Magazine Talents

Hivernatien Minimus

Publié le 07 février 2017 par Robertdorazi @robertdorazi
Hivernatien Minimus Voici une introduction au monde d'Hivernatien Minimus sous la forme d'une Nouvelle.

Friggida savait faire pousser un bec de pélican au milieu de sa figure mieux que toutes les sorcières des glaces qu'Hivernatien Minimus connaissait. Il était fier de sa mère pour ça aussi!

Un bec énorme et long avec lequel elle pêchait des poissons énormes et longs, sans oublier beaucoup d'autres choses qui poussaient dans l'océan tout bleu coulant sous la banquise. Hivernatien avait remarqué que cet océan tout bleu (comme la peau des sorciers des glaces) qui coulait sous la banquise toute blanche (comme les dents des sorciers des glaces) était rempli de poissons de toutes les tailles et de toutes les formes, mais aussi de beaucoup d'autres choses. Un jour Friggida avait rapporté un objet tout noir, tout rond et tout mou qui roulait et rebondissait sur la banquise comme les manchots quand ils sont contents d'avoir gagné à la loterie.

― Tu penses que Friggida va encore battre son record, aujourd'hui? Hivernatien demanda-t-il à Surgelot, son père.

― Ça dépendra de la longueur de ma sieste, et je suis très fatigué. Emballer des poissons congelés toute la journée c'est très fatigant, même pour un grand sorcier comme moi. Une longue sieste sera la bienvenue. En attendant, tu devrais aller voir sur la banquise 47 si j'y suis.

― J'y suis allé la semaine dernière, et la semaine avant celle-ci. Tu n'y étais pas. Tu n'y étais pas non plus la semaine avant ces deux là. Tu crois que si j'allais plutôt sur la banquise 49 j'aurais plus de chance de te trouver?

― C'est une très bonne idée ! répondit Surgelot. La banquise 49 est plus laide, plus lointaine et plus dangereuse, c'est bien possible que j'y sois. Tu as raison, tu devrais y aller ! Maintenant je vais attacher ta mère au fil de pêche et la jeter à l'eau. Tu es prête, Friggida?

Mais Friggida ne pouvait pas répondre. C'était un fait établi qu'il était impossible de parler quand on avait fait pousser un énorme bec de pélican au milieu de son visage. Si vous ne me croyez pas, essayez donc !

Surgelot, lui, trouvait ça parfait. Il poussa sa femme-pêcheresse-pélican dans le trou qui la conduisit directement dans l'océan qui coulait sous la banquise, le même dont je vous ai parlé quelques lignes plus haut, et commença sa sieste.

Pendant ce temps Hivernatien marcha vers la banquise 49. Il marcha, marcha encore, et recommença à marcher. Il marcha vers la droite, vers la gauche, vers le haut (ce qui était difficile car le haut était vraiment très haut) et vers le bas (ce qui était tout aussi difficile car le bas était vraiment très dur.) Quand il en eut assez de marcher, il courut. Il courut vers la droite et vers la gauche. Il courut en travers et même en pointillés comme il avait appris à le faire avec le Mage Servile qui était le plus puissant des sorciers des glaces et aussi celui qui portait les chapeaux les plus ridicules.

Hivernatien dut se rendre à l'évidence: Surgelot n'était pas sur la banquise 49.

Pourtant Hivernatien n'était pas seul. Il s'en rendit compte lorsqu'il fit un pas vers la droite et que sa tête toute bleue avec des cheveux noirs ébouriffés heurta une autre tête toute bleue avec des cheveux noirs très bien peignés et enrubannés avec des tentacules de poulpe.

Plok ! fit la tête d'Hivernatien.

Plank ! fit l'autre tête.

― Lorepure ! s'écria Hivernatien.

― Hivernatien ! s'écria Lorepure.

