Avec "Rocco et la Toison", Vincent Vanoli démontre que la bande-dessinée est un art médiéval ; en effet,
Au-delà du style, V. Vanoli dans "Rocco et la Toison" suggère quelque chose de plus profond : la ressemblance entre notre époque moderne et le moyen-âge, si ce n'est sur le plan du costume, du moins sous l'angle de la mentalité.
Le personnage de saint Roch de Montpellier dont Vanoli nous narre l'itinéraire, ô combien pittoresque et mouvementé, à travers le midi de l'Europe, sous la menace terrifiante de la peste, ce personnage paraît très proche de nous, de notre culture, à travers ses questionnements et son voyage mystico-initiatique.
Cette "réanimation" du célèbre saint, vénéré dans une bonne partie de l'Europe catholique (Italie, France et Pologne en tête), et que Vanoli fait ainsi descendre de son piédestal d'icône religieuse, est-elle pure fantaisie de l'auteur ? On pourrait le croire ; l'histoire scolaire ne nous persuade-t-elle pas que nous sommes les dignes héritiers du progrès et des philosophes des Lumières, affranchis de l'obscurantisme du moye-âge ? Néanmoins le moyen-âge de Vanoli, aussi succinct soit-il, a plus de consistance que certaines images d'Epinal. V. Vanoli ne propose pas une défense du Moyen-âge, comme l'historien Jacques Le Goff, mais il donne un aperçu d'une époque contrastée, voire ambiguë, et qui ne peut se résumer d'un seul trait.
On sait que cet auteur a illustré naguère une partie du "Décaméron" de Boccace (1313-1375), qui dépeint les moeurs légères de la bourgeoisie de son temps, ainsi que du clergé catholique. La satire de Boccace montre un moyen-âge éloigné à la fois de certaines représentations idéales comme du repoussoir conçu par les idéologues républicains afin de consolider la thèse du progrès. Le moyen-âge de Vanoli dérive en partie de celui de Boccace, tout en empiétant sur le XXIe siècle.
La peur contemporaine de l'islam guerrier, ou encore d'une catastrophe écologique, engendrent une psychose analogue à celle provoquée par la menace de l'épidémie de peste noire dans l'Europe de la fin du moyen-âge (seconde moitié du XIVe siècle). Le climat est plus propice aux plaisirs furtifs qu'à un bonheur plein et large.
Rocco, bien que très jeune, a du recul sur toute cette agitation propice à la superstition, au fanatisme et aux mouvements de foules ; saint "thaumaturge", capable de soigner la peste, Rocco sera proclamé saint par acclamation populaire, avant d'être atteint par la maladie à son tour, puis miraculeusement guéri. Vanoli semble faire un parallèle entre le saint et l'auteur de bande-dessinée, dont la vocation n'est pas claire. Quel est son rôle, dans une époque troublée ? Divertir, c'est abrutir, et par conséquent un auteur de BD peut-il s'en contenter ?
On pense aussi parfois au roman de Diderot, "Jacques Le Fataliste", dans lequel Diderot scrute le pouvoir d'invention de l'écrivain, de créer la fiction, cette antimatière aussi fascinante que vaine. Vanoli joue avec l'histoire de saint Roch, qui part de faits bien réels, en même temps qu'elle a des aspects légendaires : il donne sa propre partition, retranchant ici, ajoutant par là, tout en conservant la trame du récit.
D'ailleurs l'importance de la littérature aujourd'hui, son foisonnement auquel la BD et les séries télé contribuent, a son point de départ dans ce temps apparemment reculé où l'Europe était encore recouverte par des forêts. Elle est désormais enfouie sous des livres, sans que l'horizon s'en trouve éclairci.
Rocco et la Toison, par Vincent Vanoli, éd. L'Association, 2016.