Daniel Casanave a mis son dessin énergique et naturaliste (= dessin d'observation) au service d'une petite
Tout part d'une rumeur, partie d'on ne sait où, qui se glisse sous les volets des maisons d'une ville de province, en ressort pour faire un tour par l'épicerie principale, change brusquement de direction sur le rond-point central... on croit alors qu'elle va aller se perdre dans la campagne et se dissiper, mais elle s'accroche, comme un morceau de chewing-gum collé à une semelle, impossible de s'en défaire. Cette chose si inconsistante et si humaine en même temps va faire des dégâts sur son passage...
Mettre en scène la rumeur était une gageure, et D. Casanave et G. Rochier ont sur relever le défi. Astucieusement, les auteurs ont situé ce personnage inquiétant, ô combien d'actualité, dans une ville de province ; désormais la rumeur court à l'échelle du globe, propagée surtout par les médias, qui se livrent une concurrence farouche pour publier tel ou tel "scoop", qui s'avère parfois un gros bobard. La précipitation de la presse à livrer à ses clients une information toute fraîche l'entraîne à commettre des erreurs, voire à fabriquer l'information de toutes pièces.
N'y a-t-il pas une ressemblance avec des commérages, récemment, dans les propos et attitudes de certains chefs d'Etat occidentaux lors de leurs shows télévisés "urbi et orbi" ? Ce comportement fait écho à l'intérêt des journalistes pour les détails salaces de la vie privée des grands de ce monde.
La rumeur est également un phénomène considérable dans le domaine de la finance et de l'économie ; il est possible de bâtir aujourd'hui -certains fainéants de génie en sont capables- une fortune colossale sur une simple rumeur. Cela explique que la rumeur soit devenue une arme politique, en même temps que l'on s'efforce d'y trouver des parades. L'action politique s'en trouve paralysée.
La BD de Casanave et Rochier a le mérite de montrer que la rumeur est profondément humaine, bien plus que n'est la vérité ou l'expérience scientifique. Difficile d'imaginer une société sans rumeur. La rumeur est "quantique".
Qu'il s'agisse d'une ville de province ou de l'échelle planétaire, la mécanique de la rumeur est la même. Si ça se trouve, la prochaine guerre mondiale sera déclenchée par une simple rumeur ?
Un petit album, donc, qui peut amener à une réflexion plus large.
Tu sais ce qu'on raconte, par Daniel Casanave et Gilles Rochier. Eds Warum, 2017.