Il faut dire que les sorciers des glaces pouvaient se reconnaître rien qu'au bruit que faisaient leurs têtes quand elles se cognaient, car elles faisaient toutes un bruit différent. C'était très pratique pour se reconnaître dans le noir. Les sorciers des glaces donnaient aussi des concerts de coups de têtes puisqu'ils n'avaient pas de lecteurs CDs. Et surtout ces coups de têtes les entraînaient pour leurs combats contre les trolls.

― Qu'est-ce que tu fais sur la banquise 49 ? demanda Hivernatien.

― Ma mère m'a dit de venir ici pour voir si elle y était. Mais elle n'y est pas. Et toi ?

― Pareil.

Lorepure regarda autour d'Hivernatien en plissant un peu les yeux, ce qui lui donnait un air suspicieux (qui correspond au regard normal d'une fille lorsqu'elle regarde un garçon, même chez les sorciers des glaces.)

― Mikimiki n'est pas avec toi ? demanda-t-elle lorsqu'elle eut terminé de plisser les yeux.

― Non.

― Très bien.

― C'est très bien que Mikimiki ne soit pas là ?

― Bien sûr que c'est très bien ! dit Lorepure. C'est toujours très bien quand elle n'est pas là.

― Tu as raison, répondit Hivernatien qui commençait à comprendre qu'il valait mieux être d'accord avec Lorepure.

C'est Blizzarion, le conducteur de traîneau officiel du pôle Sud, qui lui avait donné ce conseil. Il insistait sur le fait qu'il fallait toujours être d'accord avec les sorcières des glaces, même quand elles avaient tort. C'était beaucoup plus simple, ça évitait de réfléchir, et donc ça évitait les maux de tête. Il ajoutait que dire ceci était politiquement incorrect, mais qu'il ne savait toujours pas ce que politiquement incorrect signifiait, alors...

Hivernatien savait donc qu'il valait mieux être d'accord avec Mikimiki aussi. Et c'était vraiment difficile d'être d'accord avec deux sorcières des glaces quand elles étaient ensemble car elles disaient souvent le contraire l'une de l'autre. Mais aujourd'hui, comme Mikimiki n'était pas là, il était très simple d'être d'accord avec Lorepure qui ne comptait que pour une seule sorcière des glaces, même si elle disait souvent qu'elle comptait pour deux, et le pensait toujours.

― Alors qu'est-ce qu'on fait ? demanda-t-elle. On ne va pas rester ici toute la journée. Ma mère n'est pas ici, elle doit être ailleurs !

― Mon père n'est pas là, il doit être ailleurs, lui aussi.

― C'est ce que j'allais dire ! s'écria Lorepure. Si tu ne m'avais pas coupé la parole c'est exactement ce que j'aurais dit.

Lorepure avait du caractère ! C'est ce qu'elle répondait à ceux qui lui disaient qu'elle avait mauvais caractère. Elle ajoutait parfois un sortilège de paire de gifles ou de pied écrasé car elle n'était pas très patiente non plus.

― Je ne voulais pas que tu te fatigues à le dire, répondit Hivernatien en guettant tout de même les mains de Lorepure car elle était déjà assez douée en magie pour lancer des sortilèges sans utiliser sa baguette magique. Mais si ta mère est ailleurs et si mon père est ailleurs aussi, est-ce que ça signifie qu'ils sont au même endroit ?

Lorepure laissa échapper un gros éclat de rire rouge comme sa robe en coraux qui avait sûrement coûté très cher à ses parents.

― Certainement pas ! dit-elle. Bon alors, qu'est-ce qu'on fait ?

À ce moment précis, Hivernatien aurait simplement voulu retourner sur la banquise 46 pour compter les poissons que Friggida avait attrapés. Il essaya de sourire à Lorepure pour qu'elle soit d'accord avec lui. Au moins cette fois.

― Je sais ce qu'on va faire, dit-elle. On va aller faire un tour dans le Pré des Crevasses. Il y a toujours quelque chose à faire là-bas. Et aujourd'hui, je porte des chaussures de crevasses. Ça tombe bien, non ?

― Si, si.

Encore un sourire gâché !

