Le climat, c’est cuit : pourquoi la conférence climatique de Paris sera un succès

Publié le 25 mai 2015 par Alainlecomte

+2°C, c'est trop ? " Impacts en hausse non-linéaire entre 1,5 °C et 2 °C ", selon un rapport de l'UNFCCC produit par des membres du GIEC ! Synthèse / Doc [MàJ 26/5]

Entendons-nous bien : c'est cuit.

Si nous voulons rester en-deçà de 2°C de réchauffement, il FAUT que les émissions mondiales de gaz à effet de serre commencent à décroître très fortement avant 2025. L'Union européenne adopte ces jours-ci une réforme afin de sortir du coma son marché des quotas d'émissions de CO2, l'instrument de lutte contre le réchauffement le plus ambitieux sur Terre, moribond depuis plusieurs années. Or, d'après plusieurs analyses concordantes (dont celles fournies par Bruxelles), la réforme en cours ne pourra aboutir à l'émergence d'un prix d'émission de la tonne de CO2 assez élevé pour contraindre les industriels à se détourner massivement des énergies fossiles avant... 2023-2025. Au plus tôt. Et l'Europe fait figure de pionnière en matière de transition énergétique.

" Quoi ?! Un prix plancher du carbone, une taxe carbone aux frontières, mais mon vieux, c'est impossiiible !... ", entends-je chanter sur tous les tons depuis quelques mois que je m'exerce au lobbying entre Paris et Bruxelles.

Chacun sait pourtant qu'il faut très vite baisser le feu sous le grand fait-tout de la thermo-industrie.

Au rythme actuel, il ne nous reste plus que vingt ans (2035) avant d'épuiser notre " budget carbone" , autrement dit la quantité de CO2 que nous pouvons encore émettre dans l'atmosphère sans (trop) risquer d'aboutir à un réchauffement supérieur à 2°C d'ici à la fin du siècle. Et ce, à condition qu'après 2035, l'humanité n'émette plus du tout de gaz à effet de serre.

Sauf à rêver d'un sursaut radical, seuls une divine surprise et/ou un cataclysme économique semblent pouvoir encore nous empêcher d'altérer irréversiblement le climat. (Une butée contre les limites physiques à la croissance reste bien sûr tout sauf improbable.)

" Vous avez raison, je crois qu'il est certainement déjà trop tard pour empêcher un réchauffement de plus de 2°C ", m'a concédé l'autre jour Martin Wolf, maître analyste au Financial Times, la pythie de la City. Pas vraiment un scoop, du reste. Assis aux côtés de Wolf sur l'estrade d'un amphithéâtre de Sciences Po, Alain Juppé pour sa part s'en est tiré par cette boutade : " Je vous recommande de voir le film Interstellar : on devrait peut-être se chercher une autre planète ! " Il a pouffé un peu.

La semaine dernière à Paris, au siège de l'Unesco, se tenait le Business & Climate Summit, où s'est rassemblé tout ce que compte le monde d'agents majeurs du réchauffement climatique : industriels, financiers, représentants de la Banque mondiale, de la Commission européenne et de la plupart des pays riches nouveaux et anciens.

Au chœur des alarmistes, les compagnies d'assurance se sont distinguées. D'après l'un des leaders du secteur, la firme Swiss Re, l'économie mondiale ne sera sans doute plus assurable dans un monde à +2°C.

" Il est temps d'agir ", ont répété à qui mieux mieux les intervenants. Leitmotiv du moment, à sept mois de la conférence internationale (et forcément historique) qui doit se tenir en décembre à Paris : " Il nous faut un prix du carbone ! "

Indolente doléance indolore. Au sein du bataillon richement encravaté dans lequel on brandit ce nouvel étendard du " carbon price ", se retrouvent bien souvent les représentants des mêmes firmes qui lobbyisent dur à Bruxelles depuis des années afin d'empêcher ce dont de toute façon personne ne veut (hormis des ONG écolos à peu près impotentes) : un durcissement réputé économiquement suicidaire des règles du marché européen des quotas d'émission. C'est-à-dire du prix du carbone.

Economie / Ecologie : comment deux mots si proches peuvent-ils se retrouver si diamétralement opposés ?

A l'Unesco, le contrôle de réalité s'est effectué par la bouche de l'heureux propriétaire du plus splendide costume aperçu lors de ce raout capitaliste bienveillant. Tony Hayward, ex-PDG de BP à l'époque de la marée noire du golfe du Mexique en 2010, et désormais patron de Glencore, leader mondial du négoce de matières premières (métaux, pétrole, charbon, gaz, denrées agricoles), a jeté un froid passager en lançant au cours d'une table-ronde : " Même avec la meilleure volonté du monde, l'énergie solaire n'est pas une solution pour l'industrialisation à grande échelle, que ce soit en Inde ou ailleurs. Vous ne pouvez pas faire de l'acier avec du solaire. (...) A moins de regarder cette réalité en face, ce débat n'ira nulle part. " Un peu plus tard, un autre maître du monde tel qu'il est, Ali Al-Naïmi, ministre du pétrole saoudien, questionne : " Où serait l'Ouest aujourd'hui sans le pétrole ? " Et d'affirmer que bien que l'Arabie Saoudite se soit décidée à développer rapidement sa production d'électricité solaire, " les carburants fossiles domineront encore le mix énergétique mondial jusqu'en 2040-2050 ".

