Isabelle Raviolo | Paula Modersohn-Becker (1876-1907)

Publié le 11 décembre 2016 par Angèle Paoli

Chroniques de femmes - EDITO

Chronique d’Isabelle Raviolo


PAULA MODERSOHN-BECKER (1876-1807)

L’AUDACE, LA GRÂCE D’UNE JEUNE ARTISTE ALLEMANDE
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Paula Modersohn-Becker (1876-1907),
Tête d’une jeune fille blonde coiffée d’un chapeau de paille (vers 1904),
Nature morte au bocal de poissons rouges (mai-juin 1906)
Autoportrait au sixième anniversaire de mariage (25 mai 1906)
Autoportrait à la branche de camélia (1906-1907)
© Paula-Modersohn-Becker-Stiftung, Brême


Au tournant des XIXe et XXe siècles, la peinture de Paula Modersohn-Becker fait événement. Sa présence unique dans le paysage artistique ne vient pas seulement de la force qui s’en dégage, mais aussi de son innovation formelle. À ce titre, on peut dire que Paula Modersohn-Becker est un phénomène singulier, précurseur de la modernité, avant même qu’émergent les avant-gardes. À cette époque, en Allemagne, personne ne disposait d’une pareille énergie, ni d’un tel goût pour l’invention formelle. De même, Paula Modersohn-Becker a su révolutionner les codes de sa société en se frayant une place d’artiste au sein d’un monde essentiellement masculin, mais aussi en osant un geste pictural neuf, à rebours des conventions. Lorsque Paula Modersohn-Becker meurt en décembre 1907, âgée de trente et un ans, elle aura vécu entre deux générations d’artistes allemands différentes. Mais elle-même n’aura pas intégré un mouvement particulier, elle se sera frayé une voie propre au risque d’une solitude et d’une incompréhension1.

Qu’est-ce qui fonde la singularité de cette peinture, sa force novatrice dans le paysage artistique moderne ?

Quand elle peignait les visages, les corps ou les paysages, ce qui importait avant tout à Paula Modersohn-Becker était de retrouver « le frémissement en soi », cette « délicate vibration des choses » 2. Or c’est justement ce « frémissement » que le spectateur éprouve quand il regarde un tableau de Paula Modersohn-Becker : la simplicité de la forme, le choix des couleurs, le lien entre la matière et l’esprit donnent à chaque tableau une présence inouïe3. Le peintre a su rendre la beauté précaire des êtres et des choses dans une attention subtile qui marque à la fois son intelligence et son amour de l’existence. L’audace et la grâce de son geste n’ont pas seulement défié les codes, mais aussi et surtout donné à son œuvre un dynamisme éternellement actuel qui touche aux origines de l’art en se confrontant à l’existence en sa précarité même. Oui, « être ici est une splendeur ». Ce vers de Rilke4, l’ami de Paula, est repris par l’écrivain Marie Darrieussecq comme titre du beau livre qu’elle consacre à l’artiste, à son œuvre5. Il traduit bien, selon nous, ce « frémissement en soi » des êtres que, toute sa vie, Paula Modersohn-Becker a cherché à peindre avec passion, renonçant à tout compromis. Or ce qu’il y a d’étonnant dans cette peinture, comme nous allons le voir, c’est son lien profond avec la musique : à travers cette quête de la « vibration », Paula a presque une démarche de musicienne. Elle touche à une abstraction par la résonance des couleurs, par la profondeur du dessin et par tout un travail sur la lumière : quelque chose passe qui dépasse la figure – quelque chose comme une étincelle de pure présence, une fine pointe précaire. C’est peut-être là toute la grâce de sa peinture née de l’audace d’un geste qui s’est abandonné – comme on le voit, par exemple avec Petite fille blonde assise, avec un chat dans les bras (1905), où la présence à la fois proche et distante de l’enfant passe la représentation elle-même, où l’existence laisse pressentir son mystère dans sa simplicité. Ne faudrait-il pas alors, selon l’expression de Michel Henry, « fermer les yeux » devant la peinture ? Mais qu’est-ce au juste qui nous permet de dire que la peinture de Paula Modersohn-Becker se libère de la figuration et pense alors l’art comme excès ?