Hivernatien savait pourquoi Lorepure choisissait d'aller perdre son temps dans le Pré des Crevasses. C'est là qu'elle avait perdu son bracelet de perles bleues à pois jaunes, ces perles qu'on ne trouvait que chez les huîtres paresseuses de Cytakor. Elles les revendaient très cher parce qu'elles les achetaient à un endroit que personne n'avait jamais visité. Certains sorciers suspectaient que cet endroit n'existait pas et que les huîtres paresseuses fabriquaient les perles bleues à pois jaunes elles-mêmes.

― Quelle idée farfelue ! répondaient les huîtres à ceux qui leurs posaient cette question. Fabriquer des perles nous-même ! Pfff, franchement...

Elles le disaient avec tellement d'honnêteté dans leur regard d'huître que personne ne doutait qu'elles puissent dire autre chose que la vérité. Leur secret restait bien gardé.

Cette parenthèse étant refermée, revenons au Pré des Crevasses. Il était situé à la frontière entre la banquise 49 et la banquise 54. Les crevasses devaient s'arrêter à cette frontière sous peine d'être refermées immédiatement. Or une crevasse qu'on referme, n'en est plus une, c'est bien connu. C'est une crevasse morte. La loi du pôle Sud était impitoyable là-dessus. Les crevasses ne passaient pas la frontière ! Surtout que la banquise 54 était connue pour ses glaciers hauts et pointus. Alors bien sûr on ne mélangeait pas glaciers et crevasses.

Il faut bien avouer que le Pré aux crevasses n'avait rien de bien intéressant à montrer. Les manchots l'évitaient, les trolls y venaient de temps en temps mais pas souvent, aucun cachalot ne s'y était jamais échoué, et le train sous-banquise ne s'y arrêtait pas. C'était juste un Pré. Sauf qu'aucune crevasses ne ressemblait à une autre. On peut lui reconnaître ceci. Personne n'avait jamais réussi à trouver une crevasse qui aurait eu la même forme qu'une autre. Et pourtant, des crevasses, il y en avait des milliers et des milliers pour les sorciers des glaces qui savaient compter jusqu'à mille.

Ce n'était pas énorme comme chose intéressante, mais c'était mieux que rien. Et surtout ça pouvait aider Hivernatien et Lorepure à retrouver le bracelet aux perles bleues à pois jaunes.

― Te souviens-tu de la forme de la crevasse dans laquelle tu as perdu ton bracelet ? demanda Hivernatien.

Car lui et Lorepure étaient arrivés ! Ils avaient marché pendant que je vous donnais quelques explications banales mais importantes au sujet du Pré. Le temps passe plus vite quand on n'y pense pas, et franchement mieux vaut parler des huîtres paresseuses et des lois du pôle Sud concernant les frontières entre banquises que lire la description de deux sorciers des glaces marchant l'un à côté de l'autre.

― Pourquoi est-ce que tu me parles de mon bracelet ? Tu crois que je t'ai poussé à venir ici pour le retrouver ? Tu crois vraiment que j'aurais marché avec ces chaussures de crevasses jusqu'au Pré pour retrouver un simple bijou qui était si joli à mon poignet menu, et qui n'y est plus ? Tu penses encore que je rêve de ces perles si brillantes et si chères que mes parents m'ont achetées pour que je puisse être la plus élégante des sorcières des glaces ?

― Non, bien sûr. Mais puisqu'on est ici, autant en profiter.

Lorepure haussa les épaules en regardant partout sauf en direction d'Hivernatien.

― C'est vrai. Tu as raison. Ce serait bête de ne pas en profiter. Et bien la crevasse faisait un long zig vers la droite , puis un petit zag vers la gauche avant de refaire un petit zig à droite. De là, elle refaisait un long zig vers l'arrière puis un zag vers l'avant...

― Comme celle-ci ? lui montra Hivernatien.

― Mais non! J'ai dit un long zig vers la droite. Ça c'est un moyen zig au centre.

