Nicolas Maduro inaugure son programme radiophonique consacré à la salsa. DR
Jurate Rosales, 87 ans, directrice de l’hebdomadaire Zeta, a été convoquée par un tribunal de Caracas pour une plainte pénale, le 31 octobre. Son crime ? Avoir publié dans le quotidien El Nuevo Pais, du même groupe de presse, le résumé d’une dépêche de l’agence Bloomberg sur l’entreprise pétrolière d’Etat PDVSA, au bord de la faillite. Dès le dépôt de plainte pour diffamation par la direction de PDVSA, le 12 octobre, Jurate Rosales a été interdite de quitter le territoire national.
Peine perdue, car elle se rend à son bureau chaque jour et traverse tout Caracas, de l’est résidentiel jusqu’au centre-ville, « zone rouge », bastion du pouvoir chaviste, où les opposants ne sont pas les bienvenus. « Nous avons songé à déménager, admet-elle, mais la rotative et nos rédactions se trouvent ici depuis des lustres et les voisins nous apprécient, nous protègent, même. »
Le patron du groupe, Rafael Poleo, est en exil à Miami. L’immeuble offre une image de désolation, car le nombre de rédacteurs a fondu, même parmi les jeunes, qui n’ont pourtant pas beaucoup d’autres options. La peur n’est sans doute pas étrangère à leur décision, parce que l’intimidation est fréquente. Ainsi, le député et ancien ministre des relations extérieures, Elias Jaua, a menacé de tuer un journaliste s’il le croisait dans la rue. Il lui reproche d’avoir révélé un voyage à Brasilia de la famille Jaua au complet, nounou incluse, aux frais du contribuable.
A Caracas, en 2015. Marco Bello/Reuters
Révéler les turpitudes du régime est passible des tribunaux, ce qui a pour résultat de tuer dans l’œuf toute velléité de faire du journalisme d’investigation. D’ailleurs, les rédactions n’en ont plus les moyens. El Nuevo Pais est réduit à huit pages, la revue Zeta à 34, sans aucune publicité, car les annonceurs encourent aussi des représailles du pouvoir, à l’heure où les militaires contrôlent les principaux leviers de l’économie. « Nous sommes à court de papier et d’encre, nous avons été obligés de réduire la couleur à la portion congrue », déplore Jurate Rosales. Les synthèses de dépêches alternent avec des chroniques non rémunérées. L’impression de grisaille saute aux yeux, mais les lecteurs restent fidèles à leur journal.
Tous n’ont pas la même chance. Le quotidien Tal Cual, fondé par Teodoro Petkoff, figure de la gauche social-démocrate, a jeté l’éponge et paraît désormais une fois par semaine sur 24 pages. Longtemps quotidien de référence, El Nacional connaît ses pires heures. Le propriétaire, Miguel Henrique Otero, reste en exil pour éviter la prison, tandis que le directeur de la rédaction, Argenis Martinez, fait l’objet d’une mesure de « confinement » : il ne peut pas quitter le pays et jusqu’à récemment il lui était interdit même de se déplacer en province.
La mise au pas de la presse s’est accompagnée de l’achat des quotidiens El Universal et Ultimas Noticias, le plus populaire, par des proches du gouvernement. Leur ligne éditoriale a changé du jour au lendemain : on ne s’embarrasse plus de couvrir les déclarations de l’opposition ni de faire semblant de respecter le pluralisme. A la télévision, la chaîne d’information en continu Globovision a été la dernière à changer de main.
Déclin de la presse régionale, essor du journalisme numérique
« La presse régionale comptait une centaine de titres, comme “El Carabobeño”, avec 450 journalistes et employés, rappelle Carlos Correa à l’association Espace public, à Caracas. La disparition de nombreux journaux provoque une concentration médiatique et prive de nombreux Vénézuéliens d’un accès équitable à l’information. » Cette concentration n’est pas suscitée par les lois du marché ou la révolution numérique. Elle est le résultat d’une stratégie : « L’hégémonie communicationnelle à laquelle aspirait le pouvoir chaviste est désormais complète, et elle fonctionne efficacement », explique Rafael Uzcategui, coordinateur de Provea, organisation de défense des droits de l’homme.
Seule la chaîne américaine CNN en espagnol rétablit un tant soit peu l’équilibre, ce qui explique les pressions à l’encontre de ses reporters et des journalistes étrangers de manière générale (dix-sept expulsés en deux mois et demi). Certains sujets font l’objet d’une censure systématique. Ainsi, la plupart des Vénézuéliens ignorent tout de l’affaire dite des « narco-neveux », jugée actuellement en Floride : des proches du président Maduro ont trempé dans le trafic de drogue pour financer la campagne électorale de son épouse, la députée Cilia Flores.
Le blocage de l’information est rompu uniquement par les réseaux sociaux et par des sites sur Internet, comme Prodavinci, Armando.info, El Estimulo, El Pitazo ou encore Efecto Cocuyo. Ce dernier regroupe des jeunes enthousiastes autour de trois journalistes expérimentées, qui partagent un local avec d’autres start-up. Mais les autorités ont déjà bloqué un millier de pages Web, selon des sources officielles. Le 17 novembre, des hommes armés et masqués ont attaqué la rédaction de El Estimulo, à Caracas, et volé tout le matériel.
Le pouvoir agit de manière discriminatoire et discrétionnaire. « Nous n’avons jamais obtenu gain de cause auprès de la justice », déplore Carlos Correa, dont l’association défend les journalistes. Le président Nicolas Maduro fait partie des prédateurs de la liberté de la presse dénoncés par Reporters sans frontières. Jurate Rosales n’est pas surprise. Vénézuélienne d’origine lituanienne, sa famille a connu la répression stalinienne. Autant dire qu’elle ne croit pas au « socialisme du XXIe siècle » prôné par l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013), sous l’influence de Fidel Castro. En matière de liberté de la presse, Cuba n’est vraiment pas un exemple.