Parce que j’écris, je recrée une femme que la quarantaine étouffe dans le Québec de 1964,parce que je réécris, je trace le portrait d’une adolescente qui se cherche en 1964,pour ce faire, je replonge, je retourne dans le passé, dans cette époque entre le noir d’avant et le tranquille souhaité. Une époque qu’on a qualifiée noire après en être sortie, qu’on a voulu tranquille, sans faire la révolution. Où tout fut chamboulé, de l’église aux écoles, des chambres à coucher à la pilule, de notre langue au théâtre, et du vin au fromage.
Moi, dedans, adolescente, je vivais ces années-là, mais je ne nommais rien. J’étais témoin, j’étais éponge, j’étais caméléon. Je sombrais, je titubais, mais je ne nommais pas.Je lisais Réjean Ducharme, Marie-Claire Blais, Françoise Loranger et mes humeurs étaient forcément sombres. J’avais cessé d’aller à la messe, je ne savais pas ce que je ferais quand je serais grande, mais ça ne m’inquiétait pas. Je suivais la foule. J’écoutais mes parents. J’étais toute à mes amitiés à entretenir et à mes amours à espérer.
Et aujourd’hui, parce que je fais revivre cette mère, qui n’est pas tout à fait la mienne, et cette fille — qui n’est pas entièrement moi, ai-je besoin de le préciser en cette ère du « je » ou du « tu » que l’on croit toujours auto-fictifs —, c’est comme si je sombrais, vacillais encore un peu. Par mimétisme.
L’adulte d’aujourd’hui essaie de retenir la fillette d’autrefois. Ne pas m’enliser à nouveau.
Aujourd’hui, je suis celle qui nomme, qui raconte. Qui pige dans ses souvenirs, qui cherche des informations, mais qui a du mal à garder le sourire d’un jour de soleil alors que je farfouille dans des nuits de grisaille, et que je dois inventer déchirements et réconciliations, paroles froides et tendresses filiales. Jouer dans le cœur de mes personnages sans que le mien perde espoir de demeurer intact.Comme avril, comme les années '60, sortir de la noirceur pour enfin connaitre la tranquille saison de semailles.
Qui sort intact de son enfance ou de son adolescence?
Lecteurs, lectrices, auteur-e-s, les humeurs de vos personnages déteignent-ils sur vous? Ou c’est plutôt l’inverse?