Ma journée au Salon « Quai des bulles » de Saint-Malo (28/10/2016)

Publié le 29 octobre 2016 par Legraoully @LeGraoullyOff

9h30 : Au bord de l’esplanade Duguay-Trouin, au pied des remparts de Saint-Malo, le festival Quai des bulles jouit d’un cadre exceptionnel en comparaison duquel le décor d’Angoulême fait bien pâle figure. Tout serait parfait si on avait un vrai temps d’automne breton plutôt que cette morne tiédeur qui n’en finit pas, mais ces considérations météorologiques ne m’empêchent pas d’apprécier comme elle le mérite l’exposition consacrée à Luciano Bottaro, ce génial bédéaste italien disparu il y a une dizaine d’années. En découvrant les planches originales du récit À bas Milpétar mettant en scène le fameux petit pirate Pépito, je suis frappé par la clarté dont avait su faire preuve l’auteur pour évoquer une situation politique particulièrement tendue, en l’occurrence un coup d’État militaire, à son jeune public, qui plus est sans rien abdiquer de l’humour débridé qui a été sa marque de fabrique. Les histoires de Donald Duck dues au maître de Rapallo sont également de la partie, prouvant que mette en scène les personnages de Disney n’est pas réservé aux obscurs tâcherons – retenez bien ça, c’est important pour la suite.

10h : Conférence à trois voix sur le thème de la vulgarisation scientifique en BD avec Sylvain Ricard, David Vandermulen et Marion Montaigne : je ne suis pas étonne d’y apprendre que certains spécialistes rechignent à se mettre au niveau du grand public sans même forcément manifester un quelconque orgueil déplacé ; en effet, quand on manie au quotidien des termes de métier, il est extrêmement difficile de se défaire de ce qui est devenu un réflexe de langage, et un chercheur qui passe ses journées à étudier un domaine déterminé n’échappe pas à la règle. De surcroît, vulgariser, c’est souvent élaguer, et on imagine aisément à quel point devoir éluder certains passages d’une démonstration peut être un crève-cœur pour un chercheur passionné. C’est ce qui explique, comme nous l’apprend Vandermulen, que le grand Daniel Goossens n’ait jamais cherché à parler dans ses bandes dessinées de l’intelligence artificielle à laquelle il consacre sa vie de chercheur.

David Vandermeulen, Marion Montaigne et Sylvain Ricard

14h : Quand j’ai eu vent de l’exposition « Mickey vu par… » avec des planches de Loisel, Tébéo, Cosey et Kéramidas, j’avais tout de suite cru qu’il serait question de parodies gentiment iconoclastes ; la rencontre publique avec les quatre dessinateurs susnommés me détrompe : il s’agissait bel et bien d’un exercice de style, parrainé par la maison Disney et orchestré par Glénat, dans le cadre duquel ces artistes avaient été invités à produire une aventure de Mickey Mouse, chacun à leur façon. Dans ces conditions, pas question d’être provocateur, mais aucun de ces créateurs n’a travaillé au rabais : c’est probablement Loisel qui, retrouvant la veine humoristique de ses débuts marqués notamment par Norbert le lézard, se rapproche le plus du style nerveux, vivant, foisonnant et rebondi du génial Floyd Gottfredson ; niveau scénario, le dessinateur se défend d’avoir voulu faire un brulot anticapitaliste, mais situer l’action pendant la grande dépression, avec un Mickey et un Horace chômeurs, n’est pas andoin. Kéramidas a certainement été le plus fidèle à l’orthodoxie graphique des studios Disney : le fait qu’il ait exercé ses talents pour le compte de la filiale française de la firme n’y est pas pour rien ; certains collectionneurs s’y trompent et croient vraiment avoir affaire à des planches inédites retrouvées par hasard ! Cosey a fait le maximum pour dessiner un Mickey fidèle à son image des années 1930, mais la patte très personnelle de ce grand auteur ne peut que se faire sentir, n’en rendant que plus lunaire le rongeur que l’on découvre en  scénariste de cinéma incapable d’imaginer une histoire qui finit mal. Tébo, enfin, fidèle au style « cartoonesque » qui a fait sa réputation, nous propose un Mickey devenu vieux racontant sa vie à son arrière-petit-neveu et retraçant ainsi quelques grandes pages de l’histoire américaine dont la prohibition où, cela dit, ce n’est plus l’alcool qui est prohibé mais le chocolat ! Censure disneyenne ? Non : Tébo a simplement voulu éviter de montrer Mickey combattant pour une cause que l’on sait aujourd’hui perdue, à savoir l’éradication de l’alcoolisme, et a donc remplacé ce combat par un autre, plus dérisoire.

