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Dominique lévesque est mort en vivant... ce qu'il voulait.

Publié le 21 décembre 2016 par Orage

DOMINIQUE LÉVESQUE EST MORT EN VIVANT... CE QU'IL VOULAIT.

© Radio-Canada / François Lemay | Dominique Lévesque


 Avec tant de tristesse, j'apprends ce soir la mort de Dominique Lévesque. Je l'ai connu à Jonquière, journaliste découvrant la fougue et la verve du futur Groupe Sanguin qui allait procréer des humoristes de grands talents. Que l'on pense à Dany Turcotte, Émile Gaudreault, Marie-Lise Pilote.
Dominique Lévesque est mort vivant, en pratiquant un de ses sports favoris au Honduras, la plongée en apnée. Ce n'est pas de l'humour. Ce n'est pas de l'ironie. C'est la vie. C'est sa vie.
Lors d'une entrevue mémorable, il m'a justement confié cette vie qui était la sienne et sa farouche volonté de ne pas mourir idiot. Préférant mourir que de se freiner. 
En mémoire de Dominique, je me permets de publier le reportage qui en a découlé, publié dans le cahier des arts du progrès-Dimanche.  On y retrouve toute sa sensibilité, son amour des mots et ce défi lancé à la vie : être aimé. Il a vaincu l'apparence pour démontrer la puissance du paraître.
Dominique, que cette modeste page puisse te dire, au-delà de tout, mon affection et mon admiration.
Entrevue réalisée pour le Progrès Dimanche  en 1999.
par Christiane Laforge
CHICOUTIMI (CL) - Blessé par les moqueries des autres enfants, timide et très seul, Dominique Lévesque a trouvé très jeune des alliés d'une fidélité indéfectible : les livres.  Sa curiosité insatiable, alimentée par un père qu'il aime infiniment, a fait de lui un boulimique du « connaître » et un adorateur des mots.
« Le pouvoir le plus fort c'est les mots.  Tu peux tuer, tu peux tout faire avec les mots.  Avec les mots, combien tu peux être assassin dans ta vie, dans ton couple, dans tes amitiés.  À ce sujet, Jean-Paul Sartre avait raison. » 
 L'humoriste, révélé par le Groupe Sanguin qu'il a créé à Jonquière avec plusieurs de ses élèves et réputé pour ses personnages enfantés pour Lévesque & Turcotte, carbure au travail.  Il a trouvé le secret des journées de trente-six heures. Le cerveau en ébullition, qui lui fait dire « J'ai des orgasmes avec les idées », il ouvre grand les bras pour saisir la planète.  
Il est rédacteur et concepteur pour plusieurs émissions de télévision (Les Mordus, gala de La Presse, bientôt gala Métro Star et plusieurs autres projets pour l'an 2000), metteur en scène, comédien (Virginie, Le Coeur au poing), homme de scène depuis quinze ans (Groupe Sanguin, Lévesque & Turcotte) applaudi par des centaines de milliers de spectateurs.  Il navigue sur Internet  autant qu'il peut (c'est-à-dire beaucoup) jusqu'au fond des forêts australiennes où il vient de découvrir l'existence d'une tribu préservée de la modernité, entre deux joutes de méli-mélo sur Infinite avec des concurrentes coriaces, tout en communiquant avec les nombreux visiteurs du site Lévesque & Turcotte dont plusieurs alimentent leur répertoire, tout en plongeant dans la lecture. Ouf! 
De passage pour deux représentations du spectacle Lévesque Turcotte arrivent en ville, il avoue : « Je n'ai apporté que cinq livres avec moi: La baignoire d'Archimède, Le loup est un loup, un livre sur les scientifiques à travers l'humanité, un autre sur les grandes tragédies humaines. » Après quoi court-il donc, lui qui avoue être incapable de s'arrêter, ne pas le vouloir non plus ?  « On me dit souvent, qu'à ce rythme-là, je me tue.  Peut-être, mais j'ai tellement peur de mourir idiot.  Je préfère mourir que de me freiner. »  Conclusion: il veut mourir vivant. 