En tout lieu et de tout temps, la puissance (économique, politique, militaire, biologique, chimique, etc.) demeure en premier ressort une affaire d'énergie : un watt égale un joule par seconde.

Lorsque Liu Zhenya, président de la compagnie d'Etat en charge du réseau électrique chinois, s'est avancé sur l'estrade pour asséner l'étourdissante présentation d'un futur réseau à ultra haute-tension constellant autour de l'Empire du Milieu, " un réseau omniprésent pour un village global harmonieux avec ciel bleu et mer verte " (sic), capable d'acheminer l'énergie solaire à travers les fuseaux horaires et les continents d'ici à 2050, j'ai songé à ces ingénieurs soviétiques qui prétendaient renverser le cours des fleuves de Sibérie " pour les faire remonter vers leurs sources fécondes ", et aux fantasmes des premiers rois d'Arabie Saoudite qui espéraient voir verdir leur désert grâce à l'or noir. Hochant la tête en direction du mandarin, un haut responsable d'EDF m'a glissé, dubitatif : " Il rêve. " Qui saurait dire si un tel rêve, porté par l'une des compagnies industrielles les plus puissantes du monde (la Chine produit aujourd'hui davantage d'électricité que les Etats-Unis) est un programme industriel solide, une utopie ou bien encore une dystopie appâtant ?

En dépit de récents soubresauts sauvages à la bourse de Hongkong, la croissance de l'industrie chinoise des énergies renouvelables hypnotise au point qu'on en oublierait que la Chine est devenue, au cours de ses quinze dernières années de croissance explosive, le premier importateur mondial de brut, le premier consumateur mondial de charbon, le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre ( au moins...), et qu'elle a su avancer ses pions tout autour de la planète pétrole, s'imposant en particulier comme premier opérateur du pétrole irakien.

Oui, l'économie politique est affaire de puissance, qui elle-même est affaire d'énergie. En France ces temps-ci, la gauche, comme souvent, se montre prête à avancer plus loin que la droite au fond de cette logique. Pendant que la Libye s'abîme dans le néant politique et le terrorisme (la Libye, vous savez : notre petit Irak à nous, où Alain Juppé, lorsqu'il était le ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, se croyait en mesure d'ouvrir la voie à de juteux profits pour les pétroliers français), Laurent Fabius et François Hollande savent tirer habillement du feu de la guerre qui embrase le Moyen-Orient la vente, Cocorico !, de quelques avions de guerre, profitant sans crainte du vide laissé par l'intenable position américaine héritée du chaos engendré par le pétrolissime George Bush. Nous (vous et moi) acceptons donc de vendre les armes françaises " dernier cri " - le Canard Enchaîné nous apprend cette semaine que ces ventes se font pour la première fois sans la moindre restriction - à des pétro-potentats dont l'exercice du pouvoir politique, au Qatar, au Koweït, aux Emirats arabes unis et bien sûr en Arabie Saoudite, consiste à ne pas trop chercher à entraver les flots de pétro-dollars de " donateurs privés " (selon l'expression reprise dans une récente enquête du Congrès américain) qui alimentent depuis bientôt quarante ans les formes sans cesse plus périlleuses et monstrueuses du fanatisme islamiste. (Tandis que contre toute attente et malgré des mois de bombardements, les finances de Daesh demeurent solides, indique le New York Times.)

A sept mois de la conférence sur le climat, la diplomatie française ne redoute pas de contribuer à asseoir un peu plus la puissance des monarchies pétrolières du Golfe, dont l'Ouest ne semble décidément plus avoir d'autre choix que de laisser s'épancher aujourd'hui au Yemen, et demain où ?, un aventurisme militaire qui paraît rechigner à respecter les cessez-le-feu et qui, selon Human Rights Watch, larguerait des bombes à fragmentations made in the USA. Va comprendre, Charles : la bonne vieille politique arabe de la France prend un sacré drôle de tour. Et ce, comme de juste, dans l'indifférence à peu près générale ici.

La politique est toujours et partout affaire de puissance, et la lutte contre le réchauffement climatique menace d'entraver l'effectuation de bien trop de puissances :

voilà pourquoi la " COP21 ", la vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ( voyez l'émouvant site de présentation mis en ligne par le gouvernement français) sera un succès.

Ambassadrice de la France chargée des négociations sur le changement climatique, Laurence Tubiana n'en faisait pas mystère la semaine dernière dans le grand amphithéâtre de Sciences Po :

" Tout le monde veut un accord, mais un accord a minima. "

On est tenté de remplacer ce " mais " par un " donc ".

