Le bal mécanique, le coup de maître de Yannick Grannec

Publié le 17 février 2017 par Aniouchka

En 2012, le premier roman de Yannick Grannec, La déesse des petites victoires, avait été une révélation pour moi. J’attendais donc son second roman avec impatience. Avec Le bal mécanique, l’auteur signe un texte d’une richesse incroyable et confirme son talent.



Quatrième de couverture : Un soir de 1929, la prestigieuse école du Bauhaus, à Dessau, a donné un bal costumé. C'était avant que les nazis ne dévorent l'Europe, c'était un temps où l'on pouvait encore croire au progrès, à l'art et au sens de l'Histoire. Pendant ce bal, une jeune femme, Magda, a dansé, bu et aimé.
Quel rapport avec Josh Schors, animateur à Chicago d'une émission de télé-réalité dont le succès tapageur mêle décoration d'intérieur et thérapie familiale ? Quel rapport avec son père, Carl, peintre oublié qui finit sa vie à Saint-Paul-de-Vence, hanté par les fantômes de la guerre de Corée et les mensonges d'une enfance déracinée ? Quel rapport avec Cornelius Gurlitt, cet homme discret chez qui l'on a découvert, en 2012, la plus grande collection d'art spoliée par le IIIe Reich ? Quel rapport avec la marchand d'art Theodor Grenzberg, qui poursuit sa femme, Luise, dans la folle nuit berlinoise ? Quel rapport avec Gropius, Klee, Rothko, Marx, Scriabine, l'obsession de la résilience et Ikea ?
Un siècle, une famille, l'art et le temps. Vous êtes invités au "bal mécanique".
Mon avis :
Il a fallu quatre ans à Yannick Grannec pour écrire ce texte foisonnant construit en deux parties. La première nous invite dans l'actuelle Chicago, dans les coulisses de l'émission de télé-réalité de Josh Schors, qui se bat pour défendre son concept complexe face aux exigences de simplification des actionnaires. La seconde nous transporte entre la Suisse et l'Allemagne, dans une famille de marchands d'art et dans les couloirs de la fameuse école du Bauhaus.
Le lien entre ces deux univers : Carl Schors, le père de Josh, un peintre antipathique qui se donne la mort après avoir découvert le secret de ses origines. C'est le point de départ d'une enquête généalogique passionnante qui nous emporte dans le monde d'art. Car le thème principal du roman est bien là : l'art et sa beauté complexe, le point de vue qu'il donne sur le monde et la manière dont il se transmet.
Même si la définition de la beauté est propre à chaque génération, à chaque individu, il est important de nourrir ses enfants avec celle qu'on croit reconnaître. Leur donner ce cadeau sans étiquette et sans marque est bien plus qu'une consolation, bien plus qu'un dérivatif, bien plus qu'une colère dans un avenir absurde et dangereux. C'est un lien à travers le temps.

Des deux parties du roman, c'est la seconde qui m'a le plus séduite. L'immersion au cœur du Bauhaus est fascinante. On y croise des artistes célèbres qui ont bâti la renommée de l'école : Gropius, Klee, Kandinsky... aux côtés de personnages fictifs dont on a peine à croire qu'ils n'ont pas existé. J'ai été charmée par cette atmosphère de création artistique parfaitement recréée par Yannick Grannec. J'ai adoré suivre Paul Klee, lire ses lettres que l'auteur a inventées sur la base de documents d'archives, me promener dans les couloirs du Bauhaus aux côtés de Magda, l'un des personnages du roman. Tout m'a semblé incroyablement réel et j'ai laissé durer le plaisir en savourant chacune des phrases de ce texte magnifique.
Le bal mécanique m'a séduite par son audace, par sa puissance, par son suspense aussi. Yannick Grannec y mène un formidable jeu de pistes qui m'a totalement absorbée. Mais par-dessus tout, j'ai aimé les références permanentes à l'art et à son histoire, à sa vision esthétique et politique. Le texte regorge d'anecdotes, de clins d’œil à des artistes de tous bords et de tous horizons. Chaque chapitre est d'ailleurs placé sous l'égide d'une oeuvre d'art réelle ou inventée qui donne le ton du récit. Ce roman est une ode à l'art et à la liberté de penser par soi-même, d'appréhender le réel comme on l'entend.
Pour moi, La déesse des petites victoires était un coup de cœur. Le bal mécanique est un coup de maître.

L'art dans la littérature, vous en pensez quoi ?
Avez-vous déjà lu des livres qui vous donnent envie de (re)découvrir une période artistique ?




Le bal mécanique de Yannick Grannec
Publié en 2016 aux éditions Anne Carrière
529 pages