Lors de notre tour du monde nous avons passé trois mois à voyager au travers des États-Unis et un mois et demi au Canada. Pendant tout ce temps et tous ces kilomètres nous avons passé la majorité de nos nuits à dormir chez des gens. Tout d’abord par choix et par envie de rencontrer des gens et de partager de manière fugace leur vie et leur quotidien – après tout, la collecte d’histoires faisait partie de notre voyage – et puis nous voulions tout simplement découvrir le monde en découvrant les gens qui le peuplent. L’autre raison, était bassement économique. Sans l’aide et l’accueil offert par tous ces gens que nous avons rencontré, nous n’aurions jamais réussi à accomplir cette partie de notre voyage. Soyons honnêtes, les États-Unis et le Canada sont des pays chers pour les voyageurs. Que ce soient les logements, la nourriture ou certains transports, tout à un coût basé sur une certaine « qualité de vie et de service ». Nous découvrirons par la suite à quel point pour qualité et service égale ou supérieur, le coût est lui bien inférieur dans les pays asiatiques.
Nous avons été reçu par une famille qui voulait par ce biais permettre à leurs trois jeunes filles de découvrir des gens d’autres horizons, n’ayant pas les moyens eux-mêmes de les faire voyager. Nous avons eu la chance de faire la rencontre d’un charmant couple de plongeurs à Atlanta grâce à qui nous avons pu bénéficier d’une visite incroyable de l’aquarium se voyant ouvert des portes interdites au public. Nous avons passé quelques jours avec un homme de soixante dix ans qui voit dans le fait de recevoir de jeunes voyageurs chez lui, un moyen de rester jeune. Chez un militaire reconverti en homme d’affaire qui officie dans le monde belliqueux de la finance.
Si nous avons été reçu par des gens qui ne mangeaient que du fast food dans des restos de bord de route, ne faisaient que de la friture à la sauce barbecue et des burgers aux multiples tranches de cheddar fondu, nous avons aussi passé du temps chez de très fins gastronomes qui pour exemple possédaient leur propre four à bois dans le jardin pour cuire des pizzas et faisait des pâtes fraîches maison ou encore notre bon ami de San Fransisco avec qui nous sommes allés décrocher des moules sur les rochers balayés par les vagues de Sausalito et avons ramassé des champignons dans la Sequoia Forest pour en faire une belle omelette le soir venu.
Que ce soit aux États-Unis ou au Canada, il n’y a pas de règles qui définissent qui nous allons rencontrer et le comportement des personnes chez qui nous allons rester. Une croyance tenace veut que les Canadiens soient plus amicaux et ouverts que les Américains, mais nous avons eu des exemples du contraire. La réalité est qu’il faut lutter contre ces prétendues généralités et ces stéréotypes véhiculés trop souvent par des gens qui ne se sont pas aventurés bien loin de chez eux. Nous avons rencontré des gens discrets qui ne voulaient qu’uniquement offrir l’asile aux voyageurs loin de leur demeure, ou des gens expansifs qui voulaient nous faire découvrir leur vie, leur travail, leurs hobbies, leurs amis. Je me souviens de ce gars à Chicago que nous n’avons croisé que quelques secondes en quatre jours ou bien de cette jeune femme qui nous a recueilli à Medford et nous a emmené faire de la luge avec ses amis, puis dîner avec d’autres amis, puis le lendemain nous a conduit jusqu’à Crater Lake pour une randonnée en raquettes.
Il y a des gens qui nous faisaient nous sentir comme des membres de la famille, qui nous laissaient une chambre et une belle salle de bain, qui nous faisaient découvrir leur ville et ses environs et avaient à cœur de nous envoyer explorer dans la bonne direction et d’autres qui nous débarrassaient un coin très sale dans un sous-sol moisi ou une tente dans le jardin. Nous avons rarement connu de situation de malaise vis-à-vis des gens qui nous accueillaient. Ou plutôt si, nous en avons connu une.
