De modalités de la conversation, chez Elio Vittorini et dans le roman Une vie divine de Philippe Sollers. Du mépris de celui-ci pour les auteurs "lourds".
J’ai parlé de conversation à propos d’Une vie divine, mais le mot est lesté d’un autre poids dans l’inoubliable Conversation en Sicile d’Elio Vittorini que, sans doute, Sollers jetterait aujourd’hui dans le sac des « auteurs lourds », comme il le fait des romanciers américains contemporains. Lui qui a parlé de Bret Easton Ellis comme d’un sous-produit de marketing, et qui marque presque le même dédain à l’endroit d’un Philip Roth, fait peut-être illusion dans le cercle confiné et narcissique d’un certain parisianisme, mais comment ne pas voir, avec un peu de recul, que les « romans » de Philippe Sollers ne font absolument pas le poids à côté de la trilogie américaine de Philip Roth (pour ne parler que de ceux-là), des livres de Joyce Carol Oates ou du Canadien Timothy Findley, et que Lunar Park surclasse à l’évidence, en tant que projection romanesque, l’habile et ludique surglose d’Une vie divine ?
Tout cela que je note sans cesser d’apprécier ce dernier livre de notre casanovesque jaboteur, dont la conversation brillante n’a pourtant rien de commun avec le grand brassage existentiel, social et politique qui constitue la matière fusionnelle de Conversation en Sicile.
Autant dire qu’on passe, d’Une vie divine au chef-d’œuvre néo-réaliste que figure le roman de Vittorini, du salon français à ce qu’on pourrait dire l’éternel entretien de l’homme avec lui-même, à travers les siens, sa terre natale et ses souvenirs d’enfance, ici : les figuiers de barbarie et l’odeur du soufre que Silvestro, le fils déprimant à Milan que son père fait revenir en Sicile, retrouve avec le monde des humbles, ou les harengs et les fèves aux cardons de la Mamma, et les gens, la foultitude des gens...
Tout ça qui pèse tellement de tonnes d'humanité crasse, n’est-ce pas !
A propos de conversation, il est par ailleurs intéressant d’observer plus précisément les dialogues d’Une vie divine, qui relèvent somme toute de la non-conversation. Toujours étincelant dans le soliloque, Philippe Sollers est en revanche incapable de moduler un vrai dialogue, l’interlocutrice (il n’a jamais d’interlocuteur) n’intervenant jamais qu’en faire-valoir, comme d’ailleurs tous les « personnages » féminins des « romans » de l’auteur.
Avec le « pesant » Vittorini, tout, au contraire, dialogue : les gens entre eux et avec eux-mêmes, la lumière et les parfums, les noms et les larmes…
Elio Vittorini. Conversation en Sicile. Gallimard, Collection l’Imaginaire.