Hamlet***

Publié le 31 janvier 2017 par Zebralefanzine @zebralefanzine

Adolescent, cette adaptation de "Hamlet" par Barbara Graille (scénario) et Gianni De Luca (dessin) m'avait enthousiasmé ; je suis enclin à être plus critique depuis que je connais mieux le théâtre de Shakespare, et "Hamlet" en particulier qui fait partie des "pièces phares" de ce tragédien incontournable.

La force de Shakespeare tient dans l'emploi des mots justes et de métaphores qui se gravent profondément dans la mémoire. Le contraste avec le bavardage humain auquel on est habitué, et dans lequel on tombe soi-même facilement, est saisissant.

Or l'adaptation fait nécessairement perdre à Shakespeare une partie de sa densité en s'éloignant du texte. La scénariste a dû sacrifier des pans de la pièce afin de faire place aux illustrations.

Ainsi que l'a fait remarquer un critique, le théâtre de Shakespeare est fait pour être lu, non seulement joué par des acteurs. La subtilité de "Roméo & Juliette" risque d'échapper au spectateur ou au lecteur d'une simple adaptation (pour prendre l'exemple d'une pièce satirique souvent mal comprise).

Shakespeare se sert du théâtre pour dynamiter le théâtre, révélant par celui-ci ce que le tyran cherche à dissimuler par le théâtre. "Hamlet" illustre particulièrement cette stratégie de renversement de la fonction politique de l'art, dont Claudius et Polonius font symboliquement les frais. Rien d'étonnant à ce que "La Société du Spectacle" (G. Debord) cite abondamment Shakespeare, à la suite de Marx.

Enumérons les côtés positifs de cette adaptation en bande-dessinée, parue il y a quelques décennies déjà, avant d'émettre quelques réserves :

- La mise en scène est habile ; Gianni de Luca s'est débarrassée des démarcations entre les cases, caractéristiques de la BD, pour un effet plus proche de la représentation théâtrale que du cinéma. Cette méthode permet une vision d'ensemble de la scène, moins fragmentée.

- On évite les spéculations freudiennes oiseuses à propos de la "personnalité complexe" d'Hamlet ; il est clair à la lecture de cette bande-dessinée que, si Ophélie verse peu à peu dans la folie, celle-ci n'est de la part de Hamlet qu'une feinte, une stratégie. Le dessin de G. de Luca ne laisse pas planer de doute sur ce point.

Par conséquent la présentation de la pièce est assez fidèle.

Outre un dessin un peu académique et fade, sur le modèle des comics américains, on reprochera à cette adaptation d'avoir coupé la fameuse scène au cimetière, avant l'inhumation d'Ophélie. Elle recèle en effet une satire de la religion catholique, sans doute décisive pour comprendre la pièce ; cette satire évoque celle de Molière ultérieurement, à travers le personnage du dévot Sganarelle, crétin de première bourre. Cette satire se prolonge à travers le personnage d'Ophélie, dont la folie laisse entrevoir une dévotion très particulière.

Pour dépasser une lecture au premier degré des pièces de Shakespeare et comprendre le sens profond de ses allégories (ce que la grille de lecture "oedipienne" ou freudienne ne permet pas), la lecture du texte intégral est sans doute indispensable.

"Hamlet", suivi de "La Tempête" par W. Shakespeare, adapté par Gianni de Luca & Barbara Graille, éd. Les Humanoïdes associés, 1980.