Je viens d’apprendre la mort du sculpteur sénégalais Ousmane Sow. Il avait 81 ans. Il était – ce que j’ignorais – hospitalisé depuis de longs mois.
Cette disparition, c’est, comme dirait Amadou Hampâté Bâ, « une bibliothèque qui brûle » et ce, non seulement au Sénégal, mais ici aussi, à Paris et en France. Et même en Europe car Ousmane Sow avait réussi à se faire connaître un peu partout. Un cas rare.
J’ai eu la chance de rencontrer cet homme exceptionnel à plusieurs reprises. La plus marquante était, évidemment, dans sa maison de Dakar, où je suis partie faire une interview et un reportage en 1999. C’était à l’occasion de l’exposition d’un ensemble de sculptures intitulées « Little Big Horn », en hommage à la bataille du même nom en territoire nord-américain. Quelques œuvres avaient été brièvement exposées sur le site de Gorée-Almadies avant de partir pour Paris, où elles sont restées sur le pont des Arts pendant plus de deux mois, avant de partir en province, puis à New York.
Je me souviens de tous ces curieux – il paraît que trois millions de visiteurs ont foulé les planches de la passerelle – qui défilaient devant les Noubas, les Peuls et les Indiens, intrigués, fascinés, enthousiasmés ou dégoûtés. L’artiste, lui, n’était plus là depuis longtemps, comme si ce formidable succès ne le concernait pas, ou si peu. Parti rejoindre son « Sphinx », sa maison de Dakar où il a longtemps vécu, pensé et créé. Cette maison que j’ai eu la chance de visiter.
D’atelier, il n’en avait pas, à cette époque. Juste un bout de jardin de poussière, un morceau de cour vite envahi par les carcasses métalliques qui ossifiaient ses personnages, par les bidons où stagnait la matière étrange et unique dont il façonnait les muscles. Y flottait une odeur permanente de colle et d’essence de térébenthine que je conserve curieusement en mémoire.
Géant débonnaire aux yeux fixés sur un ailleurs qui échappait, bien souvent, à son interlocuteur, Sow aimait aller d’une pièce à l’autre, d’une passerelle à un couloir, foulant le carrelage multicolore qui, à lui seul, savait meubler le vide. Il aimait le silence et la solitude de sa salle de méditation tout comme la promiscuité des corps en création. Avare de mots, économe de gestes, il semblait ne s’émouvoir qu’auprès de ses créatures. Là, on avait l’impression que son cœur battait plus fort. Démiurge en miniature, il modelait en vase clos des êtres figés plus grands que nature, régnant en maître absolu sur ces contradictions dont, de temps à autre, il acceptait de partager la genèse. Alors la porte s’ouvrait. Les portes, plus exactement : celle de l’atelier livrait passage à l’œuvre d’art, celle de l’esprit, à l’interprétation.