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Auguste Silice: début 1919, premières correspondances du Cambodge

Publié le 12 février 2017 par Christinedb
Après la période de la première guerre mondiale, Auguste retourne au Cambodge . Il s'installe à Phnom Penh, capitale du protectorat, au début de l'année 1919. On l'engage pour ses compétences et ses connaissances de l'art de l'Extrême-Orient et il commence alors à organiser le futur musée du Cambodge, dont les nouveaux bâtiments sont en construction, commence alors une correspondance passionnante que vous allez découvrir petit à petit.

Auguste Silice: début 1919, premières correspondances du CambodgePhnon-Penh le 5 janvier 1919
Le Directeur des Arts Cambodgiens

Mon cher Oncle

Voici bientôt un mois que nous n'avons pas de courrier de France et je n'en attends guère que par le Cap Arcona qui arrivera vers le 22 janvier. Les courriers sont aussi irréguliers que pendant la guerre aussi les gens d'ici ne sont pas contents et nous avons demandé que les courriers japonais passent à Saigon. Tant pis pour la Compagnie des Messageries Maritimes ils en prennent vraiment trop à leur aise avec le public. En ce moment il fait une température exquise, c'est le printemps de France et on est obligé de prendre une couverture pour la nuit. La mousson de Nord-Est est tout à fait établie et nous en avons encore pour plus d'un mois. Je dessine beaucoup et peins un peu et je chasse le reste du temps. L'école ne me prends pour le moment que 4 heures par jour aussi je profite du temps de libre. Je vais avoir du travail pendant un mois quand nous allons changer de locaux en février et puis le train des choses reprendra. Je ne suis pas parti en tournée, il y a eu contre-ordre au dernier moment comme toujours. J'ai fait du pétard parce que j'avais déjà acheté des conserves, de l'eau, engagé des coolies et tout le bazar qu'il a fallu que je paye. Je pense que l'administration va me rembourser.
Le premier janvier s'est bien passé, pas trop de tuiles ni trop de réceptions officielles.
Les visites officielles pour moi sont au moment du jour de l'an Cambodgien puisque je fais partie du palais. C'est à dire en Mars. On va saluer le Roi et il y a des danses sacrées. Nous allons préparer cela cette année-ci de façon un peu plus chouette que d'habitude car il nous arrive un gouverneur général tout neuf alors on le submerge de fête pour qu'il nous fiche la paix? Il n'y a pas plus royaliste que les républicains. Si tu voyais les députés qui passent ici faire des salams devant le vieux Sisowath tu te tordrais et puis comme ils ne connaissent rien aux traditions de la cour, ils sont empotés et ridicules. Ils se croient tout le temps en représentation et se mettent en habit à 8 heures du matin. Il m'en est arrivé un comme cela le mois dernier. C'est la Résidence Supérieure qui me l'avait expédié pour que je le balade dans le Palais. Il s'était mis en frac de drap noir par une chaleur à tomber, moi j'étais en blanc, j'ai été sidéré de le voir dans cette tenue pour un peu il aurait mis un gibus alors tu vois cela un homme en habit avec un casque blanc. Toutes les femmes du Palais se roulaient et moi j'étais très embêté d'être là.
Il est assommant d'être toujours dérangé. On m'amène 5 tonnes de marbre et je n'ai aucune place pour les loger, nous sommes plein à vomir et le 15 il m'arrive 25 élèves de Battambang, et les locaux ne sont pas prêts. C'est à se tordre. Enfin l'essentiel est de ne pas se frapper, c'est assez mon habitude, depuis la guerre je ne m'épate plus de rien, j'en ai tant vu de toutes les couleurs qu'il faudrait quelque chose de rudement énorme pour me mobiliser. J'ai le projet de m'acheter

