Comme souvent dans les récits de trafic, tout commence par une arnaque. Une tonne de résine appartenant à un gangster espagnol, El Feo, est braquée lors d’une livraison. Résultat, Morphée, négociant local qui règne sur la revente dans une cité de la banlieue parisienne, est très énervé. Il envoie son principal lieutenant, le jeune Shams, en Espagne pour récupérer la marchandise. Pourquoi ? Parce que l’oncle de ce dernier, un type nommé Farid qui possède une boîte à filles au bord d’une route nationale, vit là-bas. Il faisait partie de la transaction et a disparu dans le braquage.
Jusque-là, les choses ne sont pas d’une limpidité parfaite mais on peut imaginer qu’il y a matière à faire une série sur les circuits d’approvisionnement, les dangers du convoyage ou encore les enjeux d’un tel commerce. Il n’en est rien. Le scénario reste au niveau du micro-local. La focale se resserre autour des deux personnages que sont El Feo et Shams.
Leurs histoires sont montées et racontées en parallèle sans qu’aucun des deux ne rencontre jamais l’autre. On va à la Roseraie et on revient à Marbella (avec de brefs détours par le Maroc où est produite et conditionnée la résine) mais on ne perçoit jamais la relation entre les deux endroits, ni la logique de ces incessants va et vient, sinon celle de raconter deux histoires au lieu d’une.
On assiste donc à la métamorphose de Shams, petit voyou qui devient progressivement un caïd en s’opposant à son ancien patron, Morphée. On assiste également à l’évolution d ‘El Feo, gangster redoutable et cruel, cultivé et intelligent qui va rencontrer ce qu’il croyait ne jamais pouvoir connaître, l’amour.
Cannabis parle-t-elle de la cité de banlieue ? Oui, un peu mais pas très bien et de manière assez caricaturale et superficielle. Cannabis parle-t-elle du grand banditisme ? Oui, un peu mais pas très bien et de manière superficielle. En fait, la seule chose dont elle parle vraiment, ce sont des hommes, de leurs doutes et de leurs transformations. La drogue n’est au fond qu’un prétexte.
Mais cela pose la question suivante: pourquoi évoquer des questions sensibles si c’est pour les éluder en partie et ne pas les investir pleinemen ? Il y a dans cette série une constante hésitation qui n’est jamais résolue, quelque chose de bancal qui n’est jamais remis en équilibre. Pour ne rien arranger, vient se greffer une troisième histoire, celle d’Anna, la femme de Farid.
On a du mal à croire qu’elle découvre comme une oie blanche les activités lucratives et bien peu morales de son mari. Ces activités qui lui permettaient d’avoir une belle maison, une belle voiture et de beaux enfants inscrits dans une bonne école. Sans sourciller, la mère de famille s’improvise naturellement mère marquerelle et tenancière de bordel. Il y a deux ou trois réflexions sur la force des femmes et leur capacité à se substituer aux hommes. Mais là encore, les chose ne sont pas abouties sur le thème de féminisme.
Enfin, la réalisation de Lucie Borleteau est tout ce qu’il y a de scolaire. Elle manque de rythme et d’imagination et gère assez mal les rebondissements. Il faut dire que le texte n’est pas d’une grande aide, au contraire. La mise en scène ne parvient pas à créer une sincère empathie à l’égard des personnages même si elle s’attarde lourdement et de manière répétitive sur les secrets de certains. On est plus dans le voyeurisme mal géré que dans l’intimité. Les acteurs sont mal dirigés et Kate Moran qui joue Anna est tout bonnement catastrophique.
L’échec de Cannabis tient sans doute à une absence de définition claire du sujet. Il aurait fallu choisir. Soit Shams, soit El Feo, l’un et l’autre portaient en eux une bonne histoire. Mais celle-ci n’a pas été écrite.
(Photo: Arte. Dessin: Martin Vidberg)