Quand EBuzzing M'Offre Mc Culloch.
Publié le 19 juin 2008 par Mélina Loupia
Hier c'était l'hiver, et ce matin, c'était l'été.
Quand nos parents disaient que le temps passe décidément trop vite, ils avaient fichtrement raison.
Et d'ailleurs, les parents ont toujours raison, une des raisons pour lesquelles je me lève tous les matins de si bonne humeur depuis que je suis parent.
Justement, ce matin, je me lève dans la ferme intention de faire les courses alimentaires les plus rapides du monde.
"Arnaud, cet après-midi, je vais faire les courses, tu viens avec moi?
-Faut t'aider?
-C'est pour t'acheter des baskets.
-Oui, alors ça veut dire qu'il faut que je t'aide."
C'est donc avec Nicolas, fermement décidé à m'aider, lui, que je lance Cariolette sur le bitume fraîchement déposé et déjà fondant sur la départementale.
Mais avant de partir, entre autres petite liste des uns et des autres, celle de Copilote donne une autre tournure à celle que j'avais donné à mon expédition alimentaire.
"Prends la batterie de la tondeuse pour pas te planter quand tu vas en acheter une neuve et aussi la lame de la débroussailleuse que mon père m'a prêté. Quand je l'ai essayée ce matin, j'y serais
allé au couteau à beurre que ça aurait été plus efficace.
-Maman, pense à mes mouchoirs, j'en ai un peu marre de me moucher avec du SOPALIN et mon nez, c'est plus un nez, c'est un échec cuisant.
-Et moi mes baskets, tiens, j'ai tracé mon pied sur du papier.
-Ah oui et des petites piles aussi, tiens, je t'en donne une.
-C'est ça, dites tout de suite que primo j'oublie de vous rapporter ce que vous me demandez, deuzio que je sais pas à quoi ressemble une pile ni une paire de baskets en trente-trois.
-On dit pas ça, mais reconnais que pour la lame et la batterie hein...
-Oh ça va, une petite batterie, une lame de débroussailleuse, ça doit forcément être standard, quant aux piles, si par le plus saugrenu des hasards, il s'avère qu'un moment d'égarement s'empare de
moi, celles que je prendrai par mégarde ira fatalement dans une des huit télécommandes de la baraque alors s'il vous plaît. Et pour le papier cul, vous avez une préférence, vous voulez me donner un
échantillon usagé?"
Sur quoi, un peu piquée au vif, je me casse en première.
Persuadée de trouver mon bonheur aussi rapidement que celui que rencontre fréquemment papa lapin dans maman lapine, j'effectue mon premier créneau remarquable devant le magasin de batteries.
J'ai mis plus de temps à m'extirper de la place de parking que d'acheter la dite batterie qui ne devait pas être mise en route avant une bonne heure et pencher pendant le trajet.
Je sens bien qu'aujourd'hui, tout le monde se met de concert pour me prendre pour une tanche, mais j'ai Nicolas avec moi, donc rien ne peut m'atteindre.
Pleine d'entrain, je trace jusqu'à la première enseigne qui renfermait la lame de la débroussailleuse de la belle-famille.
"Ahhh, mais non mais non ma petite dame, c'est qu'on en fait plus des comme ça, il faut des huit dents maintenant, mais bon, j'ai pas le bon diamètre alors je vous la commande? Je vous appelle
vendredi?
-Faites, mais en attendant, personne ne peut m'affûter celle-là?
-Ahhhh, mais non mais non ma petite dame, c'est qu'on le fait pas ici, ça."
Petit bémol, mais je ne m'avoue pas vaincue et je décide de faire part de ma petite déconvenue à Copilote, qui met douze sonneries pour me répondre après que les huit premières aient sonné chez
quelqu'un que je ne connais pas et que j'ai commis l'erreur de frappe d'appeler avant lui.
"Je trouvais pas le téléphone, il était au cellier, pense à la litière des chats, ça poque dedans, et il doit faire quatre-vingt degrés.
-Attends un peu et tu seras à point. Bon, pas de cul Lulu, la lame, elle est en commande et ce sera pas la même.
-Tu peux pas aller en face?
-Bah non, là, l'est déjà quinze heures et j'ai rien foutu encore. Tant pis, tu débroussailleras vendredi soir."