La beauté du simple : présence vibrante des êtres

Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté,

Charles Baudelaire, « À une mendiante rousse »,


Petite fille assise croisant les bras (1903). | Jeune fille (Portrait du Fayoum, 1er siècle apr. J.-C.)
© Paula-Modersohn-Becker-Stiftung, Brême

« Je travaille avec une passion qui exclut tout le reste », confie Paula à ses parents dans une lettre du 28 octobre 18976. Cette passion exclusive, Paula Modersohn-Becker l’a portée jusqu’en l’audace d’un geste : des paysages de Worspwede aux natures mortes, portraits et autoportraits, le peintre a constamment tenu cette attention à la présence qui émane des êtres, à cette petite étincelle qui anime les visages – une profondeur de l’intime peut-être. Paula M. Becker ne cherche pas autre chose que ce qui est : elle s’attache à ce qui se manifeste là, sous ses yeux. Et son souci n’est pas de le copier, mais d’en rendre la « vibration ». Le 26 juillet 1900, elle confiera à son journal : « Mes sens s’affinent comme si, dans les quelques années qui me restent, il me fallait tout, tout assimiler. Et j’aspire tout, j’absorbe tout. » 7 Quand Paula M. Becker cherche ce « frémissement en soi », elle se souvient de la surface mouvante des vieilles sculptures de marbre ou de grès qui ont été exposées aux intempéries8, mais aussi des portraits du Fayoum qu’elle a vus au Louvre : la frontalité des têtes, les traits stylisés et leur expression vivante sont pour elle un potentiel d’incitations décisives9.

Comment la pratique antique de l’encaustique trouve-t-elle une correspondance dans ses travaux à la tempera ?

Au lieu d’étaler la couleur en surfaces lisses de façon naturaliste, elle l’applique telle une matière pâteuse. Ces épaisses touches de couleur sont pour elle « quelque chose de matériel » 10 : par cette densité même, sa peinture se fait présence. Le geste pictural de Paula M. Becker manie la couleur avec audace : elle l’applique pâteuse, la retravaille au couteau, puis lissée et vernie, ou bien, à l’aide du manche du pinceau, elle la modèle en relief, l’érafle même comme en ces remarquables Autoportraits à la main droite au menton. Une image « brute » en ressort – une peinture fondamentale : c’est cela que nous nommons la peinture excessive de Paula – une peinture détachée de toute recherche figurative et qui rend la forme nue : « Elle veut peindre la peau, les tissus, les fleurs » 11. De là vient, selon nous, sa puissance d’intensification, ce quelque chose qui rapproche cette peinture de la musique en sa pure expressivité, en son frémissement même. Ainsi Petite fille nue assise tenant une pomme (1906) s’attache moins à la figuration qu’à la présence. La peinture ne représente pas, elle manifeste une présence immédiate, une présence qui s’éprouve pour elle-même, dans sa plénitude, et qui dépasse le motif. Dans un mode libre et authentique d’apparition, cette peinture excède l’image justement : sa réalité s’égale en quelque sorte à elle-même. Elle ne signifie rien, et ce rien c’est là, pour elle être. Le frémissement, la vibration, l’essence de l’être c’est cette surface mouvante du tableau devenue rugueuse, poreuse, ouverte.

Dès lors, en quoi peut-on dire que Paula Modersohn-Becker permet à la peinture d’échapper à ce qui l’entrave ?

