Gallimard, Collection Blanche,lien 240 pages, août 2016, 19 euros
lu pour l'opération Masse Critique de (on reçoit un livre, on donne son avis sur le livre, on le partage)
Forcément on pense dès la couverture à un double sens dans le titre, malgré la citation du fabuliste en épigraphe (" [...] Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste [...] "). D'ailleurs on comprend vite que les amoureux ont une tendance un peu ridicule à l'emballement tous azimuts et qu'ils n'éviteront pas erreurs et déceptions. Mais ils possèdent une capacité de revirement d'opinion étonnante qui leur évite, au moins au début, l'amertume et les regrets.
J'avoue que pendant une cinquantaine de pages, j'ai attendu en vain l'irruption d'un drame, d'une trahison, avant de me faire petit à petit une idée complètement différente de la probable intention de l'auteur, et de me laisser aller à goûter l'ironie moqueuse du catalogue des engouements et atermoiements successifs du jeune couple. L'intérêt de ce roman n'est pas à chercher dans une histoire palpitante, mais plutôt dans sa construction, sa présentation et son écriture, qui en font une véritable autopsie générationnelle. Un peu comme une actualisation des Choses de Perec (d'ailleurs cité assez vite dans le texte).
Onze chapitres, un par année pour couvrir la décennie 2005-2015. On glisse de l'un à l'autre avec l'illustration à chaque fois, par un épisode significatif, des grands thèmes de discussion et d'intérêt au sein d'un couple. On passe de l'équipement et décoration d'appartement, à l'élaboration des menus, le choix des loisirs, la fondation (ou non) d'une famille, l'évolution de la relation amoureuse avec le temps, etc. Comme l'on fait avant eux les copistes de Flaubert, on voit Dorothée et Théodore se passionner pour la littérature, la culture, le sport, la politique ; faire des choix qu'ils s'imaginent être personnels et qui au final engendrent chaque fois mécomptes et désillusions, et les poussent dans une nouvelle direction. Cette accumulation de situations porte en elle sa vis comica, mais elle est encore multipliée par l'humour élégant de l'écrivain, son style impeccable, son souci de la description détaillée, et la pertinence de ses analyses psychologiques.
J'aurais conclu sur une petite réserve due au manque d'empathie suscitée par des héros bécassons, si il n'y avait eu, in extremis (dans le dernier chapitre), deux épisodes concomitants qui nous les font, sinon admirer, du moins plaindre avec sympathie. Cette fois encore, l'une et l'autre se font pigeonner, mais leurs réactions laissent espérer en une lucidité peut-être enfin trouvée. Sauf si cette fois, c'est moi, lectrice, qui suis le pigeon de l'histoire !