Ils continuèrent donc à chercher ce long zig à droite suivi d'un petit zag à gauche. Cela leur prit bien plus longtemps que prévu, et Hivernatien s'en mordit les doigts jusqu'à se faire mal aux dents.

― Là ! cria Lorepure avec une voix suraiguë. Celle-ci ressemble beaucoup à la crevasse dans laquelle j'ai fait tomber mon bracelet. Oui, c'est ici !

La jeune sorcière des glaces sautillait comme un manchot qui avait le hoquet, et frappait ses mains l'une contre l'autre comme un manchot frileux. Elle allait retrouver ses perles.

Elle s'arrêta net quand elle se rendit compte qu'Hivernatien la fixait, avec ses doigts toujours dans la bouche et une grimace de douleur sur le visage.

― C'est peut-être cette crevasse, redit-elle doucement, sans sautiller et sans applaudir. Tu sais, ce n'est qu'un bracelet. J'en ai... beaucoup d'autres. Tu veux bien descendre le premier pour vérifier ?

Hivernatien se rendait bien compte qu'il n'aurait jamais dû venir sur la banquise 49 pour voir si son père y était parce que de fil en aiguille il allait maintenant devoir descendre dans une crevasse profonde et ennuyeuse. Ce sont des choses qui arrivaient au pôle Sud. Et elles arrivaient plus souvent à Hivernatien qu'à un autre.

Après avoir glissé, et glissé, et glissé sur les parois de la crevasse, il se retrouva sur une petite plateforme.

― Tu vois quelque chose ? lui demanda Lorepure en mettant ses mains devant sa bouche pour faire apparaître un haut-parleur.

Elle savait utiliser ce sortilège depuis bien longtemps. Lorepure aimait se faire entendre de loin. Et de près aussi.

― Alors ? Qu'est-ce que tu vois à droite ?

― De la glace, répondit Hivernatien.

― Et à gauche ?

― De la glace, aussi.

― Et devant toi ?

― Je vois la glace de l'autre paroi de la crevasse.

― Alors regarde derrière ! Il faut vraiment que je te dise tout ?

Comme je vous l'ai déjà indiqué, Lorepure n'était pas très patiente.

― Derrière moi il y a aussi de la glace, lui répondit Hivernatien. Qu'est-ce qu'il pourrait bien y avoir d'autre ? Mais c'est de la glace avec un gros trou noir au milieu.

― Est-ce que ça ressemble à un bracelet ?

C'était sûrement une question piège, et Hivernatien n'aimait pas les questions pièges, surtout si elles venaient d'une fille.

― Tu devrais venir voir, dit-il. Tu es meilleure que moi pour ces choses là.

― Je suis meilleure que tout le monde pour ces questions là. Et surtout meilleure que Mikimiki. Bon, j'arrive.

Lorepure sauta et rebondit une première fois. Ouch ! Elle rebondit une seconde fois. Ouch ! Ouch ! Puis elle continua à rebondir sur des morceaux de glace qui sortaient de la paroi de la crevasse qui faisait un long zig à droite. Lorepure ne savait pas glisser.

Beaucoup de " Ouch ! " plus tard elle se retrouva sur la même plateforme qu'Hivernatien. Lorepure se frotta discrètement le derrière et Hivernatien fit semblant de ne rien avoir vu.

― Où est cette glace avec un trou noir au milieu ?

― Là !

― Ça, ce n'est pas de la glace avec un trou noir au milieu ! dit-elle avec assurance. C'est l'entrée d'une grotte.

― Ah. Ça ressemble pourtant beaucoup à de la glace trouée. Alors ce n'est pas un bracelet non plus ?

Lorepure secoua la tête de droite à gauche pour dire " non ". Car au pôle Sud on disait " non " de la même façon que chez nous. Au pôle Nord on secouait la tête de gauche à droite, mais les sorciers du pôle Nord étaient étranges.

― Je n'ai jamais visité de grotte, pensa Hivernatien. Qu'est-ce qu'il y a dans les grottes ?

― Des ennuis.