Je décide de feindre l'existence du panneau aussi grand que le département qui me fait face lorsque je démarre et qui m'incite à pénétrer l'enseigne qu'il vante, et je cède à la tentation quand
Nicolas me dit que tout de même, faudrait qu'on tente le tout pour le tout avant de nous avouer vaincu.
Je l'aime et je le déteste dans la même seconde et j'obéis à sa sagesse, après quatre manoeuvres peu orthodoxes en plein travers de la route.
Avant de me faire dire que la maison ne faisait pas ce genre de matériel au détail et qu'il fallait que j'aille dans un magasin qui faisait ce genre de matériel au détail, je craque pour deux
suspensions et une belle plante verte dont j'ai oublié le nom latin, je lâche la note et je m'arrache, avec mon petit porteur.
Nous installons tant bien que mal l'Amazonie en pot dans Troicencette, en prenant soin de ne pas réveiller la batterie et filons droit vers la banque où mon carnet de chèque épuisé rêvait de se
faire remplacer.
"Ah bin alors ça, si on m'avait dit que je n'aurai pas votre chéquier, je l'aurais pas cru.
-Je viens de faire trois créneaux pour réussir à me garer à cinq cents mètres d'ici et vous me donnez pas mon chéquier?
-Mais rassurez-vous, je vous l'envoie chez vous, vous l'aurez lundi.
-Vous pouvez faire ça? Mais c'est super bien!
-Mais on fait tout bien ici madame!
-Alors ça, si y a bien un truc que j'oublierai jamais, c'est ce que vous venez de me dire!"
Après ce petit crochet, je remonte la zone pour atterrir dans le plus ancien magasin de bricolage que la ville ait connu, et qui aurait sans aucun doute l'objet de ma quête.
"Mais comment on va trouver la lame chez Audi?
-Chez OBI mon chéri, OBI. Chez Audi, c'est quand j'aurai vendu des milliers d'exemplaires. Et là, même si Audi ne fera toujours pas de lame de débroussailleuse, on ira acheter une voiture pour le
jardinier."
Je pénètre l'antre de la bricole et fonds tout droit vers un charmant conseiller en polo qui n'était en fait là que pour aider à l'achat de débroussailleuses.
"Bonjour, j'ai ça tout miteux, je veux la même chose en tout neuf.
-Quelle marque?
-Je vous dis ça tout de suite."
Cette fois, je vérifie que j'ai bien saisi le bon numéro de téléphone.
"C'est quoi la marque?
-ECHO.
-ECHO il a dit.
-Ah, on fait pas.
-Si ça peut l'aider, elle est toute orange.
-Oui, comme le vendeur.
-Oui, bé alors non, on fait pas, mais vous savez qu'on fait plus des huit dents, on fait que des quatre maintenant.
-Ah. Je vais trouver ça où?
-Alors j'ai deux adresses de pièces détachées, une route de Limoux, après le pont de l'autoroute.
-Et l'autre?
-L'autre, c'est derrière la clinique.
-Aucun des deux sur ma route.
-Et juste une question, pourquoi vous faites pas avec le fil?
-Oh bin ça alors, si ce matin on m'avait dit que je me taperais trente bornes avec une lame pour me faire conseiller de faire plutôt avec le fil, je l'aurais pas cru. Et d'ailleurs, j'ai du mal à
le croire là. Mais je vais y songer. Merci monsieur."
Je décide de marquer une pause avec la lame et dévie ma trajectoire vers le magasin des baskets. Il fait vingt degrés dans la voiture et douze de plus à l'extérieur, j'ai soif, j'ai les dents du
fond qui baignent, Nicolas tente par tous les moyens de me faire sourire.
"C'est marrant, quand je vois toutes ces voitures, je me dis que c'est pas étonnant qu'il y ait tous ces morts sur les routes. Si les gens conduisaient moins, ils mourraient moins."
La chance finit par se mettre de mon côté puisque pour une fois, une seule je pense, je trouve LA paire de baskets qu'Arnaud voulait, et à laquelle il voue un amour sans bornes depuis qu'il est
entré au CP, dans sa taille, LA seule avec des Velcros à la place des lacets - ce qui m'arrange le matin - et lorsque j'atteins la ligne de caisses, la vue est dégagée et la voie libre.
"Bonjour madame!
-Bonjour monsieur!
-Bonjour!
-Bonjour!
-C'est la première fois de la journée que je dis bonjour, et deux fois en même temps, ça fait du bien.
-Oui, c'est curieux comme le bonheur est à la fois si simple et si compliqué."
