Luc Carvounas, sénateur PS
Président désincarné, évanescent, président fantôme? «Je suis le spectre de l’Élysée», s’est lui-même défini Hollande devant les deux journalistes du Monde, en leur faisant visiter le palais. Un bon mot qui sidère les socialistes: «Je me perds en conjectures, soupire un haut responsable PS. Un spectre, c’est quelqu’un qui ne devrait pas être là ou qui est déjà mort.» Même le New York Times, à la veille de la fête des morts, s’étonnait lundi de cette vie politique française d’outre-tombe et rangeait Hollande dans la catégorie de ceux qui continuent d’«apparaître», au gré des discours, déplacements ou inaugurations, alors qu’ils sont «déjà morts». «Hollande dit qu’il est le spectre de l’Élysée, de Gaulle disait: “L’État, c’est moi.” Voilà», résume le sénateur PS Luc Carvounas.
Fantomatique, Hollande l’est en tout cas dans l’opinion, alors que plus de 80 % des Français ne lui font plus confiance, selon une enquête Harris Interactive publiée lundi, dans laquelle il perd 11 points auprès des proches du PS (52 %). Terrorisés à l’idée d’être balayés aux législatives de juin, les députés PS qui labourent leurs circonscriptions observent que leurs administrés semblent avoir déjà tourné la page, zappé. «Contrairement à ce qu’ils disent à Paris, tout le monde me parle du livre, soutient un député PS. Ça fragilise terriblement l’image du président. Il ne suscite ni haine, ni violence. Pas même le mépris. Mais de la commisération. On me dit: “Ah, il est bien seul, il n’a pas tenu psychologiquement, il a eu besoin de se confier…” Ses proches parlent de complot, de putsch, de traîtres… Mais c’est lui qui s’est autodétruit.»
Lâché par l’opinion, le président l’est aussi par de nombreux ténors du PS. Vexé par ces confidences dont il est une cible, Bartolone a tourné casaque. Obsédé par l’après-2017, Valls, qui a noté l’immense désarroi des troupes socialistes, a choisi de se démarquer, pour ne pas couler. Certains grands élus livrent, eux aussi, leur trouble, parfois avec violence ou cruauté. «Celui qui s’exprime régulièrement là-dessus (le chômage, NDLR) depuis cinq ans devrait la fermer!», a ainsi tonné samedi en Gironde le président PS de la région Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset, lors d’une réunion militante ; avant de rétropédaler mardi soir.
Un conseiller
Même certains hollandais historiques se sont mis à douter. «Que voulez-vous que je vous dise, il n’intéresse plus personne…», soupirait l’un d’eux dans un sourire contrit, en expliquant pourquoi le discours présidentiel sur François Mitterrand, le 26 octobre, avait eu si peu d’écho. «Hollande est seul comme Narcisse, résume sévèrement un ministre. Il a construit sa solitude pour ne voir que lui dans la flaque et s’y noyer.»
Finalement, ce vieux palais militaire austère, dans lequel le président avait refusé d’entrer pour ce portrait officiel, reste son ultime rempart. «Sa force est institutionnelle», note l’un des derniers fidèles, Julien Dray. Un palais qui s’est vidé, ces derniers mois: une douzaine de conseillers l’ont quitté. Dont l’une de ses plus proches conseillères, Isabelle Sima, sa précieuse chef de cabinet depuis 2012. Son adjoint, Christophe Pierrel, l’a suivi. «On a fait un bus», rigole l’un des «ex», soulagé d’être parti. Même la conseillère pour le sport, Nathalie Ianetta, dont l’ascension au sein du dispositif avait été fulgurante, est partie pour l’UEFA.
Ces départs ont été remplacés. Mais à l’instar des cadres du PS, les conseillers du palais ont été «secoués» par la publication du livre, qui alimente toujours les conversations à la «popote», la cantine de l’Élysée. «Hollande restera pour moi un mystère jusqu’au bout», confie un conseiller. Le départ du gouvernement d’Emmanuel Macron, un «ancien de la maison», et ses menaces de concourir en 2017 ont été un premier choc pour le moral des troupes.
Dans cette ambiance morose, une poignée d’irréductibles restent plus mobilisés que jamais. Nicolas Sarkozy avait sa «firme», Hollande a son «dernier carré». Première victime de ses propres confidences à Gérard Davet et Fabrice Lhomme, point de départ de «l’affaire Fillon-Jouyet», le secrétaire général Jean-Pierre Jouyet restera auprès de «François» jusqu’à la fin. «C’est le doudou du président», note un proche du palais. Le conseiller politique Vincent Feltesse, qui vient de perdre la présidence du groupe PS à la mairie de Bordeaux, a été chargé par le chef de l’État de l’organisation de la précampagne. Quant au conseiller communication, Gaspard Gantzer, il continue de défendre bec et ongles son patron, sans ciller.
Un visiteur du soir
Loyaux, ceux-là – qui partagent désormais la plupart des déjeuners du président – assurent que «rien n’est perdu». Avec le départ de Sima et Pierrel, qui se targuaient d’être les plus «politiques» du cabinet, ce dernier carré a désormais les coudées franches. «Les tensions entre ces deux clans, qui n’avaient pas les mêmes vues, étaient nombreuses», reconnaît un proche de l’Élysée, qui regrette que «l’esprit critique» soit absent du palais.
