Trouver l’apaisement à Tel Aviv ?

Publié le 08 novembre 2016 par Masmoulin

Michael Halak, I Will Dress You a Gown of Concrete and Cement, 2014, acrylique sur toiles montées sur bois

en espagnol

On trouve de tout au Musée de Tel-Aviv. Le mur de la séparation d’apartheid, devenu ici objet peint contre un mur, élément décoratif dont le cartel se garde bien de noter la dimension explosive, se contentant de donner son poétique titre « I will dress you a gown of concrete and cement ». Ne serait-ce pas plutôt une camisole, ou un linceul ?

Barak Ravitz, Chatzi Goren (demi- cercle), 2013

Juste à côté, un ensemble concentrique de photographies de balles de paille, qui, lui, paraîtrait tout à fait pacifique et bucolique si on ne lisait pas sa notice, laquelle commence par une citation de Matityahu Shalem « les femmes du village, vêtues de blanc, vont bénir les champs, chantant la gloire de la vision Sioniste et la renaissance du pays », et poursuit en glorifiant le sublime pathos Sioniste (majuscule dans le texte original).

Groupe Zik, Minaret of Defense, 2016, bois et autres matériaux

Le comble de l’ambiguïté quelque peu hypocrite est une installation dans le puits central des rampes d’accès aux étages, Minaret of Defense, par un groupe nommé Zik : une grande tour en bois, impressionnante, mais qu’on ne peut voir en entier, simplement découvrir partiellement à chaque étage via les ouvertures, ou d’en bas; cette structure a été érigée le 12 mai, jour de l’indépendance d’Israël, ou de la Nakba (mais ce mot est interdit, bien sûr). La feuille de salle multiplie les allusions, aux gratte-ciels et à la tour voisine de bureaux Marganit, aux tours bâties lors du mouvement intensif de colonisation « Mur et Tour » dans les années 1930 (auquel faisait allusion, bien différemment, Yael Bartana – par ailleurs absente du musée, tout comme Sigalit Landau, comme Michal Rovner, comme Miki Kratsman, comme tous ces artistes d’espoir et de contestation), où les tours construites pour la sécurité des nouvelles colonies évoquaient vaguement les minarets des villages arabes voisins dépossédés de leurs terres : le texte se termine par ces mots « Cela représente le culte du militaire et indique le lien avec l’espace musulman environnant et le conflit avec lui ». Mais pas une fois le mot mirador n’est mentionné…

Itay Marom, Dogs, 2015, capture d’écran vidéo

Ailleurs, une vidéo montre des chiens errants dans la colonie de Kyriat Arba, à Hebron, et plus particulièrement dans le parc Meir Kahane, près de la tombe de Baruch Goldstein : ces chiens sont en bonne compagnie… Dans ce paysage artificiel très laid, béton, lumière jaune et grillages barbelés, ces chiens bien nourris errent : de l’autre côté de la barrière de séparation, passe un chien noir et blanc, maigre, efflanqué. Là encore, le cartel s’emploie à nous persuader que cette vidéo n’a pas de signification politique.

Menorah sur pierre, faux du XXe siècle

Tout un étage est consacré à une exposition Fake, sur le mensonge, la contrefaçon : des tableaux, des photographies (la fausse photographie de la rencontre entre Theodor Herzl et l’empereur Guillaume II à Mikve Israel), des vins, des objets de luxe. Dans un coin, une vitrine sous le titre « Forgeries for positive purpose » présente les faux passeports des agents du Mossad, c’est très édifiant. Un peu plus loin, l’archéologie étant elle aussi une arme de guerre, on voit une menorah sculptée dans la pierre, prétendument antique et en fait fabriquée au XXe siècle : ça peut toujours servir à justifier une nouvelle implantation (comme ce bout de papyrus). On apprend au passage que la contrefaçon n’est pas un crime selon la loi israélienne.

Eli Gur Arie, Growth Engines, vue d’exposition

Enfin, errant un peu désemparé au milieu de ces narrations bien orientées (et j’en passe), on se raccroche à W. Eugene Smith, à Taryn Simon et à l’exposition baroque et incongrue de Eli Gur Arie, où on croit pénétrer dans un tableau de Bosch : on est entouré de créatures étranges, hybrides, futuristes, monstrueuses, apocalyptiques. Le catalogue, tout aussi décalé, parle de résistance à une catastrophe écologique, de fin du monde et de fertilisation créative. Le tout sous des bombes parachutées, histoire de ne pas oublier dans quel pays on est.

Micha Ullman, Midnight, series Containers, 1988, acier et sable rouge

On se console avec cette superbe maison rougeâtre de Micha Ullman, magnifique artiste de la terre, avec qui on s’apaise et on respire, enfin.

Photos de l’auteur, excepté 2 & 4.

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