Alors, comme l'amour est quasiment prêt à déborder de tous les coeurs, je me dis que la lame que je cherche tant ne pouvait que se trouver à quelques décilitres de gasoil de là, dans le sein des
seins, l'enseigne de bricolage qui m'a vue mes premiers anti-dépresseurs il y a quelques années.
Mais par chance et en toute logique, aucune ancienne tête ne me regarde même pas la gueule lorsque je dis bonjour à l'entrée, avec mon petit écho blond puisqu'il n'y a que de nouvelles têtes de
turc.
Direction le bon rayon sur lequel je tombe nez à dent avec LA seule lame. Elle est là.
Neuve.
Intacte.
Le bon diamètre.
Certes, elle a deux fois plus de dents que l'ancienne.
Certes encore, elle est un peu plus lourde et encombrante dans mes mains.
Certes enfin, sa valeur a forcément subi une légère inflation.
Mais tout de même, il est seize heures trente et j'ai trouvé ma lame.
Je récupère Nicolas qui avait déjà baptisé toutes les sales bestioles puantes de l'animalerie et nous fonçons gaiment vers la caisse.
"Voilà, j'ai trouvé ma lame!
-Ne me dites rien, c'est Monsieur qui vous l'a commandée?
-Tout juste...Agnès. Il va être content.
-Il pourra. 299 Euros s'il vous plaît!
-C'est clair qu'à ce prix-là, s'il est pas content, il débroussaillera avec les dents.
-J'ai juste une question, vous allez pouvoir la rentrer dans la voiture?
-Au pire, je retire l'emballage, mais je pense que ça va rentrer.
-Maman, tu penses aux plantes et à la batterie et aux courses qu'on a pas encore faites?
-Si tu continues à jouer les rabat-joie, tu vas rentrer sur le toit. Et on a pas de galerie."
Cet enfant sera voyante par SMS s'il ne peut intégrer X puisque nous rencontrons toutes les peines du monde à imbriquer nos achats les uns dans les autres au point qu'une fois les sièges rabattus,
la batterie calée avec les baskets, une suspension accrochée sur chaque porte-cintres et la plante en pied ceinturée, je m'aperçois que les clés de Troicencette sont elles aussi bien à l'abri sous
le siège que je venais de rabattre et sur lequel la lame de la débroussailleuse reposait en paix avec elle-même, dans son étui d'origine.
Nous repassons la scène en retour rapide, suons comme un rôti de porc au lait dans sa cocotte en fonte, blindons un chariot de courses avec les desideratae des uns et des autres et rentrons, au cul
d'un énorme camion frigorifique portugais, dont nous avons tout le loisir de recenser les éraflures de la carrosserie.
Nous arrivons en marche arrière devant la maison.
"T'as mes mouchoirs et mes piles?
-Et mes baskets, tu les as trouvées grâce à mon pied?
-Dis-moi que t'as trouvé la lame finalement.
-J'ai tout. Y compris la lame.
-C'est quoi cet énorme carton?
-C'est la lame. C'est pas ça que tu voulais?
-Je voulais une lame.
-Et voilà Nicolas, tu vois, tain, ça va jamais. Quand je pense à tous les risques calculées que nous avons pris, toi et moi...
-On t'a trouvé ta lame papa, juste avec une débroussailleuse autour.
-Combien?
-Deux cent quatre-vingt dix-neuf.
-Mais t'as craqué ta culotte toi non?
-Non, on dit Mc Culloch, et avec ce que m'ont rapportée mes papiers Ebuzzing le mois dernier, Mc Culloch, c'est gratos et encore, j'ai pu m'offrir les plantes, je vais me dépêcher de les prendre en
photo avant qu'elles crèvent.
-Oué avant demain quoi.
-Tain toi et fais parler la tondeuse, tiens, la batterie."
Il a déballé sa débroussailleuse comme un gamin déchire le papier de son joujou de Noël à dix-huit heures.
Une heure plus tard, Jérémy avait rangé les courses sans se tromper, Nicolas avait arrosé toutes les plantes et Arnaud balayait déjà l'herbe coupée sur la terrasse, en pyjama avec ses belles
baskets.
Quant à moi, je les ai regardés s'affairer, et il m'a bien fallu ce temps pour confirmer que le bonheur, ça tient parfois à rien, à trois cents Euros près. Et j'ai fait des nouilles pour
récompenser tout le monde.
Article pas sponsorisé, mais presque.