Le bédéaste Mathieu Sapin croque Gérard Depardieu, qu'il a suivi dans ses pérégrinations à travers l'Europe.
Parallèlement à ce portrait de star, que M. Sapin a voulu moins superficiel qu'une photo dans "Gala" ou "Voici", le bédéaste avait réussi à pénétrer à l'Elysée pour y faire une sorte de reportage en BD. La double casquette de M. Sapin, au chevet de Hollande et de G. Depardieu simultanément, met un peu de piment dans une relation dont G. Depardieu ne comprend que trop bien la nature, étant sollicité en permanence pour diverses causes rarement désintéressées.
Depuis qu'il a protesté contre la surtaxation de ses revenus et manifesté sa sympathie pour V. Poutine, Depardieu est devenu un paria aux yeux des médias de gauche, qui le mettaient auparavant en avant comme les médias de droite mettent en avant Alain Delon. Différence notable, au contraire de Delon, Depardieu se moque complètement du cinéma, "métier qui rend con", dit-il.
Le reportage de M. Sapin à l'Elysée est aussi plat que Cabu pouvait se montrer caustique dans ses reportages dessinés. Ecrasé probablement par la signification symbolique du Palais de l'Elysée et de son occupant, gorgés de valeurs laïques et républicaines, M. Sapin avait produit un reportage plus digne de "Spirou" que de "Charlie-Hebdo".
M. Sapin s'en sort mieux avec le monument Depardieu, moins sinistre que le Palais de l'Elysée. Pour autant, Depardieu ne cache pas son amertume de vivre "dans une époque de cons", où "internet donne l'impression aux gens d'être plus intelligents". L'acteur espère d'ailleurs ne pas vivre au-delà de 75 ans, pensant avoir atteint à cet âge le maximum du dégoût de la vie.
La frénésie de voyages, de victuailles et liqueurs, de rencontres exotiques, sans doute sa sympathie pour Poutine aussi, à la tête d'un empire neuf, et non tout à fait comme F. Hollande d'une vieille administration hyper-rodée, tout cela cache un profond ennui que M. Sapin n'a pas trop de mal à découvrir. L'acteur cause beaucoup en effet, pour ne pas dire qu'il déblatère (ses ennuis médiatiques viennent de là), tant que l'on a peine à croire qu'il fut muet dans sa jeunesse (où son apparence physique le faisait prendre pour un idiot, dit-il).
Ce que la BD gagne en analyse, d'une star du cinéma petit à petit gagnée par l'amertume, et prisonnière de son statut plus qu'elle ne veut l'admettre, elle le perd en synthèse, art maîtrisé par les portraitistes officiels autrefois, au point de faire paraître encore vivants leurs sujets plusieurs siècles après leur mort. Quand le cinéma de Depardieu sera entièrement démodé (ne l'est-il pas déjà largement ?), qui voudra encore lire ce long soliloque illustré par M. Sapin ?
Cinq années dans les pattes de Depardieu, par Mathieu Sapin, éds Dargaud, 2017.