Nous arrivions de Las Vegas où nous avions passé quelques jours à profiter de la folie de la ville, des shows, des buffets et autres divertissements n’impliquant pas forcément la perte de tout notre argent de voyage avec notre septuagénaire favori quand nous sommes arrivés à Los Angeles. Nous avions pris contact avec la personne chez qui nous devions rester via couchsurfing. Après quelques messages courtois, il nous avait envoyé un message disant qu’il avait hâte de nous rencontrer et qu’il serait ravi de nous donner des conseils sur la partie Chinoise de notre voyage. L’idée étant très intéressante et le jeune homme parfaitement avenant dans ses mails, nous étions déjà persuadés de passer un très bon moment dans sa ville. À notre arrivée, il n’était pas chez lui. Bon, ce n’est pas grave, ça peut arriver. Nous avons donc décidé d’aller se tanker dans un café pour l’attendre patiemment et en même temps lui faire savoir via l’internet que nous étions là. Deux heures plus tard, on recevait un message disant qu’il était chez lui depuis un moment déjà et qu’on pouvait venir. Arrivés sur le palier de son immeuble, on galère un peu avec son interphone avant de finir par tomber sur son appartement. Plus que de nous ouvrir, il nous dit de l’attendre en bas et qu’il vient nous chercher. Bon, OK, pourquoi pas. Arrive alors un jeune mec au visage bouffi et austère qui ouvre la porte sans un mot. Alors que sans un bonjour en réponse au notre, il nous tourne le dos, il nous conduit jusqu’à son antre. Là nous découvrons ce qui aurait été un très bel appartement, s’il n’avait pas été recouvert de crasse et de saloperies diverses. Il se pose face à l’îlot central de sa cuisine et nous fixe du regard sans mot dire. Pas de visite, ni d’introduction, même pas de « au fait, vous allez dormir là ». Rien. Pendant une heure on essaie désespérément d’entamer la conversation avec lui. Sur les conseils de voyage qu’il devait nous donner pour la Chine, il finit par nous dire qu’il n’y est jamais allé.
Après une heure d’angoisse et d’eau du robinet offerte dans des verres sales. On lui propose de regarder avec nous ce qu’on pourrait faire pendant notre séjour à Los Angeles. Après un hochement de tête de sa part, il part dans sa chambre en claquant la porte. L’ambiance étant déjà glaciale, je ne peux pas réellement dire qu’il venait de jeter un froid. On s’est donc posés dans un petit coin de la pièce et on a commencé à se dire à voix basses : « Non, mais… On ne va pas rester là. Il est bizarre quand même ce garçon. » On a statué sur le fait qu’il fallait lui donner sa chance et rester cette nuit car nous n’avions nul autre endroit où aller. Cette discussion passée, j’avais besoin de me soulager des verres d’eau que nous avions bu. C’est ainsi que je me retrouvais dans la pièce la plus flippante que j’ai, à ce jour, vue dans ma vie. Sous les taches murales de natures diverses, le dégueuli de dentifrice sur le lavabo, les flaques d’urines et les millions petits bouts de caca répandus partout devaient pourtant bien se trouver une salle de bain. La scène rappelait l’état des rues après le carnaval de mardi gras. A ceci près qu’en lieu et place des petits cotillons de papiers multicolores, on avait le droit à des petits bouts de caca tout sombres.
La décision de fuir est venue soudainement, ou peut-être pas. Peut-être était-elle implicite depuis le début, attendant une révélation dramatique de ce genre. Nous nous sommes aussitôt connectés sur couchsurfing, pour trouver un plan B d’urgence. La seconde personne qui nous avait invité à dormir chez elle était toujours disponible et par chance nous invita à venir le rencontrer le soir même. Maintenant, il faut préciser une chose. Nous sommes à ce moment dans un appartement de Pasadena, le quartier que nous voulons atteindre est Redondo Beach, compte tenu des services de transports en commun de Los Angeles, c’est une épopée de 4 heures qui s’annonçait. Il était 21h et nous n’étions sûrs que d’une chose, nous devions fuir.
Nous avons inventé une excuse bancale et nulle et avons quitté le personnage. Nous étions maintenant de nuit – 21 h 30 pour être exacte – dans LA et nous avions absolument tout misé sur le fait que c’était la bonne idée de partir à travers la ville pour trouver refuge chez un autre inconnu.
Dans les faits, tout s’est bien passé. Nous avons mis beaucoup de temps à traverser la ville, mais sommes arrivés chez un hôte des plus charmants. Ce qu’il faut cependant retenir, est que cette manière de voyager vous fait pénétrer le quotidien d’inconnus tous plus différents les uns que les autres. Pour ma part, et je pense pouvoir parler pour Zozo également, je ne regrette aucune de ces expériences. Précisons simplement qu’il faut toujours bien lire le profil des gens avant d’envoyer une demande pour être hébergé.
P.S. Les photos de nos « chambres » qui illustrent cet article ont toutes été prises par Zoé, ma moitié, qui est aussi l’illustratrice des Zozo Strips.