Vania Moïsseiev - Quatrième tableau / épilogue

Publié le 24 juin 2008 par Lilianof

Quatrième tableau

Le cap Fonal, près de Kertch. Une plage, un gros rocher.

Scène unique

NATALIA - DIMITRI

DIMITRI

Installons-nous au pied de ce rocher, il nous fera de l'ombre et nous protègera du vent.

NATALIA

Oui, mon cher Dimitri, ce morceau de plage me paraît très agréable. Mais enfin, était-il vraiment nécessaire de nous lever si tôt pour aller regarder la mer ? Je serais bien restée encore une heure ou deux dans mon lit.

DIMITRI

Il faut savoir se lever tôt pour profiter des menus plaisirs de la vie, ma chère Natalia. A cette heure-ci l'air est plus doux, la mer est plus belle. Nous avons tout notre temps pour l'admirer, pour l'écouter. Alors que les paresseux sont toujours couchés, nous profitons de la vie, et cette belle plage s'offre à nous.

NATALIA

C'est vrai, la belle nature s'apprécie mieux dans la solitude.

DIMITRI

Et je voulais surtout te faire découvrir cet endroit : C'est ma plage. Personne n'y vient de si bon matin. Ici nous pourrons nous aimer en paix, sans être importunés par quiconque.

NATALIA

Et si nous allions nager ?

DIMITRI

Excellente idée. Tu as le choix, je t'offre à ta droite la mer Noire, à ta gauche la mer d'Azov.

NATALIA

Je choisis la mer Noire, et si nous sommes courageux, nous nagerons jusqu'à Istanbul.

DIMITRI

Allons-y. Le dernier qui aura la tête sous l'eau est un russe blanc.

NATALIA

Je parie que je nage plus loin que toi.

(On entend un bruit de moteur.)

DIMITRI

Qu'est-ce que c'est ?

NATALIA

Deux voitures.

DIMITRI

J'espère qu'elles vont s'éloigner.

NATALIA

Non. Ils s'arrêtent ici, derrière le rocher.

DIMITRI

Ah les vandales ! Les sacrilèges ! Ma plage ! Ils vont laisser des traces de pneus.

NATALIA

Ne t'occupe pas d'eux. La plage est à tout le monde. Allons nager.

DIMITRI

Non, arrête ! C'est l'armée. Il vaudrait mieux ne pas qu'ils nous voient.

NATALIA

Mais qu'est-ce qu'ils viennent faire ici ?

DIMITRI

Ils veulent se baigner, comme nous. Mais pourquoi justement sur ma plage. Les fâcheux porte-glaive !

NATALIA

Ce n'est pas de la petite soldatesque. Celui-ci a cinq bandes jaunes.

DIMITRI

C'est un colonel.

NATALIA

Ils sortent un cinquième larrons.

DIMITRI

Celui-ci m'a l'air mal en point.

NATALIA

Ils l'emmènent à la mer.

DIMITRI

Ils lui offrent une séance de thalassothérapie.

NATALIA

Regarde ! Il a des brûlures sur tout le corps.

DIMITRI

Ces marques sont récentes. Cet homme a été torturé.

NATALIA

Que font-ils à présent ? Ils l'emmènent en pleine eau.

DIMITRI

Tout cela est bien étrange. Surtout ne nous montrons pas.

NATALIA

Mais qu'est-ce qu'ils font ?

DIMITRI

Ils sont en train de le noyer.

NATALIA

Nous sommes témoins d'un assassinat.

DIMITRI

Un crime d'état.

NATALIA

Il faut lui venir en aide.

DIMITRI

Comment ?

NATALIA

Allons à son secours ?

DIMITRI

Es-tu folle ? Espères-tu les mette en fuite en poussant ton cri de guerre.

NATALIA

Ramassons des pierres. Une dans chaque main. Ils sont quatre et nous sommes deux. Moi je me réserve le gros galonné.

DIMITRI

Ne joue pas les héroïnes. Nous allons nous faire tuer. Restons cachés.

NATALIA

Il faut appeler la police.

DIMITRI

Ils ne nous croiront pas.

NATALIA

Je crois bien qu'il est mort. Ils le ramènent sur le rivage.

DIMITRI

Ils le traînent dans une voiture.

NATALIA

Ils s'en vont.

DIMITRI

C'est fini.

(Bruit de moteur, les voitures s'éloignent.)

NATALIA

Oh ! Dimitri ! C'est horrible. Je ne pourrais plus jamais revenir sur cette plage.

DIMITRI

Moi non plus, Natalia, moi non plus.

NATALIA

Nous avons assisté à ce spectacle cruel et nous n'avons rien fait pour l'empêcher. Je me sens coupable.

DIMITRI

Moi aussi. Mais qu'aurions nous pu faire ? Et puis, ces militaires avaient certainement de bonnes raisons. Qui sait si ce jeune homme n'était pas un ennemi de la République ? Un espion ou un traître ?

NATALIA

Ou un chrétien ?

RIDEAU

EPILOGIE

LE RECITANT

Le 17 juillet, Ioana et Vassili Moïsséiev reçurent ce télégramme de l’unité militaire 61968 T :

« Votre fils Ivan Vassilievitch Moïsséiev est mort tragiquement. Avisez - nous de votre arrivée. »

Les autorités militaires leurs remirent un certificat de décès mentionnant sa cause officielle : « Asphyxie mécanique par noyade ».

Semione, son propre frère était du nombre de ceux qui ont voulu faire passer le martyre de Vania pour une calomnie honteuse. Andreï Andreïevitch Pétrov et Michaïl Andreïevitch Kolechnitchenko furent condamnés le 31 janvier 1973 pour avoir diffusé de « fausses nouvelles » au sujet de la mort de leur camarade. Mais la vérité ne pouvait rester cachée. A Berlin - Ouest, des centaines de jeunes ont manifesté dans les rues, portant sur leurs dossards et leurs banderoles la photo du soldat Moïsséiev, torturé et assassiné par le régime soviétique à cause de sa foi.

« Grâce à la foi, ils ont conquis des royaumes, exercé la justice, obtenu la réalisation de promesses, fermé la gueule des lions. Ils ont éteint des feux violents, échappé au tranchant de l’épée. Ils ont été remplis de force alors qu’ils étaient faibles. Ils se sont montrés vaillants dans les batailles, ils ont mis en fuite des armées ennemies ; des femmes ont vu leurs morts ressusciter pour leur être rendus. D’autres, en revanche, ont été torturés ; ils ont refusé d’être délivrés, afin d’obtenir ce qui est meilleur : la résurrection. D’autres encore ont enduré les moqueries, le fouet, ainsi que les chaînes et la prison. Certains ont été tués à coups de pierres, d’autres ont été torturés, sciés en deux ou mis à mort par l’épée. D’autres ont mené une vie errante, vêtus de peaux de moutons ou de chèvres, dénués de tout, persécutés et maltraités, eux dont le monde n’était pas digne. Ils ont erré dans les déserts et sur les montagnes, vivant dans les cavernes et les antres de la terre. Dieu a approuvé tous ces gens à cause de leur foi, et pourtant, aucun d’eux n’a reçu ce qu’il leur avait promis. C’est que Dieu avait prévu quelque chose de meilleur pour nous : ils ne devaient donc pas parvenir sans nous à la perfection. »[1]



[1] Hébreux 11.33/40