La candidate Veronika Mendoza du parti Frente amplio, dans le district de San Sebastian à Cuzco, le 10 avril. REUTERS / JANINE COSTA/REUTERS
Malgré une montée fulgurante de la candidate Veronika Mendoza dans les sondages et une dynamique de mobilisation spontanée, la gauche a perdu l’élection présidentielle au Pérou. Dimanche soir 10 avril, la déception était visible sur le visage des sympathisants rassemblés devant le siège de campagne à Lima. La qualification pour le second tour de scrutin leur avait été ravie par Pedro Pablo Kuczynski, dit PPK (centre droit), qui tentera d’éviter la victoire de la populiste Keiko Fujimori, la favorite.
Une semaine auparavant, lors du seul débat télévisé entre les dix candidats présidentiels, les Péruviens avaient découvert un deuxième postulant de gauche, Gregorio Santos, ancien président de la région de Cajamarca (nord). On ne l’avait pas encore vu pour une raison simple : il est emprisonné, en attente de jugement pour corruption.
Il a néanmoins été autorisé à participer au débat, avant d’être réincarcéré. Sur l’écran, « Goyo » Santos s’époumonait comme s’il s’adressait à un meeting de rue sans micro. Sa véhémence d’agitateur populaire, habitué à mener des luttes dans les régions rurales contre les multinationales minières, contrastait avec l’éloquence réfléchie de Veronika Mendoza. Les propos n’étaient pas foncièrement différents, mais le ton était assez contrastant.
Dans la semaine qui a suivi, les sondages ont enregistré une poussée des intentions de vote pour Gregorio Santos, tandis que « Vero » cessait de progresser. Les suffrages du premier étaient un vote protestataire, alors que la seconde avait été perçue comme une possibilité réelle de changement.
Une défaite due à la faiblesse de la gauche
« Goyo » Santos s’est payé le plaisir de battre à plate couture le Frente amplio (Front élargi) de Mendoza, à Cajamarca, alors que le coéquipier de Vero, le prêtre défroqué Marco Arana est, lui aussi, un dirigeant lié aux luttes de la région. Les voix qui sont allées à Santos auraient pu faire la différence pour que Vero passe au second tour.
La défaite de la candidate franco-péruvienne n’est donc pas due aux médias, au manque d’argent ou à la virulence de la campagne, mais aux faiblesses de la gauche péruvienne. Vero s’est lancé il y a cinq mois alors que Keiko Fujimori est en campagne depuis cinq ans. Une primaire organisée en octobre 2015 a déchiré les rangs du Front élargi. La gagnante, Veronika Mendoza, a choisi son rival, Marco Arana, comme candidat à la vice-présidence, pour tenter de panser les plaies.
Malgré ce geste, une bonne partie de la vieille gauche a longtemps boudé. Le Front élargi n’a pas réussi à faire le plein, encore moins à rassembler au-delà de la gauche. En d’autres termes, il n’est pas « amplio » du tout. Outre Tierra y Libertad, l’organisation radicale du Padre Arana, le Front réunit des communistes, des socialistes, une partie de l’extrême gauche. Tous réduits depuis des années à l’état de groupuscules : beaucoup de caciques, peu de tribus.
« Le groupe Sembrar de Vero représente une vision moins traditionnelle de la gauche, estime Rocio Silva Santisteban, défenseure des Droits de l’homme engagée dans la campagne du Front élargi. Vero n’est pas un caudillo, comme d’autres dirigeants de la gauche latino-américaine. Il y a peut-être au Front des chavistes, mais dans l’ensemble on se reconnaît dans l’Equateur de Rafael Correa plutôt que dans le Venezuela. »
« Rigide et dogmatique comme un curé»
Tierra y Libertad est la principale organisation du Front. « Marco Arana est rigide et dogmatique comme un curé, il a confiance uniquement dans ses propres militants et se méfie de tous les autres, affirme l’historien de gauche Antonio Zapata, qui a participé à la campagne électorale de Vero. Et d’ajouter : Aucun parti ne remporte sa première élection, il vaut peut-être mieux profiter de la mobilisation et du capital de sympathie suscité par cette campagne pour organiser le Front élargi. Les partis péruviens sont souvent nés ainsi, à commencer par l’Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA), qui a longtemps marqué la vie du pays. »
Veronika Mendoza est parvenue a attirer, en un temps record, un nombre de voix qui a remis sur orbite la gauche. Si on additionne ses voix, celles de Gregorio Santos et celles du candidat de centre gauche Alfredo Barnechea, on s’aperçoit que le capital électoral de la gauche atteint à peine 30 % des suffrages. C’est le cas de presque toute la gauche en Amérique latine, qui ne peut concevoir de stratégie électorale sans passer par une coalition de centre gauche.
Vero dispose désormais d’un leadership incontesté et d’un groupe parlementaire d’une vingtaine d’élus. La consolidation du Frente amplio passera sans doute par des efforts de clarification idéologique et politique.