On est loin du gars drôle, ironise-t-il, un peu agacé face aux gens qui attendent d'un humoriste qu'il soit un clown permanent.  Il n'est pas non plus le gars fatigué qui a tant fait rire les Québécois.  Dominique est davantage une boule d'énergie, dévorée par la curiosité autant que par le trac. 
Pour la curiosité, sa passion des livres, les immenses possibilités d'Internet ont de quoi le satisfaire.  Pour le trac, c'est une toute autre histoire.  Cela va jusqu'à le rendre malade et malheureux au point d'avoir annoncé que le spectacle Lévesque Turcotte arrivent en ville serait le dernier.
 « J'ai même fait une psychothérapie.  Cela vient de quelque part.  En fait, croit-il, le trac s'est installé avec la prise de conscience du succès, de l'amour du public et de la peur de le perdre. J'ai tellement besoin d'être aimé.  Je ne peut pas supporter qu'on ne m'aime pas.  C'est viscéral.  Ce que je vais chercher avec le public c'est l'amour.  Les applaudissements ça me dit que j'existe.  Le public, ça te permet d'avoir une valeur émotive. »
Et pourtant il voulait quitter la scène.  Une perspective remise en question.
« Ce qui m'arrive, c'est que j'ai remis toute ma vie en question.  Depuis trois mois je suis séparé de ma blonde.  Je n'ai rien vu venir.  On était ensemble depuis seize ans.  Cela me remet en question parce que j'ai besoin d'amour.  L'amour ça me permet d'exister.  Être aimé, pour moi, c'est ça qui me garde en vie. »
 Dominique Lévesque reconnaît avoir de la difficulté dans ses relations humaines.  Il est prudent et très sélectif parce qu'excessivement vulnérable.  Par contre, il veut s'investir pleinement dans sa relation avec ses deux enfants, Philippe, six ans, et Rosalie deux ans.  
« J 'avais décidé que je n'aurais jamais d'enfant.  Avec des enfants, ta vie change de tout au tout.  Maintenant je veux être pour eux le meilleur des pères. Quand je suis avec eux, rien d'autre n'existe.  Je me rends totalement disponible.  C'est mon père qui m'a appris combien la présence de l'adulte est importante.  J'ai tellement de souvenirs de mon père, de tout ce qu'il m'a appris.  Mon père, c'est le meilleur ami que j'ai eu au monde. »
 La personnalité de Dominique prend racine dans le meilleur et le pire de son enfance.  Le meilleur: une grande famille de huit enfants, une mère courageuse et solidaire des choix de son mari, un père passionné qui a quitté son emploi de débardeur, à 43 ans, pour aller à l'université décrocher un diplôme d'enseignant.
Le pire, un handicap physique, « J'avais les yeux croches » qui provoque les moqueries cruelles et le rejet.  « J'étais le seul de la famille qui n'avait pas d'ami.  J'étais complexé, très timide, très renfermé.  Je n'étais pas capable d'accepter ce que j'étais.  Je détestais l'école, j'étais dernier de classe.  Le seul copain que j'avais était aussi seul que moi parce qu'il était bègue.  À nous deux on était la Cours des Miracles.  La pire des choses, c'est quand j'ai appris que mes parents payaient des enfants pour qu'ils jouent avec moi.  Ils leur donnaient des bonbons pour que je sois moins seul. »
Cette souffrance lui a ouvert la porte des bibliothèques.  Son refuge et la source inépuisable de ce qui est devenu sa vie : les mots. 
 « Je suis un amoureux des mots.  Je me suis construit avec les mots.  L'humour, ce n'est pas vrai que c'est la facilité.  Le summum de la langue c'est la poésie et l'humour.  C'est ce qui est le plus difficile à maîtriser d'une langue étrangère.  C'est le dernier bastion à atteindre quand tu veux communiquer.  »

