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Carnet de roman (12)

Publié le 12 mai 2017 par Claudel

Carnet de roman (12)

Le refus a eu lieu en février. Je n'ai pas repris la correction de façon intensive. Mais est-il toujours dans mon esprit? Oh! que oui. Surtout quand je lis certains livres.

Dans la biographie que Carlo Jansiti a écrite sur Violette Leduc il a dit qu'elle " était la somme de toutes les marginalités dérangeantes. [...] une œuvre inclassable qui, page après page, crie comme nulle autre, la solitude, le désespoir, la douleur d'exister. "

Oui, c'est ça, c'est en plein ça, c'est donc ça: il faut des mots forts, des mots dérangeants, des phrases-chocs, il faut des coups, des coups de poing, des coups de cœur, pour retenir l'attention d'un éditeur d'abord et peut-être des lecteurs ensuite.

Je ne dois pas crier assez fort, et je ne crie pas une douleur assez vive. Je ne dérange personne. Aujourd'hui pour que nos romans soient remarqués, reçoivent au moins une attention sympathique, il faut être marginal-e ou original-e ou souffrant-e. Ou en tout cas que notre œuvre le soit.

Je n'ai pas assez souffert ou je ne sais pas faire souffrir mes personnages. Il faut croire que j'ai réussi dans quelques-uns de mes livres, mais pas dans le dernier manuscrit refusé.

Même si j'ai pris de la distance avec ce texte, au sens où j'ai occupé et j'occupe encore mon esprit à d'autres activités, certaines d'entre elles tournent quand même un peu autour du livre, donc je ne décroche pas à cent pour cent. J'en suis toujours à ce constat. Je ne cherche pas la recette, mais au moins un filon.

On dirait que tant que je ne trouverai pas le titre, la ligne directrice ne sera pas claire. Pour l'éditeur, parce que pour moi, c'est limpide : je raconte la vie de Mireille et de Dominique dans les années 60-70. Et ça me suffit.

" Je n'ai pas d'imagination et je n'en aurai jamais. Alors j'écris ce que j'ai vécu. Je monte en épingle des petits drames devenus des riens avec les années " est-il aussi écrit dans la biographie de Violette Leduc.

Tout à fait mon cas. Mais je n'ai pas de Simone de Beauvoir pour leur trouver, à ces petits drames, une valeur ajoutée.

Peut-être devrais-je revoir mon manuscrit sous l'angle de la femme dans les années 1960. Non pas ce qu'il reste de sang irlandais dans les veines de mes deux personnages féminins, mais que sont devenues ces femmes, les descendantes de Bridget. Reprendre ce que j'écrivais déjà en 2006 :

Née fille, je suis donc femme d'une lignée zigzagante.
De quoi peuvent-elles être fières, ces femmes de ma lignée zigzagante? D'avoir peuplé le Québec? D'avoir choisi la langue française et depuis, de la cultiver, de l'aimer, de l'entretenir, de la défendre? De la choisir encore chaque jour? D'être citoyennes d'un pays qui les ont accueillies, nourries, instruites?
Ce sont des femmes qui ne parlent ni haut ni fort, qui ne veulent pas déranger ni se plaindre, qui ne revendiquent rien, mais qui disent la vie à leur façon, qui la donnent et la vivent de plus en plus longuement. Qui racontent la mémoire de leur mère, de leur père. Je suis de cette descendance, apportant à mon tour d'autres petites histoires qui s'inscrivent à peine dans la grande Histoire.
Les femmes de ma lignée sont fières de leurs enfants : de les avoir mis au monde, de les aimer. Moi qui n'en ai pas, je témoigne de leur fierté. Ma trace est de cet ordre.
Nourrie de toutes ces vies qui coulent dans mes veines, de tous ces savoirs dont il reste si peu, héritière de leur sang et de leurs pensées secrètes, j'ai tenté de les raconter avant qu'elles ne s'effacent pour toujours.

Autant le titre du premier tome est venu avant même la rédaction du roman, autant le titre du deuxième est venu rapidement en cours de rédaction, autant celui-ci change à chaque promenade.

Sur le petit kilomètre qui me sépare de mon village, j'ai parsemé des dizaines et des dizaines de titres:

Mère de, fille de, sœur de

J'aime bien Ressemblances, mais j'aurais voulu que le tome 3 porte le mot " têtes " pour indiquer qu'il est une sorte de suite aux deux autres. Peu importe l'éditeur. Pour le lecteur surtout.

Voilà où j'en suis. Avec une lenteur faite de distractions, de printemps occupé, de lectures captivantes, de tâches domestiques et de rêves de sorties, je retranscris les corrections préalablement faites à la main. Sans aucune garantie qu'elles répondent aux remarques de l'éditeur lors du second refus.

Et dans le doute permanent, dès que je relis le texte.

Prochaine étape, une fois une relecture, envoi à d'autres éditeurs.


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