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Pour tout dire (90)

Publié le 28 décembre 2016 par Jlk

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À propos de la sidérante beauté des Vivants d'Annie Dillard, l'anti-Trump absolu de la maison dans l'arbre. De la nécessité de passer d'une année à l'autre en marchant dans les bois ou le long des lacs. Que la fuite en avant peut être déjouée avant octobre 2017...


Il y a des années que j'avais ce livre à portée de main, mais l'idée de me plonger dans la lecture de ses 738 pages ne s'est imposée à moi que ces derniers jours, lorsque la date de notre prochain voyage en Californie a été fixée par Lady L et Madame sa fille aînée, au 18 avril 2017.

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Message clair de ma subconscience: c'est là un passage possible vers ta Garabagne américaine, et je poussai donc la porte, et je fus au jardin sauvage des premiers temps de la découverte du nouveau monde par les enfants humains à cheveux en broussailles et autres têtes d'Indiens.
J'ai commencé de lire Les vivants au pieu, avant le lever du jour, et tout de suite j'en ai lu des phrases entières à Lady L. en train de pianoter sur l'écran de son smartphone, et cela me semblait aussi smart que les dernières nouvelles du monde: "Ada s'émerveillait de voir des rouge-gorges aussi gros que des canards, des feuilles de lierre grandes comme des assiettes, des feuilles d'érables aussi vastes que des plateaux "...

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Ada, épouse de Rooney l’hirsute et mère de Clare le clair, porte encore au cœur la pierre froide de la mort du petit Charley, écrasé par la roue d'un des chariots qui ont porté les migrants sur trois mille kilomètres, jusqu'à cette côte forestière du lointain Ouest quasi nordique de ces abords de la frontière canadienne, où les pacifiques et industrieux Indiens Lummis se font régulièrement piller ou occire par les tribus descendues (armées par les Russes) de l'Alaska, et voilà ce que voit Ada: "C'était l'abrupt du monde, ou les arbres poussaient jusqu'aux pierres ".


Le bras de mer qu'il y a là est celui du détroit de Puget, on voit là-bas des montagnes enneigées au-dessus du néant océanique, et Ada récite en silence :"Car nous sommes des étrangers devant toi, et des hôtes de passage, comme furent tous nos pères: nos jours terrestres ressemblent à une ombre et rien ne demeure". Et juste à ce moment passe un Indien à chapeau haut-de-forme dans une pirogue, dont le visage exprime "une subtile modestie".


Le grand art est simplissime. Des mains nues de Lascaux ou Altamira aux doigts de rose de L'Iliade ou aux contemplations attentives du philosophe dans les bois, la ligne ne se brise pas ni ne se précipite.

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Dans le premier livre qui l'a fait connaître , Pèlerinage à Tinker Creek, Annie Dillard continuait en somme l'attentive contemplation de Thoreau qui continuait lui-même la prière muette de la Première Personne voyant soudain, ce qui s'appelle voir, le bouvreuil pivoine ou le Colorado comme du haut du ciel quand le crépuscule flamboie à Derborence, et voici que le jeune Clare, mirifique adolescent, plus grand à quinze ans que tous les hommes et si mince qu'une poignée de pois secs lancée contre lui ne pourrait l'atteindre("lui-même disait qu'il prenait son bain dans le canon d'un fusil"), découvre un Indien mort dans un canoë coincé entre les branches d'un aulne, un rictus aux lèvres et les cheveux abritant un nid de souris.

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La première intention de travail venue à Thoreau fut, on le sait, de créer et de commercialiser la meilleure sorte de crayon qui fût, puis il laissa tomber. Ensuite, son don prodigieux de calculer les distances et les intervalles en fit un arpenteur recherché. Mais sa vraie musique se ferait dans son Journal et ce qu'on dit son chef-d'œuvre, Walden, devenu le livre de chevet ou de chemin de kyrielles de jeunes filles et de jeunes gens purs, telle l'intense Annie dont la mère effrayée lui dit un jour qu'elle se demandait ce qu'on allait faire d'elle...

Or que ferons nous de l'année 2017, sans attendre rien des célébrations grimacées d'un octobre de faux espoirs assassins ?
Les vivants n'ont rien à attendre des sectateurs hideux du culte du dieu Dollar. Donald Trump plastronnera au barbecue de marshmallow, et les Indiens éternels se sentiront plus vifs que jamais sur leurs broncos célestes en voyant s'agiter là-bas ce pantin cousu d'or volé - et nous avons choisi notre camp.
Notre Amérique nous attend au bord du fleuve et c'est tous les jours.

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Tout à l'heure j'irai me royaumer par les bois ou le long du lac, mais à l'instant je lis ceci dans Les vivants: “Jeune homme, Clare déclarait volontiers qu’il adorait s’amuser. (...) Son visage était si allongé et anguleux, ses yeux si enfoncés dans leurs orbites et sa bouche si large qu’on disait qu’il ressemblait à Abraham Lincoln, les verrues en moins. (...) La génération de Clare fut la première à grandir parmi cette sauvagerie. Ainsi se croyait-il destiné à une gloire inéluctable, voué à un héroïsme encore mystérieux. On parlerait de lui, il allait accomplir de grandes choses, il allait secourir, conquérir, réussir. (...) Un hiver, il entreprit de lire des livres, un passe-temps qui devait ensuite l’occuper régulièrement, car la lecture le stimulait: il lut les essais de Carlyle, les pièces de Shakespeare et des récits de voyage”, etc.


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