Ici, la peinture n’est plus asservie au modèle ni même à l’univocité d’un contenu de sens. Elle est bien plutôt intensifiée – elle s’affirme pleinement au présent. « Être ici est une splendeur » pour Paula, car cet être se suffit à lui-même, il ne cherche rien à l’extérieur de lui-même, dans un contenu de sens objectif. Épreuves de pure présence, les portraits de Paula M. Becker excèdent la représentation et nous mettent au contact d’un sensible qui s’égale à lui-même. Autoportrait à la branche de camélia est en cela une œuvre majeure qui témoigne du dépassement de l’impressionnisme et de l’affirmation d’une forme excédée. Si floraison et flétrissement se côtoient, Paula M. Becker ne s’arrête pas aux attributs à charge symbolique. Elle se refuse bien plutôt au déchiffrage univoque et ne veut suivre aucun modèle iconographique. Ce qui lui importe à elle, comme peintre, c’est un geste audacieux et libre, délivré du désir des images, et qui laisse émerger la forme visuelle pure.

On retrouve cette même volonté d’un pictural dépris du figural à travers cette détrempe sur toile de l’automne 1906 intitulée Mère nue en buste, avec un enfant sur son bras11 :


Mère nue en buste, avec un enfant sur son bras II
Automne 1906, détrempe sur toile, 80 x 59 cm
Museum Ostwall im Dortmunder U, Dortmund
© Museum Ostwall im Dortmunder U, Dortmund


La profondeur et la simplicité de ce tableau rendent toute la plénitude d’une présence qui ne demeure assignée à aucun statut signifiant. La peinture y est rendue à elle-même, comme libérée du tableau, faisant corps avec un désir d’immensité et libérant ainsi la grâce d’une présence infiniment sensuelle. L’audace du geste de Paula Modersohn-Becker est paradoxalement en l’abandon même de toute figuration ; dans et par cet abandon, la grâce peut se frayer un passage, occuper tout l’espace et devenir alors aussi involontaire que sa chair et son sang12. En cette œuvre peint de Paula M. Becker, on pourrait alors retrouver cette « rose sans pourquoi » du distique d’Angelus Silesius dans Le Pèlerin chérubinique : « La rose est sans pourquoi. Elle fleurit parce qu’elle fleurit. Elle ne demande pas si on la voit. » Paula Modersohn-Becker n’a pas cherché à faire voir, à montrer. Elle a, au contraire, laissé jaillir la grâce de la peinture même : une « pauvreté » qui n’est pas un néant, mais une pure simplicité – celle d’un être pleinement présent, celle de la vibration des choses comme en Nature morte avec cruche en argile, citrons et oranges (1906) où les fruits sont là, dans la splendeur de leur plénitude.

« Et comme des fruits aussi tu voyais les femmes,
tu voyais les enfants, modelés de l’intérieur
dans les formes de leur existence »,

dira Rilke dans son Requiem pour une amie13. Cette présence précaire, « sans pourquoi » fait toute la force de cette peinture et peut-être aussi son mystère. En rapprochant espace et surface, en mettant l’accent sur l’épaisseur de la pâte colorée, Paula M. Becker s’efforce de rendre perceptible la « délicate vibration des choses » cachée derrière leur part visible ; elle cherche « un mouvement dans la couleur, d’une légère modulation, d’une vibration estompant un objet par un autre. » 14 La matière porte en elle la lumière de la grâce – une luminosité profonde et inhérente aux choses, celle qui « brille au crépuscule » 15. Cette vibration des fruits est aussi celle des visages et des corps chez Paula Modersohn-Becker :

« Et pour finir toi-même tu te vis comme un fruit,
tu te dépouillas de tes vêtements, tu allas te placer
devant le miroir et tu t’y enfonças tout entière,
sauf le regard : lequel, sans fléchir,
s’abstint de dire : c’est moi. Non : ceci est. » 16

Et dans la délicate vibration de sa présence, Tête de jeune fille assise sur une chaise (1905) se fait l’écho profond des vers de Rilke.


