8 février: billet de blogue résumant la situation et mes impressions.
9 février: au réveil, quelques phrases me trottent dans la tête. Dans la journée, j’écris quelques lignes. Au Je et au présent.
Je m’appelle Dominique Bricault, je viens tout juste d’avoir treize ans et je n’aime plus ma mère, je déteste mon frère, et je me méfie de mon père. Et comme ma vie tourne autour d’eux, je fais tout pour sortir de la maison le plus souvent possible. Je cours dans les côtes de Lévis. Je pédale dans les rues de Lauzon. Je n’ai même pas d’amies. Comment pourrais-je en avoir, on passe notre temps à déménager. Je suis en huitième année au couvent Notre-Dame-de-toute-Grâce. Et c’est ma dixième école. Oui, c’est possible : maternelle et déménagement en cinquième année, donc deux écoles la même année.J’ai arrêté là. Il y aura beaucoup trop de « je », mais surtout comment le personnage de la fille pourra-t-il savoir ce qui se passe dans la tête de sa mère? Oui, ça fait plus direct, plus fort, le lecteur s’identifiera plus facilement, pas certaine. Qui de la mère ou de la fille, devrais-je sacrifier? Et puis ça fait journal d’ado, ce qui ne donne pas le but du livre. Je ne suis pas prête.
10 février: M’appliquer à dresser la liste de ce que j’aurais à surveiller dans chaque chapitre : les cinq sens, les émotions, résoudre un problème et en présenter aussitôt un autre. Pourtant déjà fait lors de la dernière version. Prendre des notes. Peut-être ne pas corriger ou ajouter tout de suite. Juste noter.Mais ai-je assez de recul pour trouver les faiblesses? J’essaie de lire autre chose, je ne peux pas. N’y trouve aucun plaisir. C’est mon œil d’auteur qui lit, qui cherche. Et c’est mon petit cœur envieux qui se dit : « qu’est-ce qu’il a de plus que le mien ce roman pour avoir été publié? ». Ou il est complètement abattu, admiratif : « je suis nulle ».Je ne suis pas prête.
11 février: Et si, au lieu de laisser le lecteur trouver les liens avec les deux tomes précédents comme je le voulais d’abord, si je les nommais clairement? Nommer les fantômes. Mieux encore, les faire vivre. Identifier l’héritage des ancêtres. Quête de parenté. Ça aurait le mérite d’être un peu plus original et intéressant. Pourtant, il ne faut pas tout dire. Il faut laisser l’interprétation à chaque lecteur. Retour case départ.
Et je vois venir le Salon du livre de l’Outaouais. Irais-je? Comme auteure, j’ai dit non, pas cette année, mais en tant que visiteuse? Aller voir Suzanne Aubry qui vient de faire paraître « Je est une autre »? Acheter quelques trouvailles? Aller saluer mes confrères et consœurs de l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais? Passer devant le stand de l'éditeur? Me faire demander : « et puis ton roman, il s’en vient? » Le cœur sur le bout des lèvres, saurais-je retenir mes larmes? Sujet trop sensible encore, je ne suis pas prête.
12 février: Ai reçu mes redevances pour l’année 2016. Très heureuse du montant qui n’atteint pourtant pas le mille. Heureuse aussi de voir que je ne pas vendu qu’à des amis ou des connaissances puisque quelques centaines en librairie et numérique. Une question pourtant : est-ce que cette comptabilité a influencé la décision du comité de lecture de refuser le roman? Pour eux, peut-être pas suffisant? Et me l’aurait-on dit si c’était le cas? Et à la fin du mois, un autre chèque sera dans ma case postale, celui du programme du droit de prêt public (DPP). Ce qui donne une existence à mes écrits. Pas une reconnaissance, pas une valeur, mais une existence.
Le Conseil des arts du Canada verse des paiements annuels aux auteurs canadiens dans le cadre de son Programme du droit de prêt public, à titre de compensations pour l’accès public gratuit à leurs livres dans les bibliothèques publiques du Canada.15 février: Dix jours déjà. Et toujours cette impression de comprendre tout à fait l’expression « une poule pas de tête ». Devant l’écran, une dizaine d’onglets ouverts. Je sautille de l’un à l’autre. D’un article de journal à un blogue. D’une mention d’un livre à Babelio à la BANQ pour feuilleter un extrait. Comme si je cherchais comment réussir à construire cette intrigue enlevante que réclame l’éditeur. Comme si je faisais une dégustation à l’aveugle tout en me demandant quel goût devrait avoir mon roman ou quelle épice il lui manque. Je m’attarde à L’urgence et la patience de Jean-Philippe Toussaint. Je sens encore l’urgence, mais je n’ai plus la patience. Peut-être que contrairement à Toussaint qui a écrit ce qui tourne autour de ses livres : le début de l’écriture, les lieux, les théories, peut-être écrirai-je sur la fin de l’écriture de roman. Non pas le désespoir, le découragement, mais seulement la lucidité. Venue en petites vagues.
Je ne me regarde pas couler. Juste nager vers un rivage tranquille. Une poule qui court tout sens, en s’accrochant dans les fleurs du tapis.Je flâne du côté du Camp littéraire Félix. Me trouver un mentor ou une motivatrice. Une personne qui met le doigt sur le bobo. « C’est là, juste là » Qui ramasse mes plumes, qui m’aide à retrouver ma tête, qui calme la tempête et me montre
Je suis à côté du roman. Comme le journal du roman. Le carnet de notes du roman. Ce qui tourne autour, mais pas encore dedans. À chercher la recette parce que quelqu’un m’a dit que le gâteau était raté, n’avait pas assez bon goût. Je ne réécris que le début. Pour voir. Pour écouter. Pour trouver un autre angle, une autre perspective comme il m’a été suggéré dans la lettre. Et quand je pense avoir trouvé, ça ne dure que quelques lignes. Je bute déjà. Sur le sentier gravillonné, la poule-pas-de-tête, qui éparpille ses plumes sur tous les coins de murets sur lesquels elle se bute, a tout de même trouvé ce livre : Journal désespéré d’un écrivain raté de Mary Dollinger qui a tenu un blogue pendant quatre ans.
Plus fouineuse que studieuse, plus lièvre que tortue, je pourrais peut-être écrire le « blogue de l’écrivain qui aurait dû se contenter de lire ».
Ne vous inquiétez pas, c’est mon genre d’humour, d’autodérision pour aller au bout ou au fond en attendant de retrouver ma tête… non pas de poule, mais de cochon!