Une journée à temps plein

Publié le 11 mai 2017 par Jlk
 Chemin faisant (161) La belle après -midi. - Dit-on plutôt un bel après-midi ou une belle après-midi ? Cela se discute par rapport à la qualité particulière du moment vécu, plutôt masculin s'il est pris dans son acception temporelle ordinaire et plutôt féminin s'il est considéré comme un moment de grâce hors du temps. Or cette après midi aura été marquée par le double émerveillement que ne cessent de susciter et de ressusciter, en ce monde souvent terrifiant du fait de la mauvaiseté des hommes, l'innocente perfection de la beauté animale et l'incommensurable potentiel de valeur sensible ou spirituelle ajoutée qui se concentre dans une librairie. Le parc zoologique de San Diego est considéré comme l'un des plus beaux du monde, et c'est vrai que cet immense jardin d'Eden en pleine ville, cette jungle que survole un téléphérique aux nacelles bleues et dont on remonte des canyons à cascades par un tapis roulant entre volières géantes et savanes ou mangroves, sous l'œil implacable de l'aigle royal ou le regard plein de rêves flous du couple d'hippos immergés dans l'onde turquoise - c'est vrai que ce lieu évocateur de Genèse est incomparable à la fois par cette foison de présences immanentes et par le grand beau souci humain (révérence dans la foulée aux milliers de donateurs) de les préserver des massacres toujours en cours. Notre espèce saloparde assassine des bonobos. Ce n'est pas plus grave que d'exterminer des Indiens ou des Juifs, mais ce n'est pas bien.  Ce qui est bien est de tomber par hasard sur un petit livre noir et de lire en l'ouvrant ces vers sous le titre snowfall in Queens (chute de neige sur le quartier new yorkais de Queens), “oh, how the snowmakes the cemeterylook alive.” L'auteur est un jeune noir qui a pas mal galéré avant de tomber sur Samantha King, devenue la reine de son cœur. Il y a des milliers de livres dans cette magnifique librairie de South San Diego, mais il fallait que je tombe par hasard sur celui-ci comme je suis tombé un jour sur Lady L. et comme r.h. Sin est tombé sur Samantha, Dante sur la nymphette Béatrice et Pétrarque sur la teenager Laure, etc. La couturière et le justicier .- En fin de soirée la jeune femme, revenue de son heure de tricot avec les Espagnoles du quartier de Tierrasanta, façonne une robe de soie bleu ciel pour sa mère en train de regarder un épisode de son feuilleton de vampires à la télé.La jeune couturière est titulaire de deux diplômes de lettres espagnole et arabe et d'un certificat de bibliothécaire-archiviste, mais elle se consacre ces temps à deux autres activités complétant son besoin de réalisation physique et spirituelle, à savoir la grimpe et la méditation.Son conjoint, ce soir en mission professionnelle dans une mégapole du nord de l'Etat, lui envoie des mots doux sur Messenger et lui racontera tout à l'heure sa propre journée d'industrieux jeune homme au regard clair et ferme - et quel bel et bon couple cela fait en somme, me dis-je en suivant la chevauchée justicière de Steve Mac Queen sur mon laptop connecté à Netflix, retour à Nevada Smith dont j'aquarelle simultanément la Maison du crime à laquelle le héros a bouté le feu, etc.
 Lost boy. - Les rues de la ville-monde sont jonchées d'enfants perdus de tous les âges et tous ne tombent pas sur une Samantha ou sur un bienfaiteur de rencontre les aidant à affronter le poids du monde.Or ce matin-là, je me trouvais à cet endroit-là, au pied d'un poteau indicateur multi- directionnel me proposant toutes les destinations plus ou moins lointaines, à ma charge de sauter sur le prochain mustang ou dans l'avion programmé.Mais celui-là, mon frère ou mon fils gisant, peut-être camé ou pas, cousin du poète ou pas, mais rejeté sûrement comme des millions de nos semblables moins bien nourris que "nos" animaux d'agrément - celui-là resterait là sans trop savoir où aller faute de le pouvoir, juste bon à être décompté dans les laissés-pour-compte...