  Tête d'une jeune fille assise sur une chaise, 1905
© Paula-Modersohn-Becker-Stiftung, Brême


En osant se défaire d’elle-même, se « désapproprier » auraient dit Maître Eckhart et Tauler, Paula M.Becker a libéré son geste – elle a ouvert le chant de la grâce qui transforme, fait « être ici dans la splendeur », habiter la profondeur du monde. En ré-aspirant à la puissance, d’une manière originale, singulière, Paula a délié le désir de la représentation, affirmé la joie d’être. Elle a ainsi empêché le figural de saturer sa puissance de figurer, ouvert une relation dés-adhésive à la particularité. La force de ce peintre fut alors peut-être d’avoir l’audace de quitter les images, de s’extraire de leur fascination, et de rompre avec la fonction signifiante. La peinture de Paula M. Becker s’est ainsi dépouillée de toute tentation d’ontologie appropriative, conduisant un geste libre dont l’audace ne fut rien moins que le désir d’immensité dans l’affirmation d’un pictural dépouillé – beauté précaire de la pure présence et consentement total à l’existence comme le montrent Nourrisson avec la main de sa mère (1903) ou encore Nourrisson au sein (1904). Aussi peut-on se risquer à dire que peindre pour Paula Modersohn-Becker est un véritable acte de libération : elle se libère de la figuration et pense l’art comme excès effectif de toute représentation – l’épreuve d’un soi dédevenu de ses images et recouvrant la grâce d’une présence, d’un geste libre : dans l’intense joie de peindre libérant la puissance inaperçue du sensible.

Loin de tout pathos, Paula M. Becker nous a livré une peinture sans « effets », une peinture de pleine expressivité, proche de la musique en sa vibration, en sa dimension purement sensible. Elle a eu l’élan d’un geste audacieux en se détachant des modes et des emprises psychologiques et culturelles. Sous son pinceau, la peinture est ainsi devenue « pure abondance, naissance perpétuelle » 17. Dans Mère allongée avec un enfant II (été 1906), Paula M. Becker montre cette relation première entre la mère et le nourrisson, sans mièvrerie, sans sainteté ni érotisme, mais avec une autre volupté, immense : force qui atteint au degré le plus pur du réel. Le peintre est comme revenu à l’état initial d’un regard où ce qui est vu est purement visible et non plus objectivé dans un concept. Et c’est bien dans cet acte d’un voir renouvelé qu’a lieu cette peinture de l’excès, et à travers elle, tout l’enjeu de l’art – celui d’une réforme effective du regard relativement à l’emprise du signe.


Mère allongée avec un enfant II (été 1906)
124,7 × 82 cm
musée Paula Modersohn-Becker, Brême
© Paula-Modersohn-Becker-Stiftung, Brême


La grâce d’un geste libre : l’affirmation du pictural pur

« Front, yeux, bouche, nez, joues, menton, c’est tout. Cela paraît si simple, et pourtant c’est énorme. » 18 Dans un élan vital et une ténacité remarquables, Paula Modersohn-Becker n’a jamais cessé de poursuivre sa voie, malgré les circonstances. Si elle n’a pu, de son vivant, exposer qu’à cinq reprises quelques tableaux ou dessins et ne vendre que trois œuvres, elle ne s’est pas laissé décourager. Pour elle, l’essentiel résidait ailleurs que dans la reconnaissance. Ce qui importait c’était de peindre, d’entrer en relation avec le monde par le biais de son art. Et elle a répondu à sa vocation en dépassant tous les obstacles. Paula M. Becker a d’abord recherché l’authenticité d’un geste pictural pur, délivré des images et des codes. Elle a peint son chant précaire à l’existence en dépouillant la peinture de ses entraves, explorant ainsi une autre forme de sensualité, un autre rapport au corps féminin comme le montre ce corps de fillette peint à la détrempe vers 1904. Elle y affirme tout le contraire de La Puberté de Munch. Il n’y a pas d’ombre chez Paula mais un corps très clair sur le fond noir, comme ce qui est là – affirmation d’une plénitude de la forme : présence libre et immense du visible. Une intensité s’en libère. Par la couleur, la lumière, la nudité nous livre ici tout son éclat précaire. Avec Paula M. Becker la peinture reconquiert sa puissance propre, ne s’ordonne plus au motif, à une fin extérieure – elle est « sans pourquoi ». Le regard est libéré des restrictions signifiantes et se laisse ainsi pleinement toucher.