― Peut-être aussi des bracelets de perles bleues à pois jaunes ?

― Non. Juste des ennuis, répondit Lorepure.

― Je vais aller voir.

― Non !

― Si ! Viens avec moi.

― Non ! insista Lorepure.

― Très bien, j'y vais seul. Peut-être que Mikimiki est là, en train de chercher quelque chose qu'elle aurait perdu dans une crevasse.

Sans le savoir, Hivernatien venait de faire de la psychologie inversée.

― Je viens avec toi ! annonça aussitôt Lorepure.

― Non.

― Si !

― Non, répéta Hivernatien.

― Je viens avec toi !

― D'accord. Passe devant !

Sans le savoir, Hivernatien refaisait de la psychologie inversée, et ça marchait !

Il faisait sombre dans la grotte, comme dans beaucoup de grottes dans le monde car les gens oubliaient souvent d'y installer l'électricité, surtout dans les grottes du Pré aux crevasses.

― Je vais prendre ma baguette magique et amener un peu de clarté ici, annonça Hivernatien.

Lorepure attendit donc la lumière.

― Alors ?

― Attends un peu, je dois fouiller mes cheveux pour la retrouver. Comme il fait noir et que mes cheveux sont noirs...

― Quelle idée de cacher sa baguette dans ses cheveux ! répondit Lorepure.

― Je suis le seul à faire ça.

― Justement !

― Ah, je l'ai ! Luciolas coriolis !

Aussitôt une nuée de vers luisants furent tirés de leur sommeil dans l'Est de la France et téléportés directement dans cette grotte où ils gelèrent tous immédiatement, sauf deux qui dormaient en pyjamas de laine molletonnée et qui continuèrent à voler. De ce fait la grotte était maintenant éclairée par une pyramide de lumière froide et par deux petits spots volants.

― Tu parles d'un sortilège ! dit Lorepure.

― C'est le seul sortilège de luminosité que je connais, admit Hivernatien. On y voit bien assez.

― Parce que tu vois quelque chose ? C'est noir à deux mètres devant nous.

― Il suffit de chercher à moins de deux mètres devant nous. Regarde là, sous les deux spots volants, c'est une boule de blanc avec une autre boule de noir plus petite dessus.

― Mais.. mais ça bouge ! s'écria Lorepure. Ce n'est pas un troll, alors mieux vaut faire attention. C'est peut-être dangereux. Viens on s'en va. Finalement ce n'était pas du tout cette crevasse là. D'ailleurs en y repensant, je n'ai pas perdu de perles dans une crevasse.

La boule de blanc avançait vers Lorepure effectivement, et la petite boule de noir avançait en même temps.

― Si ce n'est pas un troll alors ça ne peut pas être dangereux, dit Hivernatien. En plus cette boule de blanc est toute petite.

― C'est tout petit parce qu'il fait nuit noire ici ! répondit Lorepure. Arrière !

― Ne crie pas ! La boule de blanc n'aime peut-être pas ça.

La petite boule de blanc laissa échapper un bruit qui aurait pu glacer le sang d'un sorcier des glaces peureux si leur sang n'avait pas déjà été gelé.

― Nous sommes perdus, soupira Lorepure. Je ne reverrai jamais mon gnome-cuisinier. Dire que Mikimiki n'est même pas là ! Celle-là n'est jamais là où elle devrait être.

Elle exagérait beaucoup la menace. Mais quand une boule de blanc avec une petite boule de noir se lève soudainement sur ses quatre pattes et avance vers vous dans une grotte sombre, on peut imaginer que ça puisse être effrayant.

Lorepure était maintenant comme paralysée. Tellement paralysée qu'elle ne songea même pas à utiliser sa magie contre cette menace qui lui arrivait à peine au-dessus du genou. Elle aurait pourtant pu la rapetisser, la découper, l'atomiser, la dissoudre, la couper en triangle, la changer en statue de fromage, lui faire pousser des dents sur le dos, l'envelopper dans des draps en peau de requins ou tout simplement la caresser. Mais quand on est paralysé on ne peut rien faire de tout cela justement parce qu'on est paralysé.

