où le mari est auprès d’elle. À peine y est-il arrivé, qu’elle témoigne une grande envie de prendre l’air du jardin, et les prie tous deux de vouloir l’y conduire.
Son mari la prend d’un côté, Pirrus de l’autre, et ils la mènent ainsi au pied d’un beau poirier, où ils s’assoient tous trois sur un tapis de verdure. Quelques moments après, il prend fantaisie à la belle de manger des poires. Elle prie Pirrus de monter sur l’arbre pour lui en cueillir des plus mûres. Le galant obéit, et n’est pas plutôt monté sur le poirier que, feignant de voir le seigneur caresser sa femme, il s’écrie :
« Eh ! quoi, monsieur, en ma présence ? mais vous n’y pensez pas ; et vous, madame, n’avez-vous point de honte de vous prêter à un pareil jeu ? Mais, finissez donc ; ce sont des choses qu’on ne doit pas faire devant témoins : les nuits ne sont-elles pas assez longues ? Faut-il venir au jardin pour une semblable besogne ? N’avez-vous pas assez de chambres, assez de lits plus commodes ?
- Que veut-il dire, dit la femme à son mari ? a-t-il perdu l’esprit ?
- Non, madame, je ne suis point fou, je vois fort bien ce que je vois.
- Tu rêves assurément, lui dit le mari, qui rit de son idée.
- Je ne rêve point du tout, monsieur, et il me paraît que vous ne rêvez pas non plus. Mais si vous n’avez point d’égards pour moi, vous devriez au moins en avoir pour vous-même et vous éloigner un peu plus, si tant est que vous désiriez vaquer à un tel exercice. Peste ! comme vous vous remuez ! je ne vous aurais jamais soupçonné une si grande vivacité. Si j’agitais aussi fort le poirier, je doute qu’il y restât une seule poire.
- Que peut donc être ceci ? dit alors la dame ; serait-il possible qu’il lui parait que nous faisons ce qu’il dit ?
- En vérité, je monterais bien sur l’arbre, pour voir ce qu’il croit voir lui-même.
- Soyez sûre, madame, ajouta Pirrus, que je n’ai point la berlue, et que ce que je vois n’est point une illusion.
- Eh bien ! descends, dit le mari, descends, te dis-je, et tu verras ce qu’il en est.
- J’avoue, dit Pirrus, quand il est descendu, que vous ne vous caressez point à présent ; mais il n’est pas moins vrai que vous le faisiez tout à l’heure, et que je vous ai vu, comme je descendais, vous séparer de madame, et vous mettre à l’endroit ou vous êtes maintenant assis.
- Mais tu rêves, mon pauvre ami, dit le mari de la belle: depuis que tu es monté sur le poirier, je n’ai pas bougé du lieu où je suis.
- Si cela est, reprit Pirrus, il faut que ce poirier soit enchanté ; car je vous jure que j’ai vu, mais bien vu, ce que je viens de vous dire. »
Le seigneur du logis, étonné de plus en plus, et persuadé de la vérité du récit de son jeune compagnon par l’air sérieux dont il l’a accompagné, veut voir par lui-même si le poirier est réellement enchanté et l’effet que cet enchantement produit à son égard.
- « Je vais y monter, » dit-il. Il y monte en effet, mais à peine est-il sur les branches, que Pirrus et la dame commencèrent leur jeu.
- « Que faites-vous donc, madame ! et toi, Pirrus, est-ce ainsi que tu respectes ton seigneur ? »
Les amants ont beau lui répondre qu’ils sont assis, il se hâte de descendre, en les voyant ainsi se trémousser ; mais il ne descend pas si vite, et ils ont le temps d’achever à peu près la besogne et de reprendre leur place.
- « Quoi ! madame, me faire cet affront à mes yeux ! et toi, maraud…
- Oh ! pour le coup, dit Pirrus en l’interrompant, j’avoue que vous avez été sages l’un et l’autre pendant que j’étais sur le poirier, et que ce que je croyais voir n’était qu’un enchantement. Ce qui achève de me le persuader, c’est que monsieur croit voir lui-même ce qui n’est pas.
