Si vous le voulez bien, livrons-nous à une petite expérience ensemble. Fermez les yeux…
Oui, bon… Gardez les yeux ouverts et visualisez dans votre esprit « l’aventure ». Si c’est une scène d’Indiana Jones, rassurez-vous, moi aussi. Mais passons, j’imagine que dans votre esprit vous voyez de grandes étendues sauvages et naturelles infinies, de l’action, du mouvement, de la romance, bref l’Aventure quoi. Ce que vous ne voyez probablement pas, c’est un mec assis depuis trois heures à un abribus, dans une salle d’attente de gare, dans un Mc Do ou un Starbuck, sur un bord de route, enfin un mec qui tue le temps et qui franchement à l’air de se faire chier. Et pourtant, c’est bien une réalité du voyage, l’attente – les longues heures d’attente – en fait partie intégrante.
Ayant pris plus d’une quinzaine d’avion dans l’année et voyagé sur trois continents en bus, à pied, en stop, en train, en voiture et à dos de kangourous du chaos, je peux vous affirmer sans trembler des genoux que nous avons passé de nombreuses heures en situation d’attente. Sans compter le summum de la perversion du monde : la file d’attente pour entrer dans un truc.
Nous étions dans la ville de Jackson dans l’Etat du Mississippi, Zozo et moi. Jackson fait partie de ces villes qui furent durement frappées par l’ouragan Katrina, il y a maintenant quelques années et se trouvèrent oubliées par le grand plan de reconstruction. Aussi, si vous arrivez dans la ville de Jackson par le train, vous pourrez voir au sortir de la gare de magnifiques bâtiments en ruine où la nature a repris ses droits. Après trois jours pluvieux en couchsurfing dans la ville, nous avions finalement décidé de faire comme Eddie Mitchel et de prendre la route de Memphis. Mais pas n’importe comment, non. Nous avions décidé d’inaugurer l’utilisation du stop sur le continent américain. (cela donnera sûrement lieu à un article spécifique tellement il y a à dire sur ce simple sujet) Aux dires de notre hôte, on devait se mettre vers une bretelle de sortie de la ville et on serait pris sans problème en peu de temps. À cette période de l’aventure Zozo et moi voyagions avec un gros sac sur le dos et un petit sac ventral avec du matériel de vidéo et nos carnets de dessins. J’avais même décoré l’anse du mien d’un petit foulard de pirate. Nous sommes resté à regarder passer des voitures pendant une heure avant que des gouttes ne commencent à tomber. Il y a un court laps de temps où l’auto-stoppeur sous la pluie attire la sympathie, avant d’entrer dans le long moment où il devient aussi repoussant qu’un vieux chien mouillé. Aussi, après avoir épuisé ce fugace instant, nous sommes allé trouver refuge sous un pont, sur la même route. Laissant nos sacs à sécher sur la chaussée, on continuait notre activité. Finalement, une première voiture s’arrêta. Tout sourire, j’allai parler à son chauffeur qui me dit : « Je ne vais pas à Memphis. Je ne connais pas votre histoire. Mais tenez. » Et il nous donne, comme à de jeunes mendiants, dix dollars en billets d’un. Sans plus d’explication, il reprend la route, nous laissant circonspect sur le bas côté. Après un nouveau quart d’heure de rien, arrive une voiture de flics avec à son bord un clone de l’officier Pepper. Il s’arrête juste devant nous et fait retentir sa petite sirène un coup pour mettre l’ambiance. Il descend de voiture et remonte sa ceinture au niveau de sa taille – probablement parce que le cliché de toute son apparence n’était pas encore complètement parfait pour lui.
Eh oui, vous avez bien lu. « Où sont vos bébés ! » Il faudra plusieurs longs instants enfermés à l’arrière du véhicule de l’officier Pepper pour comprendre le pourquoi de cette question absurde. Les nombreuses voitures qui avaient ignoré les jeunes et beaux auto-stoppeurs que nous étions avaient pris nos sacs ventraux pour des bébés que nous portions et avaient décidé d’appeler les forces de l’ordre et de la loi. Nous voilà donc embarqué dans la voiture de l’officier Pepper qui nous confie qu’il n’a jamais vu qui que se soit venant de « Franck » dans sa vie. Il nous explique alors qu’aux yeux de la loi du Mississippi, nous sommes des criminels.
Eh oui, si nous n’étions pas en train de commettre un crime en faisant du stop, nous en commettions un en faisant du stop avec une pancarte. Cela porte le doux nom de « Sign sollicitation », en gros demander des trucs avec une pancarte. Je résume, tendre le pouce au bord de la route : Ok, même si ça marche pas à Jackson. Tendre le pouce avec un panneau indiquant où vous voulez vous rendre : illégal. Tassé à l’arrière de la voiture de l’officier Pepper, à ce moment on ne rigole pas vraiment. J’ai vu les évadés et Oz, aussi je n’ai aucune envie d’expérimenter le système carcéral américain. Mais heureusement, l’officier Pepper avait en tête une scène digne d’un film de Sergio Leone. Il s’arrêta à la gare et nous dis :
On récupéra nos affaires en montrant la preuve d’achat du billet et monta à bord du train vers notre prochaine destination, pour ne plus jamais revenir.
Voilà pour l’exemple. Mais retenons tout de même, l’attente placide comme phénomène factuel de voyage. Vous n’êtes pas obligé de vous faire arrêter pour passer le temps. Un bon roman peut largement suffire. Dans notre cas, en plus du roman et de l’officier Pepper, nous avons connu de nombreuses situations où une attente c’est transformer en anecdote de voyage. Mais cela fera sûrement l’occasion d’une autre histoire.