L'ancien mythe de Jason et la Toison d'Or nous éclaire sur la conception grecque de l'héroïsme. Luc Ferry, qui dirige cette collection d'adaptation des grands mythes en BD pour Glénat, parle dans sa postface d'"héroïsme métaphysique".
En effet, les grands mythes héroïques que sont le mythe de Jason, ou encore celui d'Hercule et d'Ulysse, promeuvent de façon allégorique une force qui dépasse la seule force physique. Il ne s'agit pas tant d'exalter la force physique qu'une force spirituelle supérieure, que les Grecs nomment simplement "sagesse". Une telle force est signifiée de façon imagée dans le christianisme par l'expression : "la foi soulève les montagnes".
C'est ce qui fait la richesse de la mythologie grecque, en comparaison des super-héros américains qui, aussi nombreux soient-ils, incarnent tous le pouvoir technocratique. La palette de l'héroïsme grec est beaucoup plus diversifiée.
Le cas d'Ulysse est le plus éclairant sur cet héroïsme métaphysique, en raison de la présentation en diptyque de l'oeuvre d'Homère (Iliade-Odyssée), qui a pour effet de souligner la limite de la force d'Achille-aux-pieds-légers. Ulysse réussit là où Achille, dont la détermination est beaucoup plus psychologique, a échoué. Ulysse étant placé sous la protection d'Athéna, on comprend que la sagesse mène plus haut que l'ambition qui caractérise Achille.
L'histoire de Jason, comme celle de Jésus, commence par une tentative d'assassinat. Pélias, qui a pris la place de son frère sur le trône d'Iolcos, a en effet cherché à en éliminer tous les enfants. Miraculeusement sauvé, Jason n'aura de cesse de chasser l'usurpateur et de remonter sur le trône, devant pour cela accomplir une épreuve symbolique -rapporter la Toison d'Or du royaume de Colchide, réputé inaccessible.
Le mythe de Jason indique que les dieux ne sont pas de simples forces brutes naturelles ou élémentaires, ils ont aussi le sens de la justice.
Les mythologies juive et chrétienne comportent de tels héros "métaphysiques", tel Samson par exemple, ou encore le cavalier blanc de l'Apocalypse.
Nombreux sont les érudits qui, au XIXe siècle, ont nié cet aspect "métaphysique" que L. Ferry ne craint pas d'affirmer. Nietzsche est le plus célèbre d'entre eux, qui pour le besoin de sa thèse historique néo-païenne, a inventé de toutes pièces une Antiquité grecque coupée de la métaphysique (qui a servi de modèle à la propagande mussolinienne ou nazie). Dionysos, autour duquel s'articule la théorie de l'art et de la jouissance de Nietzsche, n'est pas vraiment grec ; on le reconnaît au fait que Dionysos est un antihéros.
En dépit d'une esthétique plus proche des comics américains que des vases grecs, l'album présente le mythe de façon claire, et l'appendice rédigé par L. Ferry incite les lecteurs qui le souhaitent à déchiffrer l'allégorie.
"Jason et la Toison d'Or - Tome 1", par Luc Ferry, Alexandre Jubran et Clotilde Bruneau, éds Glénat 2016.