- Tu as beau vouloir t’excuser, reprend le mari, ce que j’ai vu ne saurait être l’effet d’un enchantement.
- Vous êtes, en vérité, aussi fou que Pirrus, dit la dame : si je vous croyais capable d’avoir réellement de pareilles idées sur mon compte, je me fâcherais tout de bon.
- Quoi ! monsieur, dit Pirrus, vous feriez cet outrage à madame, qui est l’honnêteté, la vertu même ! Quand à moi, je ne chercherai point à m’excuser : Dieu m’est témoin que je souffrirais plutôt mille morts avant qu’une pareille chose m’entrât jamais dans l’esprit, à plus forte raison avant de l’exécuter en votre présence. Je vois à présent clair comme le jour que la faute en est au poirier. Il a fallu que vous y soyez monté vous-même, et que vous ayez cru voir ce qui vous met de si mauvaise humeur, pour me faire revenir sur votre compte et sur celui de madame. J’aurais juré vous avoir vus l’un et l’autre dans la posture la plus indécente.
- Est-il possible, dit ensuite la dame en se levant et faisant un peu la fâchée, pour mieux dissuader son bonhomme de mari ; est-il bien possible que, me connaissant depuis si longtemps, vous ayez pu me croire capable de m’oublier à ce point ? Me jugez-vous donc assez dépourvue de raison pour oser vous faire cocu en votre présence ? Soyez persuadé que, si j’en avais la moindre envie, les occasions ne me manqueraient pas, sans que vous en sussiez jamais rien. »
Nicostrate se rend à ces raisons. Il ne peut effectivement se persuader que sa femme et ce chevalier aient osé se porter à un tel excès d’insolence. Il leur fait des excuses, et se met ensuite à discourir de la singularité de l’aventure et des effets de la vue qui ne sont pas les mêmes quand on se trouve sur le poirier. Mais la dame, qui feint toujours d’être fâchée de la mauvaise opinion que son mari a eue de sa fidélité :
- « Puisque ce maudit poirier, dit-elle, fait voir de si vilaines choses, je ne veux pas qu’il me nuise davantage, ni à aucune autre femme. »
Puis, s’adressant à Pirrus : - « Allez chercher une cognée et jetez-le à bas pour le brûler ; quoiqu’il serait beaucoup mieux d’en donner sur la tête de mon mari, pour lui apprendre à mieux penser de la fidélité de sa femme et de la votre. Oui, monsieur, continue-t-elle, vous mériteriez d’être châtié pour l’injustice que vous m’avez faite. Je ne reviens point de votre aveuglement. Quand il s’agit de mal penser de votre femme, vous ne devez pas en croire vos yeux. »
Pirrus, ayant pris une hache, abattit incontinent le poirier. Alors la belle, se tournant vers son mari: « Puisque je vois à terre, lui dit-elle, l’ennemi de ma vertu, je perds toute espèce de ressentiment. Je vous pardonne, ajouta-t-elle avec douceur, et vous recommande, sur toutes choses, d’avoir désormais une meilleure opinion de votre femme, qui vous aime mille fois plus que vous ne méritez. » Le mari s’estime trop heureux de ce que sa femme veuille bien oublier l’outrage qu’il lui a fait. Il fait des excuses à Pirrus d’avoir soupçonné sa bonne foi ; et tous les trois satisfaits, ils rentrent dans le château.
C’est ainsi que ce bon mari est maltraité, trahi et plaisanté par sa femme. A présent, elle vit familièrement avec Pirrus, qui lui fait souvent goûter les plaisirs de l’amour avec plus d’agrément et de liberté qu’ils n’en ont certainement eu sous le poirier.
Guillaume applaudit, et les deux amis jugent ridicule et mérité la situation du mari cocu... Le jeune chevalier se dit que la chose se présentera peut-être moins facilement ...
Histoire tirée du Fabliau ''Le Poirier enchanté ''.
A suivre ...