Hivernatien ne bougeait pas beaucoup non plus. Il était presque aussi paralysé que Lorepure mais c'était surtout parce qu'il se demandait pourquoi, dans cette grotte sombre, en plus d'une boule de blanc avec une petite boule de noir, il y avait aussi une sorte de tapis plat qui flottait au dessus du sol glacé.

Un tapis c'était fait pour rester allongé sur le sol afin qu'on puisse s'y essuyer les pieds, y renverser un pot de mites préhistoriques voraces ou même pire, y passer l'aspirateur à krill ! Alors pourquoi ce tapis là flottait-il comme le Mage Servile quand il voulait paraître plus grand que tout le monde ? Dans cette grotte il n'y avait personne d'autre que Lorepure, Hivernatien et une boule de blanc avec une petite boule de noir. Même à vingt centimètres au dessus du sol, le tapis était plus petit que tout ce petit monde.

Comme s'il avait lu les pensées d'Hivernatien, le tapis se souleva encore un peu plus, ce qui permit aux deux vers luisants en pyjama de laine molletonnée de se poser dessous. La place était plus chaude, ou devrais-je dire, moins gelée que le reste.

― Mon bracelet ! s'écria Lorepure qui venait de retrouver la parole car, vous ne l'avez pas oublié, elle était paralysée.

Si elle s'écria " Mon bracelet ! " ce n'est pas parce qu'elle était devenue folle ou qu'elle rêvait debout, mais bien parce qu'elle venait de le retrouver. Il pendait sous le tapis ! Les deux vers luisants avaient fait briller les perles bleues à pois jaunes comme seules peuvent briller ces perles.

Oubliant la peur, la pénombre, et ce dinosaure à sept jambes dévoreur de sorciers qui se cachait quelque part ailleurs dans la crevasse (et dont on ne parlera plus jamais donc vous pouvez l'oublier) Lorepure se précipita vers le tapis. Ensuite les choses devinrent floues comme c'est le cas quand elles se passent trop rapidement. Mais je peux vous dire qu'en voyant cette furie courir vers lui, le tapis fut pris de panique et chercha à s'enfuir. Un tapis aussi a des sentiments, qu'est-ce que vous croyez !

Voyant son tapis s'envoler, la boule de blanc avec la petite boule de noir chercha à s'enfuir aussi parce que ce n'était finalement qu'un ourson blanc perdu et apeuré. Mais vous l'aviez deviné.

C'est là que ça se complique. En s'envolant, le tapis emporta Hivernatien et l'ourson alors qu'aucun des deux n'avait demandé quoi que ce soit. Lorepure, voyant son bracelet s'enfuir avec le tapis et ses passagers, sauta en l'air pour l'attraper. Elle n'attrapa qu'une des jambes d'Hivernatien, qui lui-même avait attrapé une des pattes de l'ourson qui était accroché au tapis par les dents. Et les voilà tous les trois dans le ciel de l'Antarctique sur un tapis volant qu'aucun ne savait piloter !

― On va s'écraser ! cria Hivernatien.

― Mon bracelet ! répondit Lorepure.

― On va s'écraser d'abord ! lui fit remarquer Hivernatien.

― Je m'en moque ! Je veux mon bracelet !

En plus de bouger dans tous les sens, le tapis se dirigeait droit vers le glacier à la frontière entre la banquise 49 et la banquise 54. Ça allait faire mal !

― Tu es trop lourde, Lorepure !

― Attrape le bracelet ! cria-t-elle.

― Vomis ce que tu as mangé !

― Je n'ai rien mangé! répondit-elle. Juste une demi pieuvre à la crème d'oursins, trois homards bleus à quatre pinces, deux kilos d'algues, une petite brouette de moules égarées, trois mini steaks au plancton avec de la sauce d'encornés, deux merlans sans arêtes, un panier de concombres de mer, deux anguilles à la glace pilée, une terrine de thon en gelée et trois petits calamars géants. Tu vois bien que ce n'est pas moi !