La semaine dernière, alors que Bartolone et Valls lançaient l’offensive et que la majorité plongeait, ces fidèles serviteurs, assistés par une poignée de jeunes élus chargés de porter dans les médias la parole présidentielle, ont fait valoir que le chef de l’État venait de passer sa «meilleure semaine du quinquennat»: bons chiffres du chômage, offensive sur Mossoul et démantèlement «réussi» de la «jungle» de Calais… «Ils sont dans une bulle, ils ne voient pas que l’Élysée est un astre mort», commente un proche de Macron.
Hollande, lui, reste égal à lui-même.«Inaltérable», résume un conseiller. Invité à déjeuner samedi à Angers chez le député PS Luc Belot, le chef de l’État a tout de même reconnu, devant les douze convives attablés devant un hachis parmentier maison, que «la vie politique»était «parfois cruelle». Mais il ne s’apitoie pas et fait le dos rond. «Il se dit aussi que le bazar et le pourrissement finiront par lui être bénéfiques, analyse un ex-conseiller de l’exécutif. À ce jeu-là, il est le meilleur. Il n’est jamais aussi bon que dans une situation floue.»
En attendant, il reçoit, consulte. Dans son bureau, au premier étage du palais, où le seul bruit régulier provient des minutes égrenées par une horloge dorée, certains visiteurs se font pressants: «Tu devrais renoncer», lui a conseillé l’un d’eux. Ségolène Royal, qui ne se fait guère d’illusions sur les chances de victoire en 2017, si l’on en croit ses proches, lui a demandé s’il était bien «sûr» de pouvoir gagner la primaire. «Tu dois t’expliquer devant les Français, reprendre pied», lui a conseillé un autre visiteur du soir. En quittant le palais, ce dernier a pensé que, décidément, François Hollande n’avait pas changé: «Je ne l’ai jamais vu s’inquiéter de grand-chose. Il a une capacité phénoménale à donner le change.»
Affaibli et cerné, le chef de l’État n’a pas l’intention pour le moment de s’expliquer à la radio ou à la télévision et reste fidèle à son calendrier: il dévoilera ses intentions entre le 1er et le 15 décembre. Reste cinq semaines décisives, les plus longues du quinquennat pour lui et son dernier carré, alors que le sol se dérobe sous leurs pieds. «Quand il sera candidat, les complots, les velléités de Valls de se présenter, tout tombera», se rassure un fidèle. Il faut donc tenir.
Un proche de Hollande
Percutée de plein fouet par la publication du livre, sa stratégie de précampagne a pris du retard. L’appel des élus en sa faveur a été repoussé à des jours meilleurs. Et son discours «Wagram II» visant le projet «ultralibéral» d’Alain Juppé – dont le président est désormais quasi certain qu’il gagnera la primaire – a été décalé à fin novembre, après les commémorations des attentats du 13.
Mais Hollande a décidé d’accélérer ses déplacements de terrain, pour tenter de renouer le lien. Après Lens mardi, il sera en Normandie jeudi, où il multipliera les étapes (deux départements, quatre villes) puis à La Rochelle, le mardi suivant. Il en profitera pour donner des entretiens à la presse locale. Il va également multiplier les déplacements hors caméras. «Ce sera un mélange de présidentialité et d’hyperproximité», théorise l’un de ses stratèges. «Il est en position de challenger», reconnaît un proche, qui explique que la référence qui prévaut désormais est la «campagne Chirac 1994». «La sphère parisienne est contre lui mais il gagnera en s’appuyant sur les territoires, en faisant de la proximité et de la communication directe, se persuade un fidèle. Ce sera une victoire contre l’establishement.»
Les deux présidents de groupe PS à l’Assemblée et au Sénat, Bruno Le Roux et Didier Guillaume, ont insisté pour que le chef de l’État rencontre les parlementaires, en plein doute. À ce scénario, Hollande préfère multiplier les petits groupes, notamment en marge de ses déplacements, ce qu’il a fait mardi à Lens. Mercredi, il recevra les parlementaires de Loire-Atlantique à l’Élysée. Ces derniers jours, il a également rencontré les ministres qui «roulent» encore pour lui: Stéphane Le Foll, Bernard Cazeneuve, Najat Vallaud-Belkacem (possible directrice de campagne), Marisol Touraine ou encore Audrey Azoulay (que certains imaginent déjà porte-parole d’une future campagne). «Il fait un travail de couture dont il ne faut pas sous-estimer l’efficacité», vante un conseiller.
En dépit de son extrême faiblesse politique, Hollande continue à croire en sa «bonne étoile», même si ce mythe fondateur du hollandisme apparaît aujourd’hui totalement galvaudé, et reste déterminé à se présenter. «Il croit toujours qu’il est le meilleur», s’étonne un ministre, pour qui le livre a eu au moins cette vertu: «On a compris qu’il n’aimait personne, qu’il ne comptait que sur lui-même.»«Il aura été le président le plus villependé par son propre camp, défend le député PS Gilles Savary. Il ne veut pas laisser la place à ceux dont il estime qu’ils l’ont trahi, ne pas offrir à ses bourreaux l’opportunité de lui survivre.»
Le président ne nie pas les «difficultés» mais assure qu’il a «confiance dans la campagne». «La primaire rabaisse la fonction mais je ne vois pas comment je peux m’en exonérer, a-t-il confié à des visiteurs la semaine dernière. Pour cela, il aurait fallu que ma candidature s’impose.» Avant d’ajouter: «Il faut combattre l’idée que ce serait perdu d’avance, rien n’est joué.» Le député frondeur Christian Paul met en garde: «Ça peut encore s’effondrer comme un palais vénitien dans la lagune.»
Solenn de Royer
Grand reporter au service politique du Figaro.
Chargée du suivi de l’Elysée.