Shakespeare en traversée.
27. Henry VI
Au tout début de Shakespeare notre contemporain, son essai référentiel consacré au Barde, Ian Kott affirme que c'est par les drames historiques qu'il faut aborder Shakespeare, et cela se justifie sans doute dans l'optique d'une découverte progressive accordée au progrès chronologique de l'œuvre, du début à la fin.
Ian Kott établit, par manière de préambule à son approche des pièces historiques (il s'arrête essentiellement à Richard III), un inventaire généalogique de tous les meurtres royaux, trahisons et assassinats d'enfants au berceau ou de vénérables monarques des deux sexes, empoisonnements ou décapitations qui ont ensanglanté la chronique des dynasties anglaises au XVe siècle sur fond de guerres et d'épidémies affreuses, de crimes commis au nom du même Dieu, de rivalités éternelles et autres délices. Terrifiante litanie !
Or, la première partie d'Henry VI s'ouvre sur une querelle véhémente devant le cercueil d'Henry V, opposant divers grands personnages, dont le très retors évêque de Winchester, futur cardinal.
La pièce, comme tous les drames historiques de Shakespeare, joue très librement avec faits ou personnages réels et recomposition dramatique. Une querelle entre jeunes lords préfigure la guerre des deux roses. Le nouveau roi apparaît en jeune homme pieux et pacifique attaché à ses livres comme le futur Prospero, et le personnage de Jeanne d'Arc cristallise la violence de droit prétendu divin sous des traits caricaturaux, reniant son père de la plus vile façon et se prétendant enceinte pour couper au bûcher ! Mais la verve satirique du jeune Will n'épargne pas ses compatriotes, alors que bouffons malicieux et vieux sages détaillent déjà les causes du mal rongeant nations et individus.
Un irrésistible effet comique, magnifiquement rendu par la mise en scène de la présente version de la BBC, est lié à la bascule incessante entre victoires et défaites des Anglais contre les Français et vice versa, les uns se précipitant au combat par une porte avec des cris de guerre et en revenant tout cabossés, avant que les autres n'entrent par la même porte qui les voit s'enfuir aussitôt après. Le chaos du monde en sa face risible...
Mais la guerre est aussi une horreur absolue que figure John Talbot - héros des batailles sur sol français, véritable Achille anglais (auquel Trevor Peacock prête sa carrure de géant nain et son faciès de brute bouleversante) enjoignant son fils Jean de fuir la bataille, au scandale de celui-ci, puis mourant avec le cadavre du jeune héros dans ses bras - cette suite de scènes relevant déjà de l'immense Shakespeare chantre de la vraie noblesse de cœur et de la compassion, de la lucidité la plus cinglante et de l'appel pacificateur.