Auguste Silice: début 1919, premières correspondances du Cambodge
un grand sampang pour me balader sur le fleuve et aller à la chasse pendant les hautes eaux de façon à pouvoir tirer des panthères sans risques. La panthère n'aime pas l'eau comme tous les chats et moi je n'aime pas à la rencontrer en terrain sec, en rejoignant nos goûts respectifs, je pense arriver à un résultat.
Il y a un administrateur qui a fait un doublé d'éléphants au Lang Biang, c'est un coup magnifique, il les a arrêtés à 25 mètres pendant qu'ils le chargeaient. Il a tiré pour sa vie car s'il en avait raté un , on en aurait rien retrouvé. Il y a beaucoup d'anglais qui viennent ici pour chasser le tigre et quand nous aurons le tourisme organisé, je m'occuperai du coté chasse dans le Melon Prey . Il y a tout le gibier qu'on veut et il y a des américains qui offrent mille dollars pour tirer un tigre, s'ils le ratent c'est le même prix! Il est vrai que c'est un plaisir royal, on rabat la bête à dos d'éléphant et il y a parfois vingt bêtes qui rabattent le tigre, c'est magnifique. Je m'offrirais cela un jour ou l'autre car le tourisme va nous être donné pour l'organiser d'une façon convenable alors je me paierai une chasse aux frais du protectorat pour voir un peu ce que c'est.
J'espère avoir de vos nouvelles par le Caparcona à moins que le courrier qui a dû arriver ce matin à Saigon m'en apporte mais j'en doute car c'est un anglais de la Peninsular Cie et ils ne touchent qu'à Toulon. Ce serait trop simple d'envoyer le courrier de Marseille à Toulon! C'est pourquoi on ne le fait pas
A bientôt, je vous embrasse bien des fois, bonne santé et bonne année.
Auguste

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Phnom Penh le 8 février 1919

Mon cher oncle,
Je pense que tu as du réintégrer ta maison de Malzéville et que tu as tout retrouvé en bon ordre, du moins je le souhaite. J'espère aussi que les santés sont bonnes et que tout le monde est sur pied. Pour moi je suis maintenant rendu à la vie civile et j'ai été réformé pour les suites de ma blessure mais à part ce petit inconvénient tout va bien. Je suis à Phnom Penh pour quelques temps. je suis à la tête de l'école des arts du Cambodge et comme nous sommes au début de cette organisation nous avons du travail. Nous sommes deux à nous partager la besogne et il y en a mais c'est très intéressant. il va sans dire que nous ne faisons que du cambodgien et je t'assure que c'est fort beau. il m'a fallu étudier cela et je ne suis pas au bout. Tous les jours on fait de nouvelles trouvailles. On est en train de construire une école et un musée qui seront définitifs, pour le moment nous sommes logés dans des locaux provisoires qui n'ont rien de confortable mais la fin de 1919 nous verra installés dans nos nouveaux locaux. Je t'en enverrai des photos et des dessins de ce que font les artistes d'ici. C'est passionnant au plus haut degré. les cambodgiens sont des gens paresseux et lents mais artistes nés et ils ne montrent un peu de courage au travail que quand il s'agit d'art, mais alors ils dépensent des trésors de patience et ingéniosité. J'ai à la ciselure des gosses de 14 ans qui composent et burinent des objets en argent que ne renierait pas un artiste de la Renaissance italienne et il y a des motifs qui semblent appartenir à cette époque. c'est tout à fait curieux, je te ferai faire des calques de dessins et tu pourras probablement t'en servir car c'est d'une richesse de décoration qui te surprendra. Je pense monter à Angkor le mois prochain pour travailler et je m'en réjouis beaucoup. j'ai pu faire un peu de peinture pendant que j'étais encore mitrailleur mais je n'avais guère le temps car le métier de soldat est fatiguant à la colonie à cause du climat et mes heures de loisir se passaient à me reposer. Mais maintenant c'est fini depuis deux mois j'ai pu faire des choses intéressante à Vat Nokor ou il y a une ancienne pagode splendide au milieu d'une magnifique forêt. Je commence à parler un peu le cambodgien ce qui me donne accès facile chez les bonzes. C'est une langue très difficile surtout à lire et à écrire mais avec de la patience on s'en tire. Donne moi de tes nouvelles, dis moi ce que vous devenez. Maintenant que la guerre est finie, j'espère que tout va se remettre peu à peu et que tout va rentrer dans l'ordre.
Donne moi des nouvelles de Nancy, la ville a-t-elle été très abîmée et les beaux monuments qui en sont la gloire sont-ils encore debout? Ici nous ne savons rien et nous sommes à l'écart, aussi le courrier de France est il attendu avec impatience. Cette lettre t'arrivera vers la fin de mars. Je t'écris à Malzéville car je pense que tu y es où que l'on te ferra suivre le courrier. Je vous embrasse tous bien affectueusement.
Auguste


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