Petite fille nue assise, jambes repliées I, Elsbeth Modersohn (1904)
© Paula-Modersohn-Becker-Stiftung, Brême


La simplification des corps générée par le refus des détails et des particularités individuelles au profit d’une peinture de la pure présence témoigne bien chez Paula M. Becker d’une volonté de libérer la forme, de la laisser s’affirmer elle-même. Les portraits de fillettes et de garçonnets sont ainsi saisissants de cette présence comme si elle les avait laissés venir de l’intérieur, dans la pure présence de leur existence. Ce qui apparaît ici dépasse le tableau lui-même, la signification pour être pleinement dans l’ampleur d’une présence, dans la joie spacieuse. Le peintre ouvre alors un autre champ de vision comme antérieur à la construction de tout donné signifiant : un regard originellement donné et recouvert. En cette antériorité le réel se livre ainsi directement, en une impression première, précédant toute captation, toute restriction par la sphère mentale : regard archaïque, vision immémoriale s’exerçant avant l’intervention du discours et libérant la pleine réalité d’une présence non interprétée comme nous le montre ce Portrait de jeune fille, les doigts écartés devant la poitrine (vers 1905) : Paula M. Becker y modèle le visage clair et lumineux, et le fait ressortir sur les tons pastels et terreux de l’arrière-plan. Pourtant ni la lumière ni les ombres ne sont ici employées comme des moyens plastiques. Ce sont bien plutôt d’épaisses couches de peintures qui laissent par endroits transparaître la structure de la toile. Ainsi Paula M. Becker libère ici le portrait de tout prétexte narratif, mais plus encore la peinture même du significatif. Tendant à purifier la peinture du signe, le peintre tend vers cette forme pure, refusant la production de fiction, l’image des choses et des gens, ou encore la peinture de l’extériorité absente.


Portrait de jeune fille, les doigts écartés devant la poitrine (vers 1905)
détrempe sur toile, 41 x 33 cm
Von der Heydt-Museum, Wuppertal
© Paula-Modersohn-Becker-Stiftung, Brême


En se défaisant des images, de la restriction figurative, Paula M. Becker excède ce qui montré pour atteindre ce qui est présent – débordant ainsi la signification, la détermination particulière et la personnalisation, elle libère la peinture de toute clôture et la rend à sa propre gestation, à sa fécondité interne – acte pur de peindre ou puissance affirmative de la sensibilité. Chez Paula M. Becker, la présence effective se défait de la représentation et s’ouvre alors à l’exigence de l’être là dans une grande et simple beauté : voix nue qui réside dans les choses, dans les êtres19. Par le geste audacieux du peintre qui laisse ainsi passer la grâce de la naissance éternelle, l’immensité est retrouvée en son actualité, dans la présence si prégnante des regards d’où s’élève le souffle singulier d’un chant universel – celui de notre humanité dans sa grandeur, dans sa beauté simple, précaire. Quand nous regardons Tête d’une jeune fille blonde (1905), nous y reconnaissons notre humanité atemporelle.


© Paula-Modersohn-Becker-Stiftung, Brême

La grâce du geste libre de Paula M. Becker a permis la manifestation de ce « frémissement en soi », de cette « vibration » où passe le souffle intime de l’être qui dit, en sa sensibilité détachée de toute référence et de toute fonction du signe, quelque chose d’infiniment musical. 19

Isabelle Raviolo
D.R. Texte Isabelle Raviolo, Paris, décembre 2016

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1 La sœur de l’artiste, Herma Weinberg nous dit en effet que pour Paula, « dans l’ensemble, cela se passait dans une solitude inouïe » citée par Rolf Hetsch (éd.), in Paula Modersohn-Becker, Ein Buch der Freundschaft, Berlin, Rembrandt Verlag, 1932, p. 18.
2 Journal, 1er décembre 1902, in Paula Modersohn-Becker, Briefen und Tagebüchern, édition de Günter Busch et Liselotte von Reinken, révisée et augmentée par Wolfgang Werner, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 2007, p. 388.
3 Après une visite à Worpswede, Rilke écrit : « Le plus curieux fut de trouver la femme de Modersohn dans une évolution très personnelle de sa peinture, peignant sans égards et droit devant des choses qui sont très de Worpswede et que pourtant jamais personne n’avait été capable de voir et de peindre auparavant. » Rainer Maria Rilke à Karl von der Heydt, le 16 janvier 1906.
4 Vers extrait des Élégies de Duino.
5 Paru aux éditions P.O.L en 2016.
6 « Je ne veux pas être à moitié, je veux être tout entière », dit Paula à Otto Modersohn, son mari, dans une lettre du 29 décembre 1900.
7 Journal, 26 juillet 1900, in Paula Modersohn-Becker, Briefen und Tagebüchern, édition de Günter Busch et Liselotte von Reinken, révisée et augmentée par Wolfgang Werner, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 2007, p. 266.
8 Journal, 20 février 1903, in Paula Modersohn-Becker, Briefen und Tagebüchern, id., p. 409.
9 Si ce sont les œuvres de Cézanne et de Gauguin qui ont rendu Paula M Becker consciente de la question de la forme, les portraits funéraires antiques lui ouvrent les yeux sur l’humanisation de cette forme. Après sa « rencontre » avec les portraits du Fayoum au Louvre, Paula va chercher à donner la vie aux formes – par-delà toute recherche de représentation, de figuration.
10 Journal, 3 juin 1902, ibid., p. 376.
11 M. Darrieusecq, Être ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker, Paris, P.O.L, 2016, p. 81.
12 « Je dois faire de la grâce ma chair et mon sang ». Journal, in Paula Modersohn-Becker, Briefen und Tagebüchern, ibid., p. 124.
13 R. Maria Rilke, Requiem pour une amie, Traduction Jean-Yves Masson, Lagrasse, Verdier Poche, édition bilingue, 2007.
14 Journal, 3 juin 1902, in Paula Modersohn-Becker, Briefen und Tagebüchern, ibid., p. 376.
15 Paula M Becker confie ainsi à Clara Rilke-Westhoff : « Ces derniers temps, je pense à nouveau intensément à mon art, et je crois qu’en moi cela avance. Je découvre même, me semble-t-il, un lien avec le soleil. Non pas le soleil qui divise tout et jette partout des ombres, effeuillant le tableau en mille parties, mais le soleil qui couve et rend les choses grises et lourdes, les reliant toutes dans cette lourdeur grise, de sorte qu’elles ne font plus qu’un. » Lettre à Clara RilkeWesthoff, 13 mai 1901, ibid., p. 344. C’est ce rapport au soleil « intériorisé » qui distingue Paula M. Becker de Paul Cézanne, ce dernier ayant travaillé « sur le motif ».
16 R. Maria Rilke, Requiem pour une amie, Traduction Jean-Yves Masson, Lagrasse, Verdier Poche, édition bilingue, 2007.
17 Journal, in Paula Modersohn-Becker, Briefen und Tagebüchern, ibid., p. 345.
18 Journal, 25 février 1903, in Paula Modersohn-Becker, Briefen und Tagebüchern, ibid., p. 345.
19 Depuis Paris, Paula M. Becker écrit à son mari, Otto que les tableaux doivent « avoir en eux un souffle, un pressentiment, une étrangeté, comme dans la nature telle qu’elle nous apparaît dans les instants où notre regard se porte, sincère et clair, sur l’essence singulière des choses. » Lettre de Paula Modersohn-Becker à Otto Modersohn, 18 février 1903.


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