Loisel, Kéramidas, Cosey et Tébo.

15h30 : Je demande une dédicace à Emmanuel Reuzé, l’auteur d’Ennemisdavant.com ; sa méthode pour les dédicaces est originale : il place sous la page qu’il s’apprête à orner d’un dessin quelques morceaux de papier découpés et les dispose de façon à constituer un visage qui apparaîtra sur la page grâce à un simple « balayage » au fusain. Me voilà donc avec un magnifique portrait de l’Abbé Pierre sur mon exemplaire de ce non moins magnifique album dont Reuzé m’explique la genèse : sa première histoire fut celle du blog d’Hitler, pastiche des blog BD « girly » dont il n’avait jamais hésité à se moquer ; séduit par le résultat, Lindingre, le rédacteur en chef de Fluide, lui suggéra de produire d’autres histoires mettant en scène ce qu’auraient fait les grands noms de l’Histoire du XXe siècle s’ils avaient connu Internet. Je lui fais remarquer que le général De Gaulle est le seul à ne pas du tout à être ridicule : « ce sont les hasards d’histoire » me répond-il !

16h30 : Rencontre graphique avec Terreur graphique qui revient sur certaines de ses créations : voir un auteur dessiner en temps réel est toujours fascinant, à plus forte raison quand son graphisme est aussi hilarant que celui que je surnomme « monsieur la Terreur ». Il confirme qu’il n’y aura pas de suite à sa série « F.I.S.T. » scénarisée par Jorge Bernstein : pas question de tirer sur la corde, ni les auteurs ni l’éditeur n’ayant envie de poursuivre les aventures, au demeurant hilarantes, de ces « Superdupont sans superpouvoirs et encore plus cons » dixit le dessinateur. Je lui reparle de ses histoires de geeks qui avaient marqué ses débuts dans Fluide Glacial : il me répond que le rédacteur en chef de l’époque lui a dit récemment à quel point il trouvait mauvaises ces planches qu’il avait pourtant lui-même publiées ! Revenant sur ses strips pour Libé, il fait part des difficultés qu’il a rencontrées pour dessiner Tony Blair : je m’offre un petit plaisir en lui griffonnant vite fait l’ancien premier ministre anglais, qu’il reconnait tout de suite ! Ça vaut tous les jours de gloire…

17h30 : Visite de l’exposition « Le monde incroyable de Billy Brouillard » plongée dans l’obscurité ; une lampe de poche est prêtée aux visiteurs pour qu’ils puissent en profiter. La série de Guillaume Bianco rappellera aux cinéphiles l’univers de Tim Burton ; pour les littéraires, ce sera plutôt Baudelaire expliqué aux enfants. J’ai toujours eu des sérieux doutes sur l’opportunité de reconstituer l’univers d’une BD « en vrai » à l’occasion d’une exposition qui lui est dédiée : le risque est grand de sombrer dans « l’effet Disneyland » et de faire faux à force de trop vouloir faire vrai. Quand je suis tombé sur un iguane en cage, douloureuse surprise pour quelqu’un qui a toujours eu la phobie des reptiles, je n’ai pas eu envie de changer d’avis.

18h : « Master-Class » animée par Terreur Graphique et Dominique Bertail, ce dernier revenant sur sa contribution à la série Infinity 8 ; quoique fort éloigné de l’univers Disney, ce comics à plusieurs mains mêlant S.F. et Pulp, avec tous les poncifs du genre assumés tels quels, me semble relever d’une démarche similaire à celle des « Mickey » franco-belges évoqués plus haut : l’auteur revient sur les lectures qui ont marqué son enfance et en retravaille l’univers à sa façon sans rien abdiquer des exigences de son statut d’auteur professionnel, se réconciliant ainsi avec les naïvetés de jeunesse auxquelles il avait dû tourner le dos pour se professionnaliser. Pour se plier aux règles de la forme comic book, Bertail a été obligé d’accélérer son rythme de production mais, même avec cette contrainte, il donne raison au maître Maëster qui avait dit un jour « Bertail, c’est Delacroix en moins bien payé ».

Une seule journée de salon, c’est un peu court ; je m’en souviendrai pour l’année prochaine…

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