Avant la ruée vers les nouveautés, le difficile choix. Tout me tente. Comme une première année dans une nouvelle école où toutes les options sont possibles, toutes les avenues sont invitantes.
Et puis dans La Presse+, quelqu’un dit avoir aimé Le ravissement de Lol V Stein de Marguerite Duras. Une auteure qui m’intrigue. Quitte à passer pour complètement béotienne (j’exagère comme toujours, question de trouver entre deux extrêmes, une position mitoyenne), je confonds encore Marguerite Yourcenar et Marguerite Duras. Et comme j’ai été incapable de terminer la seule œuvre que j’ai lue de la première, Mémoires d’Hadrien, j’hésite, je dois me concentrer pour me souvenir que j’ai bien aimé la seule œuvre que j’ai lue de la deuxième, L’amant. Cette confusion n’a pas disparu même si j’ai lu des biographies de l’une et de l’autre. Mais chaque fois qu’on nomme un titre de l’une ou de l’autre, qu’on dit avoir aimé ou détesté, je me laisse à nouveau tenter. Au moins feuilleter. Ainsi, après avoir lu les premières pages, j’ai téléchargé la version numérique de Lol V. Stein. Et j’aime bien. Je reconnais cette écriture « nouveau roman », que j'ai vu aussi chez Annie Ernaux. «Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Egarés. Là, écrits. Et quittés aussitôt.» comme l’écrit Duras elle-même.
Des phrases heureusement courtes parce qu’avec toutes les virgules et les incises, on pourrait s’y perdre facilement. Et je sais alors que c’est Duras et non Yourcenar à qui j’associe un style plus essayiste, plus distancié, plus recherché. Retiendrai-je cette fois que Duras se lit facilement et rapidement, d'autant que les « je » et les « dit » est redondants?
Mais dans La Presse+ aussi, je lis la chronique cinéma. J’ai lu que Léa Pool est en train de faire un film avec le roman de Sophie Bienvenu, Et on pire on se mariera. J’ai donc relu quelques extraits pour me rafraîchir la mémoire. Me suis souvenu avoir lu, avoir aimé. Ouf, je peux passer au suivant! Dans le même journal, il était question du roman Réparer les vivants de Maylis de Kerangal. «Une splendeur» d’après Marc-André Lussier, le journaliste. Il ne m’en faut pas plus pour me précipiter, une fois de plus, vers la BANQ. Exemplaire disponible. Exemplaire téléchargé.
Tout le contraire de Marguerite Duras.
Cette fois, en deux pages, l’auteure a utilisé plus de mots — nouveaux pour moi —, des noms et des adjectifs surtout, que je n’utiliserai probablement jamais dans toute ma vie.
« Il se retourne vers la côte comme il aime toujours le faire avant de s’éloigner davantage : la terre est là, étirée, croûte noire dans des lueurs bleutées, et c’est un autre monde, un monde dont il s’est dissocié. La falaise dressée en coupe sagittale lui désigne les strates du temps, mais là où il se trouve le temps n’existe plus, il n’y a plus d’histoire, seul ce flot aléatoire qui le porte et tournoie. »Mais j’aime aussi comme on peut aimer deux musiques fort différentes, opposées, une minimaliste, l’autre polyphonique. Chacune nous emmène dans des recoins plus ou moins visités, des zones d'ombre ou des intérieurs lumineux. Je m’aperçois une fois de plus que je lis souvent plus pour le style que pour l’histoire. C’est l’écriture qui me décidera à poursuivre ou non. Rarement l’histoire puisque de ce côté tout ou presque a déjà été abordé. Et tout ne m’intéresse pas, mais par le style, l’auteur peut ou non m’amener dans des contrées ou je n’irais pas spontanément.
Dans les résumés, il est écrit que Réparer les vivants, c’est l’histoire d’une transplantation cardiaque. Il suffit de lire les premières pages ou feuilleter et lire quelques extraits pour comprendre que c’est tellement plus, qu’on est loin d’une salle de chirurgie. Le cœur devient un personnage avec son propre voyage, son propre questionnement. Et je le répète, pour qui aime les mots, une richesse de vocabulaire qui offre un style imagé comme j’en ai rarement vu-lu.
« Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps. Que subsistera-t-il, dans cet éclatement, de l’unité de son fils? Comment raccorder sa mémoire singulière à ce corps diffracté? Qu’en sera-t-il de sa présence, de son reflet sur Terre, de son fantôme? »Si au début, j’alternais entre les trois romans, j’ai dû calmer mes ardeurs et mes envies. J’ai finalement délaissé les Chroniques au long cours dont la lecture n’était qu’un prolongement de mon voyage au bord de la mer. D’autres horizons se dessinaient. Un moment, il faut bien cesser de regarder les photos et quitter les plages de galets. Étant donné le style aéré, Le ravissement de Lol V Stein a vite coulé entre mes mains, et il me reste donc le plaisir jubilatoire d’une lecture lente du roman de Maylis de Kerangal.
Tout juste le temps de le terminer avant le vent des nouveautés. Déjà Autopsie de l’enfance disloquée me tente, après avoir lu le billet de Dominique Blondeau.
Billet de Dominique Blondeau >>>