Par Christophe Cornevin
INFOGRAPHIES – Les agressions ont bondi de 14 % en un an et 330 voyageurs ont été détroussés en moyenne chaque jour à travers le pays.
La vague d’agressions a semé la panique sur une partie du réseau RATP. Jeudi dernier, deux voyous ont agressé au couteau plusieurs voyageurs notamment sur la ligne 7 du métro parisien, frappant tour à tour dans trois stations des Xe et XIe arrondissements. Les agresseurs, recherchés pour des motifs de droit commun, sont en cavale. Entre Cannes et Grasse (Alpes-Maritimes), c’est une dizaine d’adolescents menant une expédition punitive qui a fait irruption dans un TER avant d’asperger de gaz et de frapper les passagers d’une rame. Trois de ces derniers ont été blessés et hospitalisés. Au même moment, la ligne TER entre Metz et Luxembourg empruntée par des milliers de voyageurs frontaliers a été paralysée pendant plusieurs heures après l’agression d’une contrôleuse, menacée de mort.
Coups et blessures, passages à tabac, vols en réunion, agressions sexuelles… Cette litanie de faits divers pourrissant la vie quotidienne des usagers témoigne de l’insécurité qui s’enracine chaque jour davantage dans les transports en commun. Loin d’être de simples bouffées sporadiques, ils démontrent que les transports sont plus que jamais gangrenés en profondeur par la violence. En la matière, le bilan statistique de la délinquance en 2016, déjà mitigé à plus d’un égard, est édifiant. Chiffres à l’appui, ce document estampillé par le ministère de l’Intérieur prouve que les gares, des trains, des rames et des bus charrient davantage la violence que partout ailleurs en France. Tous les voyants oscillent entre le rouge et l’écarlate.
Les voyous sévissent davantage en sous-sols
«En 2016, le nombre de vols violents commis dans les transports en commun et enregistré par la police et la gendarmerie nationales a augmenté de 7 % (12.151 vols violents en 2016 contre 11.329 en 2015) alors que globalement, tous lieux confondus, il diminuait de 5 % (104.057 en 2016 et 109.515 en 2015)», relèvent les statisticiens de l’Insee. Tout aussi traumatisantes, les agressions physiques et les vols sans violences ont respectivement bondi dans le même temps de 14 % et 17 % alors que ces types de délits restaient relativement stables (+ 2 %) sur le reste du territoire.
Et il apparaît que les voyous sévissent davantage en sous-sols. Les techniciens de la Place Beauvau relèvent en effet qu’«en 2016, ces infractions se produisent davantage dans les réseaux métropolitains (46 %) que dans les réseaux ferrés (33 %) ou de surface (21 %)» avant de détailler que «les vols sans violence se concentrent dans les réseaux métropolitains (un cas sur deux) alors que les vols avec violence et les agressions se concentrent plutôt dans les réseaux ferrés (respectivement 42 % et 43 %)».
Au total, environ 121.000 vols ont donc été enregistrés l’année dernière dans les transports. Soit en moyenne 330 voyageurs détroussés chaque jour à travers le pays. Désormais, «12 % des vols violents commis en France le sont dans les transports en commun», souligne le document Interstats diffusé par le ministère de l’Intérieur. Une tendance confirmée par l’enquête nationale de victimation «Cadre de vie et sécurité» de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP): entre 2013 et 2015, 13 % des victimes avaient déclaré que leur agression avait eu lieu sur le réseau.
Christophe Soullez, directeur de l’ONDRP
«Leurs voyages se déroulent dans des lieux clos, confinés et à forte concentration qui favorisent les vols à la tire au préjudice d’usagers pas toujours vigilants», décrypte Christophe Soullez, directeur de l’ONDRP. N’excluant pas que l’envol des chiffres est «peut-être lié à une meilleure prise en compte des plaintes et donc une meilleure révélation des faits», le criminologue impute le «sentiment d’insécurité» à une «promiscuité anxiogène», au fait que «les victimes sont beaucoup moins libres de fuir, d’appeler au secours notamment à la nuit tombée» et que «les autorités donnent l’impression ne pas maîtriser l’espace dont ils ont la responsabilité».
D’un point de vue géographique, pas moins des deux tiers de l’ensemble des vols, coups et blessures perpétrés dans les transports en commun ont eu lieu en Ile-de-France. Plus soutenu selon le rapport «avec les trajets domicile-travail des Franciliens et les touristes qui visitent la région», le trafic des trains et des rames véhicule 25 % des vols et agressions perpétrés dans l’agglomération. «Alors que beaucoup de nos collègues ont été davantage sollicités, la Brigade des réseaux ferrés n’a été renforcée par aucune sortie d’école depuis un an alors qu’elle est passée sous la barre de mille fonctionnaires, déplore Yvan Assioma, secrétaire régional du syndicat Alliance à Paris. Si l’on avait deux cents effectifs en plus, ce ne serait pas indécent au moment où le trafic voyageurs risque encore de gonfler sous l’effet des mesures de restriction de circulation des automobilistes…»
Autre explication: les patrouilles, concentrées sur la lutte antiterroriste et mobilisées par le contrôle des flux croissants de migrants dans les gares parisiennes, ont été contraintes de lever le pied sur les lignes des banlieues où prospèrent les bandes. Relevant lui aussi une «forte progression des vols simples et des vols à la tire», marqués par des hausses de 5,4 % et 4,6 % l’année dernière en région parisienne, le préfet de police Michel Cadot confirme que «les équipes des réseaux ferrés ont été moins utilisées sur des contrôles de trains» afin d’être en partie redéployées sur la protection de l’Euro 2016 et sur des «missions de sécurité publique».
Toujours selon le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), le réseau parisien a été le théâtre de 56.887 vols et agressions l’année dernière. La capitale, qui détient le triste record en raison de la saturation de ses lignes souterraines, enregistre une «hausse sensible» des faits en un an.
Extrait d’un rapport du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure.
«Hors Ile-de-France, les départements du Rhône, des Bouches-du-Rhône, de l’Hérault et de la Loire-Atlantique ont connu des hausses significatives», établissent les experts. Par ailleurs, ils précisent qu’au total pas moins de 9.909 prédateurs du rail ont été mis en cause pour des agressions sexuelles, des vols en tout genre ou encore des coups et blessures volontaires. Si 82 % d’entre eux sont de nationalité française, le rapport annuel souligne que «les deux groupes de nationalités dominants chez les mis en cause étrangers sont les nationalités d’Afrique (28 %) et celles des 28 pays de l’Union européenne (15 %)».
«Parmi les 740 mis en cause étrangers de moins de 15 ans dans les transports en commun, la Roumanie et la Bosnie-Herzégovine» sont «surreprésentées», poursuivent les auteurs. Et de noter: «Ces deux nationalités représentent 88 % de l’ensemble». Consciente de la délinquance qui écorne son image, la SNCF a musclé sans attendre la sûreté ferroviaire en portant ses effectifs à 3.200 hommes, soit 200 de plus en un an. Grâce à un décret pris à l’automne, ces trains marshals à la française vont généraliser les patrouilles en civil pour agir par surprise. Dans leur collimateur? Les fraudeurs, mais aussi les auteurs d’attouchements sexuels qui se multiplient.