Face au minimalisme complaisant des politiques, la finance s'avance maintenant comme l'espoir ultime ! Au lendemain du Business & Climate Summit se tenait vendredi 22 mai 2015, toujours à l'Unesco, un Climate Finance Day au cours duquel de hauts cadres d'une forêt de banques et de fonds d'investissements (dont la sève est de pétrole, de gaz naturel et de charbon) ont fait mine de se cacher derrière l'arbre planté récemment par quelques avant-gardistes en costumes trois-pièces ayant entrepris de " décarboner " une portion pour l'heure infime du capitalisme global.

On appelle ça le désinvestissement, un mouvement comparé outre-Manche et outre-Atlantique au boycott du régime d'apartheid et à la campagne contre les géants du tabac. Certains désinvestissent, donc. Mais qui, du coup, rachète les actions moins cher...?

Faute de contraintes sérieuses imposées par les négociations internationales, cette voie faisant appel à la rationalité des marchés confrontés au risque climatique et à une encore hypothétique " bulle carbone ", voie ouverte par des hérauts tels que Michael Bloomberg et Hank Paulson, apparaît maintenant la plus prometteuse parmi celles dans lesquelles la lutte contre le réchauffement s'est engagée. C'est dire comme on est bien... De destructions créatrices en quantative easings, la " main invisible " du marché n'a jamais été tellement verte. Et pour cause ?

Vendredi à l'Unesco, quoi qu'il en soit, des financiers ont trinqué au sauvetage de la planète. Tous ont insisté sur l'urgence de la situation.

L'urgence...

" Il y aura probablement de grandes migrations de populations en provenance des régions du monde menacées par les inondations et de celles [...] qui vont se désertifier. Ces gens-là n'imploreront pas d'avoir des puits de pétrole, mais de l'eau. "

De qui ce vibrant cri d'alarme publié en première page d'un quotidien anglais sous le titre épique : " Course pour sauver le monde " ? De Maggie Thatcher, figure tutélaire du capitalisme néo-libéralisé et financiarisé. C'était lors de la remise du tout premier rapport des climatologues du Giec, en mai... 1990, il y a pile un quart de siècle [*].

Résumons. Tout le monde désormais veut un prix du carbone. Mais pas trop cher, hein : les politiques attendent que l'économie bouge, laquelle attend que les politiques bougent. Farandole inerte. En France, tout ce monde se réjouit du " frémissement " actuel de la croissance économique, glissant sur le fait que la reprise est en large part due à l'effondrement des cours du brut.

Une dernière chose : les solutions qu'appelleraient un prix fort du carbone pour se passer un peu des énergies fossiles sont complexes (capture du CO2, stockage de l'énergie générée par les renouvelables intermittents, réseaux électriques intelligents, etc.). C'est bien parce qu'elles sont complexes, techniquement lourdes, que ces solutions sont chères.

Or, nul ne saurait affirmer que le " développement durable " ne risque pas de réclamer davantage de ressources matérielles, et non une consommation moindre de ces ressources. Il faut considérer en effet (air connu sur ce blog) qu'une voiture hybride a deux moteurs. Et même une politique de recyclage intense et draconienne serait incapable d'empêcher un épuisement des ressources, à moins de renoncer à la croissance de la consommation matérielle, concluait en 2010 un haut responsable de Veolia.

Pour illustrer l'enjeu, à mon sens crucial, je recommande la lecture de cet écœurant reportage publié par la BBC sur la ville de Baoutou. Située en Mongolie intérieure, cette citée obscure est l'un des plus importants centres mondiaux d'extraction de terres rares, minerais nécessaires à tous nos gadgets électroniques, ainsi qu'à l'efficacité de nos éoliennes, de nos panneaux solaires et des voitures électriques.

Et vive le mouvement des villes en transition !

[*] Voir " Or Noir ", p. 535.

!#Climat +2°C C'EST TROP, DIT LE GIEC : " Impacts en hausse non-linéaire entre 1,5 °C et 2 °C "! http://t.co/wyt1XgDKk1 http://t.co/HaqFbwM4TO

- Matthieu Auzanneau (@OIL_MEN) 26 Mai 2015

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Je recommande aussi la lecture du dernier rapport estampillé par le club de Rome, intitulé " Le grand pillage ", éd. Les petits matins, rédigé sous la direction d'un universitaire italien depuis longtemps passionné par la question du pic pétrolier, Ugo Bardi. Je signale enfin la parution d'une tribune de l'ASPO France sur le pic pétrolier publiée par Les Echos : bon résumé. Nous reviendrons sur le sujet.

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Je suis depuis 2010 blogueur invité de la rédaction du Monde. Signaler ce contenu comme inapproprié

Au mois de mars, j'ai publié" Or Noir, la grande histoire du pétrole ", éd. La Découverte (26 euros, 620 pages hors annexes). Dans ce livre, j'essaye de raconter comment l'abondance énergétique a - par elle-même - transformé le monde, et j'envisage ce qui risque de nous attendre pour la suite :