LUNDI 21 NOVEMBRE
– Bonjour, madame Kervella.
– Bonjour, professeur ! Alors, dites-moi, ça a dû bien vous faire rire, non, la déroute de Sarkozy ?
– Ah, ça ! J’avoue que ça faisait dix ans que j’attendais de voir ça ! C’est bien fait pour lui, on l’a assez vu, le petit Nicolas ! Certains disent que c’était la campagne de trop pour lui : je réponds que c’est toute sa carrière politique, placée résolument sous le signe de la trahison, de la démagogie et de la défense acharnée des nantis, qui est de trop !
– Ça fait plaisir de vous entendre parler comme ça !
– Maintenant, vu que François Fillon a toutes les chances d’être investi candidat des Républicains, j’espère qu’il aura assez de force pour battre Marine Le P…
– AH NON, HEIN ! Vous n’allez pas remettre ça ! Ça fait trois ans que vous faites une fixation là-dessus et que vous nous cassez les oreilles avec l’extrême-droite ! Que vous ayez été traumatisé par les européennes de 2014, je le comprends bien, mais depuis, il y a eu les départementales et les régionales : faites un peu confiance au peuple, sacré nom de Dieu ! À force de cracher sur Le Pen, vous n’aurez plus de glaviots pour Fillon !
– Possible, mais je vais vous dire, madame Kervella : je n’ai pas tellement envie de cracher sur Fillon. Pas pour l’instant. J’attendrai qu’il soit président et de voir ce qu’il fera. Pour l’instant, certes, son discours n’a rien pour me plaire, mais vous savez comme moi la distance qu’il y a entre le politicien en campagne et le politicien dans l’exercice du pouvoir : c’est cette distance dont l’ampleur, pourtant patente, semble échapper à ceux qui ont été catastrophés par l’élection de Trump, lequel, même s’il le pouvait encore, ne fera sûrement pas le quart de ce qu’il a promis aux Américains. De toute façon, pour en revenir à Fillon, il me parait plus constructif de critiquer dans son ensemble l’idéologie néo-libérale dont il est le relais plutôt que sa seule personne…
– C’est votre point de vue…
– Je vais aussi vous dire : si Sarkozy avait accédé au second tour de cette primaire, je serais probablement allé voter pour lui faire barrage. Mais Juppé et Fillon se valent à peu près, donc je n’en ferai rien. Et si aux présidentielles, nous avons un second tour Fillon-Macron ou Fillon-Hollande, je m’abstiendrai pour la première fois de ma vie, mais en cas de second tour Fillon-Le Pen, j’irai faire barrage au FN, sans illusion mais sans hésitation. Je vais même vous dire qu’en votant pour faire perdre l’extrême-droite, j’aurai enfin l’impression que mon vote servira vraiment à quelque chose !
– Et en cas de second tour Fillon-Montebourg ?
– …
– Bon, d’accord : je vous sers un vin blanc ?
MARDI 22 NOVEMBRE
– Volontiers.
– Voilà. Sinon, vous en pensez quoi, de ces célébrités qui ont lancé un manifeste contre le « Hollande bashing » ?
– J’en pense qu’elles ont le droit d’avoir des convictions et de les défendre, tant qu’elles ne sont pas criminelles. Sans compter qu’ils n’ont pas tort : dénigrer le président pour un oui ou pour un non est devenu une solution de facilité et une bouée de secours pour humoriste couché en mal d’inspiration. Ce que je vous disais il y a un instant pour Fillon est valable pour Hollande : critiquer la politique du chef de l’État est on ne peut plus légitime, l’attaquer parce qu’il mange des frites ou roule en scooter est minable. À cause de cette campagne de dénigrement systématique, qui a commencé avant même qu’il ne soit élu, ceux qui déplorent le reniement des promesses qu’il avait faites aux milieux défavorisés sont mis dans le même sac que les grosses tapettes homophobes de la manif pour tous ou les gros ploucs des bonnets rouges ! C’est chiant ! Sans compter qu’on ne sait même pas si le bilan de Hollande est vraiment aussi négatif qu’on le dit puisque toutes les informations que nous avons sur le sujet émanent de médias corrompus à la solde d’industriels véreux qui étaient (et sont toujours) copains comme cochons avec Sarkozy !
MERCREDI 23 NOVEMBRE
– Ben vous y allez fort !
– Je suis lucide, nuance : tenez, cette semaine, on nous annonce qu’il y a eu un projet d’attentat déjoué, et c’est à peine si on en parle ! Qu’un attentat se retrouve à la une des médias et émeuve l’opinion publique, c’est normal, mais pourquoi boudons-nous à ce point la joie qui devrait être la nôtre que l’antiterrorisme remporte une victoire ? Je ne suis pas très copain avec l’État, mais quand il fait bien son boulot et sauve la vie de centaines d’innocents, il faut aussi le reconnaître ! De quoi a-t-on peur ? De rabattre leur caquet aux démagogues qui n’ont de cesse de dénoncer « l’incompétence » de Bernard Cazeneuve ? De faire reculer le Front National ?