DOMINIQUE LÉVESQUE EST MORT EN VIVANT... CE QU'IL VOULAIT.

Dominique Lévesque et Dany Turcotte


Un trac maladif
 Dominique Lévesque, l'infatigable père du célèbre « gars fatigué » remet en question sa décision d'abandonner la scène.  Il voulait mettre fin au tandem Lévesque & Turcotte, malgré leur succès, pour deux raisons : le trac maladif qui s'empare de lui avant chaque représentation.  Les nombreuses autres occupations professionnelles qui suffisent amplement à sa sécurité financière.
 Il écrit pour la télévision et il est très sollicité.  Voilà deux fois qu'il refuse une offre d'Hollywood.  On lui demande de faire la scénarisation d'une bande dessinée.  « Je leur propose des scripteurs, je leur explique que je n'ai pas le temps.  Il s'agit de trois cents dessins animés de cinq minutes.  Cela fait deux fois que je dis non mais c'est moi qu'ils veulent.  Je dirais non une troisième fois.  C'est un travail d'une année à temps plein.  Je ne peux pas tout laisser pour ça.  Il y a beaucoup d'argent en jeu mais je ne pense pas que ça vaut la peine. »
Il préfère le projet d'écriture des éphémérides de La Presse pour Jacques Moisan; un autre pour un programme d'une heure sur l'écologie; sans oublier qu'il est le concepteur de l'émission télévisée Les Mordus avec André Robitaille. De plus, il y a son association avec Dany Turcotte.  Quinze années partagées, d'abord comme membre du groupe Sanguin et, depuis huit ans, en duo  sous le nom de Lévesque & Turcotte.  Entre eux, c'est une grande amitié.  Si Dominique décidait, finalement, de renoncer à monter sur scène, cela ne mettra pas fin à leur collaboration.  « J'écrirai pour lui.  Je travaillerai avec lui. »
 Ce qui lui plaît en Dany, c'est son humour et sa manière de prendre la vie.  « Il est l'opposé de moi.  Lui, ça lui suffit Lévesque & Turcotte.  On est ensemble depuis si longtemps.  Quand on est en tournée, on est tout le temps ensemble, on fait tout ensemble.  On se connaît autant qu'un couple. »
Les affections de Dominique Lévesque sont puissantes et tenaces.  Comme son appartenance à sa région. Il est né à Bagotville.  Et malgré une enfance solitaire, il est possédé par sa terre natale.  Après l'université, son père a trouvé un poste d'enseignant à Thetford Mines.
« J'étais tellement malheureux de partir.  J'ai emporté un peu de sable de La Baie dans un petit contenant.  Je l'ai gardé longtemps.  Jusqu'à ce qu'il soit cassé. »
 Ce sentiment d'appartenance au Saguenay est un trait commun à de nombreux Bleuets, qu'ils soient d'origine ou d'adoption.  « Ce n'est pas de la nostalgie que l'on a.  On continue d'être habité par la région.  Chaque fois que je reviens, je la trouve plus belle.  Tu peux jamais t'en séparer.  Elle est toujours là, à l'intérieur.  Même après quinze années à l'étranger. »
 De son exil à Thetford Mines, il garde le souvenir de sa revanche.  « J'ai tellement passé de temps dans les bibliothèques, j'ai été tellement seul, que je suis devenu premier de classe. »  Tellement performant en études que son père l'avait convaincu d'entrer en médecine.  « Moi qui déteste tout contact avec la mort ou la maladie ».
Il a bifurqué vers la biochimie, « j'aime tout ce qui est scientifique ».  Finalement il a exploré la psychologie, « alors que je n'aime que les sciences exactes », l'animation culturelle et le théâtre.   « Je voulais devenir chansonnier. »
 Il s'est retrouvé professeur à Jonquière, adepte inconditionnel des ligues d'improvisation jusqu'à la création du groupe Sanguin.  Il a constaté, à ce moment, que lui, le rejeté, le solitaire, celui dont on se moquait, était devenu un rassembleur, un être autour de qui les autres gravitent.  « C'est ma vengeance.  Je m'étais juré qu'un jour je serais aimé. »
 À 46 ans, il se reconnaît très cartésien.  Obsédé par le besoin impérieux de connaître ce qu'il utilise.  « La meilleur façon de conjurer ton angoisse, c'est de connaître, d'avoir le contrôle.  Je n'aime pas ce qui n'est pas exact.  C'est noir ou c'est blanc. »
DOMINIQUE LÉVESQUE EST MORT EN VIVANT... CE QU'IL VOULAIT.

 Groupe Sanguin : Émile Gaudreault, Dany Turcotte, Bernard Vandal, Marie-Lise Pilote et Dominique Lévesque

  
  

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