Le tapis continuait à secouer ses passagers comme des dés de glaces avant qu'on les lance.

― Et les desserts ? demanda Hivernatien. Débarrasse-toi des desserts, on va tomber et je ne sais pas voler.

― Moi non plus !

Heureusement pour tout le monde, sauf pour Lorepure, un dernier cahot du tapis eut raison de l'estomac de la jeune sorcière des glaces. Il rendit tout, repas et dessert ! C'est à l'odeur qu'Hivernatien réalisa que son amie n'avait eu qu'une salade de fruits de mer noire, deux glaces royales aux fraises vertes, un gâteau au chocolat des abysses, trois éclairs à la vanille, un rouleau complet de guimauve, une boîte entière de cacahuètes tombée d'un navire échoué sur la banquise 207 et des œufs d'esturgeons à la neige.

Une fois qu'elle eut terminé de vomir, Hivernatien sentit un poids en moins à sa jambe, et le tapis volant remonta comme une flèche juste au moment où ils allait percuter le sommet du glacier. Le tapis, l'ourson et Hivernatien passèrent juste au dessus. Ensuite ils sentirent un autre poids en moins. Le tapis s'immobilisa enfin.

― On a eu chaud, non ! Lorepure ? Lorepure ? Où es-tu ?

Elle ne pouvait pas répondre car elle était enfoncée jusqu'aux genoux dans le sommet du glacier.

― Elle ne va pas être contente du tout ! pensa Hivernatien tout haut. Peut-être que si je la laisse comme ça suffisamment longtemps, elle oubliera.

Mais les sorcières des glaces étaient comme les éléphants d'Afrique. Elles n'oubliaient jamais rien. Surtout ce genre de chose.

Heureusement pour Hivernatien, le bracelet était toujours accroché sous le tapis. Il le récupéra, certain que Lorepure serait tellement heureuse de le récupérer qu'elle passerait l'éponge de mer sur le reste. Puis il tira son amie par les pieds jusqu'à ce que le reste sorte du glacier avec un " Pop ! "

― Je sais ce que tu vas dire, mais regarde ce que j'ai pour toi, dit Hivernatien en lui montrant le bracelet. J'ai tes perles. Tu ne vas pas me changer en ver de banquise, d'accord ?

Il voyait bien que l'envie ne manquait pas à Lorepure, mais elle réussit à se calmer assez pour lui demander le bracelet. Ce qu'Hivernatien fit bien volontiers. Il tendit sa main pour lui donner l'objet en question sans s'apercevoir que le fil qui tenait les perles était accroché à son pantalon. Ce fil qui craqua d'un seul coup.

Hivernatien comprit immédiatement que parfois la vie d'un sorcier des glaces ne tient qu'à un fil. Lorepure, elle, comprit immédiatement que les perles bleues à pois jaunes roulaient sur la glace comme n'importe quelles autres perles. Elle les regarda rouler sans réagir parce qu'elle était de nouveau paralysée. Elles roulèrent, roulèrent et roulèrent encore le long du glacier jusqu'à repasser la frontière entre la banquise 54 et la banquise 49, et retomber l'une après l'autre dans la crevasse d'où elles venaient.

Comme si cela ne suffisait pas, cette crevasse venait d'essayer de passer la frontière en espérant que personne ne la verrait. Manque de chance, quelqu'un l'avait dénoncée de façon anonyme. Elle fut donc refermée dans le silence d'un printemps de l'Antarctique.

C'est triste.

Quand Lorepure put bouger à nouveau, c'est à dire quand le choc psychologique fut passé, elle avait déjà un sortilège tout prêt pour Hivernatien. Un horrible sortilège, un sortilège monstrueux. Mais Hivernatien ne l'avait pas attendue. Il avait filé avec son ourson blanc et le tapis.

Il allait devoir faire très très attention pendant une vie ou deux !


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine