Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j'aime),
Éditions Henry, Collection La Main aux Poètes, 2016.
Vignette de couverture d'Isabelle Clement.
Lecture d'Isabelle Lévesque
MOT PRONONCÉ OU SILENCE
L e verbe n'est pas seul : l'adresse florale compte - elle demeure. Au ciel du titre, Je murmure au lilas (que j'aime), on mesure l'attrait végétal et la douceur. Un long murmure octosyllabique, l'" e " faible répété, assourdi. Cette musique, quelle sera-t-elle ? Il manque un objet au verbe, la formulation syllabique du contenu du murmure. La parenthèse ne réduit pas la proposition relative à un détail, elle la valorise et la fait passer première au rang des motivations qui président au poème. L'entrée en matière, délicate et nuancée, nous retient, nous attire et nous fait entrer presque silencieusement dans le recueillement du livre.
Le poème naît de sensations, en prose, il est soumis à ce qui est éprouvé et suscite : " J'écoute la musique de la pluie sur le métal ". Ce sont des notes infimes et multiples qui font passer d'un espace à l'autre, de la cuisine à " un jardin ". Le poème révèle le " silence " (mot répété quatorze fois pour quarante-trois fragments), un silence traversé d'images, légères, qui diffusent et portent vers l'intime, âme et cœur. Nous sommes invités à éprouver à notre tour, passant par les mots, les sensations et à agir, " je pèse le pour et le contre du silence ", pour nous incarner comme se dédouble le poète. Téléportation sensible pour " plonge[r] dans la mer des songes ", détournement d'un cliché pour une chute véritable dont le poème remonte le cours.
Prose propice, le cheminement offert ouvre la perception visuelle et interroge celle des sons :
" Qu'est-ce qu'entendre ? À quoi ressemble le bruit d'un arbre dans le vent ? "
Source de méditation et de rêverie, le poème procède par glissements. Porosité du temps, une sensation réveille l'enfance, c'est que les fondations s'établissent sur elle. La rêverie est ancrée, elle s'éloigne ensuite d'un horizon restreint, elle creuse un espace intérieur pour y accueillir le monde extérieur, abolir les barrières entre la vie animale et même végétale. Dialoguer sans mots avec le chat :
" Le silence, c'est voir les pupilles du chat se dilater, et comprendre ce qu'il dit sans avoir besoin de parler. "
Et dialoguer aussi, comme l'annonçait le titre, avec le lilas familier. Un fragment nous révèle le discours tenu :
" Je murmure au lilas que je l'aime. Son parfum embaume de tous côtés. "
Alors le secret, le murmure, toute trame de douceur, se tissent avec le fil des mots. L'instant unit. Au présent, le lien établi par tous les sens.
Onirique approche du temps, quelque chose en soi qui se libère, pour accueillir " une plaine en hiver et les moutons de l'océan au loin. " Le chemin du poème à voix basse permet cette approche du réel.
La rêverie mène vers ce " monde du silence " que révéla le film du commandant Cousteau : " [u]ne raie, un requin. Un coup de mâchoire. Sans bruit. Le sang attire d'autres prédateurs. " Le danger n'est pas écarté, il peuple l'univers intérieur comme s'accomplissent les miracles murmurés. " Une palme s'ouvre, translucide ", temps de silence pour que naisse le monde. " Ouvrir ", le verbe répété, infinitif et entier, résonne comme injonction douce et respiration d'eau, elles correspondent aux battements du cœur. Remontée vers notre origine de silence et d'eau. Le livre intègre le chemin vers ce premier cri fondateur : rupture, " il neigeait " comme coton, l'enveloppe traversée depuis le point silencieux du néant. Il a fallu cet arrachement : effort du cri, " planté comme un couteau ", entrée en vie.
Parfois celle qui écrit revit cette traversée douloureuse lorsqu'un regard (un mot ?) se plante en elle, plaie vive, le père relevé revient d'un sommeil trop long et perce la membrane fine - de trépas à vie. Le dialogue s'établit aussi avec les ombres chères, ce qui survit.
Au lilas, le murmure du père retourné au silence " comme une césure ", il existe tout près alors que les images gisent d'un passé tranché qui revient hanter vivre. " De tes doigts naissent des bourgeons ", écrivait Valérie Canat de Chizy dans Poetry 1.
Au milieu de la neige, les lames des chirurgiens qui extraient, coupent pour que la vie soit - l'ambiguïté des couteaux-scalpels, vie/mort annexés. Par la peau l'extérieur et l'intérieur communiquent. Le poème serait-il cette frêle membrane entre vie et mort, qui unit celui qui n'est plus à celle qui écrit ? " [P]aroles inaudibles ". L'amour alors, comme réponse puisque l'âme est logée dans le corps de ses lettres. Chemin blanc de neige, hôpital, traversée de couloir et le corps invisible ou transparent de l'enfant qui " marchait ", " passant au travers des regards ". En ce livre se mêlent la vie quotidienne (et blessée), le rêve et l'impossible réparation de quelque chose qui a été coupé dès naître. Le blanc le couvre, le blanc le libère puisqu'il se pare d'antinomiques attraits, mot prononcé ou silence.
Le livre se clôt sur la peau percée par les aiguilles d'un temps né : le corps n'est plus protégé.
Isabelle Lévesque
D.R. Isabelle Lévesque
pourTerres de femmes
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1. Valérie Canat de Chizy, Poetry, Éditions Jacques André, 2015. À propos de ce livre, nous renvoyons à notre article.
VALÉRIE CANAT DE CHIZY
■ Valérie Canat de Chizy
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→ [L'écriture s'étiole] (extrait de Pieuvre)
■ Voir aussi ▼
→ le blog de Valérie Canat de Chizy
→ (sur Ce Qui Reste) extraits des Pavots sortent en éventails (+ une notice bio-bibliographique)
→ (sur Terre à ciel) une page sur Valérie Canat de Chizy
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→ Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l'oubli
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