Case extraite d'une planche originale de Gaston Lagaffe par Franquin.
Depuis le 7 décembre jusqu'au 10 avril 2017, la bibliothèque du Centre Pompidou (Bpi) propose une exposition dédiée à Franquin, plus précisément au personnage de Gaston Lagaffe, apparu dans le magazine "Spirou" en 1957.
L'expo est destinée au grand public ; elle apprendra peu aux connaisseurs de Franquin et de son travail ; celui-ci a déjà fait l'objet de nombreuses monographies assez exhaustives (mises à la disposition des visiteurs de l'expo. dans un petit salon annexe).
Cette expo. dévoile la complexité technique, non seulement de la bande-dessinée, mais aussi de la presse destinée aux jeunes ados. Les albums de Gaston Lagaffe soulignent d'ailleurs ce paradoxe : à quel point la tâche de divertir est un métier sérieux. Les locaux et les employés de la maison Dupuis (située à Marcinelle en Belgique), ressemblent à s'y méprendre aux locaux et aux employés d'une banque ou d'une compagnie d'assurance... à l'exception bien sûr du personnage de Gaston Lagaffe.
Bien que Gaston Lagaffe soit une invention d'André Franquin, le dessinateur fut épaulé par une partie de la rédaction de "Spirou", son rédacteur en chef Yvan Delporte en tête, mais aussi le dessinateur Jidéhem, assistant de Franquin. Gaston Lagaffe et ses gags sont un exutoire collectif, qui laisse sceptique les directeurs commerciaux de la revue, inquiets des répercussions sur le lectorat d'un personnage et d'une BD aussi originaux.
Le personnage de Gaston Lagaffe est la tête de pont de plusieurs initiatives de Franquin, décalées par rapport à son métier de dessinateur de BD pour enfants : le "Trombone illustré", petit supplément humoristique encarté dans "Spirou", d'abord destiné à amuser ses auteurs ; puis les "Idées noires", série de gags d'humour noir à la tonalité antisociale, antimilitariste et écologiste, que Franquin finira par publier dans "Fluide-Glacial" à la demande de Gotlib.
Ce petit extrait d'une interview est sans doute significatif de l'état d'esprit de Franquin : "Parfois, je me dis que j'aurais dû commencer ce métier à Paris. On y vit, travaille et pense tellement plus intensément qu'ici. Si j'avais commencé ma carrière à Paris, je pense que les choses auraient été très différentes. En évoluant dans un environnement plus engagé, j'aurais probablement dessiné un autre genre de séries. Là-bas, vous pouvez faire rire les gens, tout en faisant passer un message. Pour ma part, j'ai souvent pensé que j'étais prédestiné à faire de mignons petits dessins inoffensifs, légers, superficiels..."
On peut trouver l'opinion de Franquin sur Paris excessivement élogieuse, compte tenu du conformisme de la presse française ("Charlie-Hebdo" fait figure d'exception, et Paris s'y intéresse surtout depuis la mort de ses dessinateurs). Le fait est que l'on sent une pointe de regret de la part de l'auteur de Spirou et du Marsupilami dans cette confession (1988).
Dans quelle mesure Gaston Lagaffe est-il subversif ? L'expo. de la bpi exagère cet aspect. Certes, Franquin s'est servi de Gaston Lagaffe (en de rares occasions), pour exprimer ses idées antimilitaristes. Mais qui l'antimilitarisme dérange-t-il vraiment ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'industrie de l'armement s'en accommode bien, au vu de son chiffre d'affaire. Gaston Lagaffe fut d'abord un exutoire pour son auteur.
A tout prendre, si Gaston Lagaffe est subversif, c'est surtout par sa façon de démolir de l'intérieur l'héroïsme de carton-pâte qui fut le fond de commerce de la bande-dessinée franco-belge, "Tintin" en tête.
Les inventions, plus inutiles les unes que les autres, du "génial" Gaston Lagaffe, sont aussi la caricature d'une époque où le superflu a pris la place de l'essentiel.
Fausse publicité pour le Mastigaston insérée par Franquin parmi de vraies pubs.