Manifeste pour la Librairie

Publié le 11 décembre 2016 par Zebralefanzine @zebralefanzine

Les difficultés économiques que rencontrent les libraires ne datent pas d'aujourd'hui. Désormais ce sont les supermarchés du livre, du type Fnac, que la concurrence du géant américain Amazon contraint de changer d'activité. Aux Etats-Unis en 2011, la grande chaîne de distribution de livres & produits culturels Borders a connu une faillite retentissante.

Il y aurait beaucoup à dire sur le processus autodestructeur de l'économie capitaliste, si Karl Marx ne l'avait pas déjà écrit il y a un siècle et demi ("Le Capital est le pire ennemi du Capital"). Il y a en France plusieurs millions de lecteurs, mais combien lisent vraiment ?

Denis Mollat, patron d'une grosse librairie bordelaise qui porte son nom, publie dans ce contexte de crise un "Manifeste pour la Librairie" (éd. "autrement") et, en caractères plus petits, comme avec moins de conviction : "...et les Lecteurs". Lecteurs et libraires sont-ils vraiment dans le même bateau ? rien n'est moins sûr. 

D. Mollat a convoqué pour servir cette cause quelques écrivains et journalistes : Michel Onfray, Dominique Bourgois, Bruno Racine, Josyane Savigneau... Ces derniers ont en charge toute la partie mystique : le parfum des librairies, le plaisir de tourner les pages, bref la confiture proustienne habituelle.

M. Onfray se tire de l'exercice avec un poème -didactique en diable- racontant la vie de Gutenberg ; tandis que le patron de la librairie Mollat, de père en fils, ouvre au public les coulisses du métier d'entrepreneur spécialisé dans la vente de livres. C'est là le chapitre le moins mystique, donc le plus lisible. D. Mollat ne cache pas qu'il dirige d'abord une affaire. Un commerçant astucieux, selon lui, ne doit pas craindre la concurrence et les nouveaux modes de distribution de son produit-phare ; Internet ne fait pas peur à D. Mollat ; un bon libraire doit savoir s'adapter.

Bref, Denis Mollat est un entrepreneur et, en tant que tel, il se doit de tenir un discours optimiste. Sa librairie bordelaise ne connaît d'ailleurs par la crise. Du coup, le manifeste fait "pschiitt !" dès le début : la mayonnaise nostalgique ne prend pas. Ce manifeste vient s'ajouter à la très haute pile des bouquins pas vraiment indispensables.

C'est dommage, car il y aurait sans doute beaucoup à dire sur la façon dont les livres sont distribués et vendus en France - la façon dont les bibliothèques publiques portent certains éditeurs ou certains auteurs à bout de bras, par exemple.

Quant au critère du "plaisir" - plaisir de lire, de tourner les pages, de humer le parfum de la libraire, etc. - il est très intellectuel, mais aussi très mercantile. C'est un critère trop subjectif pour pouvoir fonder la critique littéraire ; cette référence au plaisir de lire marque d'ailleurs une rupture nette avec l'idéal émancipateur des Lumières.

Manifeste pour la Librairie... et les lecteurs, par Denis Mollat & Cie, éd. "autrement", 2016.