– Ou alors peut-être de laisser l’opinion s’imaginer que le danger est déjà écarté et ne plus prendre les précautions qui s’imposent ?
– …
– …
– Vous avez toujours réponse à tout !
JEUDI 24 NOVEMBRE
– De l’âne au coq, vous avez regardé le débat Fillon-Juppé ?
– Ben non, il y a longtemps que je n’assiste plus aux débats politiques puisque je sais que je ne vais y trouver pour ainsi dire que du vent !
– Oh, là, vous êtes dur !
– Pas du tout : on n’assiste jamais à un débat d’idées au vrai sens du terme mais à un choc des monologues ! Que dis-je, des monologues ? Des préjugés ! Les duellistes ne s’écoutent même pas, chacun attaquant son adversaire non pas sur ce qu’il dit vraiment mais sur l’image que ses sycophantes ont de lui : pour être plus clair, le but des débatteurs n’est pas de confronter les points de vue mais de galvaniser leurs troupes en disant ce qu’elles ont envie d’entendre sur l’adversaire ! Et si, par bonheur ou par accident, il se trouve dans cette galère une personnalité brillante pour ne pas jouer à ce jeu de cons et essayer d’engager un vrai débat constructif, elle se fait piler !
– Par son adversaire ?
– Même pas : par le journaliste chargé de l’arbitrage, parfois, et par le public, toujours !
VENDREDI 25 NOVEMBRE
– Hé bé ! À part ça, j’ai appris que vous êtes allé assister à une réunion d’information sur la création d’une école démocratique hors contrat ?
– Vous êtes bien informée.
– Vous n’avez pas un peu honte de cautionner ce genre d’initiative, avec tout ce que vous devez à l’école de la République ?
– Ah oui, vous avez raison, je dois énormément à l’école de la République ! Citons en vrac : six années de bizutage moral orchestrées par les grandes gueules du préau dans l’indifférence quasi-générale des adultes, un complexe de culpabilité carabiné développé par une institutrice revêche qui avait de toute évidence un préjugé contre les garçons, les humiliations de la prof de sport qui me traitait, je cite, de « fainéant qui veut se faire passer pou un neuneu » sous prétexte que j’avais une trouille bleue des ballons…
– Vous ne croyez pas que vous noircissez le tableau ? Vous avez quand même eu quelques bons professeurs avec qui vous êtes resté très lié…
– Je ne dis pas le contraire, il y a des enseignants très méritants ; seulement, ces profs-là étaient justement, la plupart du temps, ceux qui avaient le courage de faire un pas de côté et de ne pas nécessairement brimer un élève qui ne rentre pas dans le moule ! ‘Faut pas croire qu’il n’y a que les cancres qui se sentent mal à l’école : si vous êtes plus brillant que la moyenne, c’est très dur aussi ! C’est peut-être même pire car vous avez contre vous non seulement vos camarades qui vous jalousent mais aussi vos profs qui ne savent pas comment s’y prendre avec vous ! Alors quand je repense à tout ça, je me dis que chercher une alternative à l’école « classique », je veux dire une alternative qui permettrait aux enfants qui, comme moi, sont surdoués et/ou atteints du syndrome d’Asperger de pouvoir s’instruire sans être malheureux, ce n’est peut-être pas plus con !
SAMEDI 26 NOVEMBRE
– Hum ! Et votre « Tac au Tac » aux portes ouvertes de France Bénévolat, c’était bien ?
– Ah, super ! On a fait quatre dessins : deux à quatre mains, avec Julien Lamanda, et deux autres à huit mains avec Elena Thikomirova, Jean-Yves Le Fourn et, last but not least, Charles Kerivel, l’auteur des Penn-Sardinn !
– Ah, du beau linge ! Et quand verra-t-on ça en ligne ?
– Pas avant trois semaines : la vidéo du deuxième « Tac au Tac 29 », organisé aux dix ans de Wiki-Brest, a été mise en ligne cette semaine : inutile de rapprocher excessivement les diffusions. En tout cas, je suis content : enfin une initiative qui trouve rapidement son rythme de croisière et qui semble plaire à tout le monde ! Pourvu que ça dure !
– C’est le mal que je vous souhaite, professeur !
DIMANCHE 27 NOVEMBRE
– Bon, c’est pas le tout, je vous laisse…
– Vous allez voir vos amis de « Putain de Renaud » à Kersaint-Plabennec ?
– Non, je vais me reposer. J’ai comme un coup de mou, en ce moment…
– Avec la vie que vous menez et tous les soucis que vous vous faites pour un oui ou pour un non, ce n’est pas étonnant !
– Je fais beaucoup de choses justement pour ne pas trop songer à ce qui me donne du souci !
– Et ça marche ?
– Non… Allez, à la semaine prochaine.