Magazine Journal intime

Auguste Silice – Mai 1919

Publié le 29 avril 2017 par Christinedb

Voici le suite de la correspondance entre Auguste et Léopold

Lettre à en-tête du Royaume du Cambodge

Ministère des Beaux-Arts - Le Directeur de l' école des Arts Cambodgiens à M...

Auguste Silice – Mai 1919
Phnom-Penh le 26 mai 1919
Mon cher oncle,

Je reçois ce matin ta lettre du 7 avril et suis enchanté de te savoir rentré en possession de ta maison et pas abîmée, tu as dû avoir un petit frisson en y arrivant, mais je sais que je l'avais vue toute entière en 1916 quand nous sommes passés pour aller en Alsace et je t'assure que cela m'a fait quelque chose quand j'ai vu qu'elle était toujours là. Je suis content que les belles choses de Nancy soient toujours debout, cela m'est égal pour le reste mais je ne me serais pas consolé si les fontaines de plomb et les grilles de la place Stanislas avaient été démolies, pour les magasins réunis et la baraque de Majorelle, ils les rebâtiront et tout sera dit. Ce que tu me dis de Daum m'ennuie un peu car car j'ai besoin d'un service de verrerie mais je pense attendre encore que le fret soit baissé car le port me coûterai plus cher que le service.

Ce que tu me dis de la vie chère ne m'étonne pas car ici elle a augmenté aussi, et vous pouvez faire fusiller les accapareurs gouvernementaux car il a été interdit d'envoyer quoique ce soit d'Indochine en France en tant que riz, sucre, café, pâtes alimentaires. Je voulais t'en faire un colis et cela m'a été impossible, mais maintenant que c'est fini, je pense que les mesures ont étés

reportées, en tous cas je ne m'en suis plus occupé , mais puisque tu me dis que la vie est encore chère, je vais voir si on peut de nouveau faire partir des colis et je t'enverrai du riz et du sucre et des pâtes. Espérons que cela arrivera car les nouvelles de France reçues par ce courrier disent que les trains de Marseille pour l'intérieur sont rares et que les bagages et colis restent des semaines en souffrance. C'est gai et comment cela n'est pas mieux organisé ici nous avons moins de courrier que pendant la guerre et ils mettent plus de temps à venir, c'est à rien y comprendre.

Pour mon compte personnel, je suis très satisfait ici, je pense être nommé directeur définitivement à la fin de cette année, pour le moment je dirige les travaux et c'est tout à fait intéressant. J'ai 150 élèves et 40 ouvriers, sculpteurs, bijoutiers, fondeurs, tisseuses de Sampot et tout ce monde travaille dur, il n'y a pas eu à s'en occuper si ce n'est pour leur donner des modèles. Ici nous leur réapprenons leur ancienne tradition d'Angkor qu'ils ont presque oublié et quand ils auront une éducation classique cambodgienne, ils feront du nouveau car ce sont des artistes nés. Dans ce pays tout le monde est sculpteur, tous les instruments qui servent à la vie quotidienne sont ornés avec goût et quelque fois avec richesse et dans la campagne quand tu rencontres un objet fouillé dans une matière rare, une cuillère à riz faite dans un morceau de loupe par exemple on commence par refuser de la vendre car c'est la cuillère qui sert tous les jours et si tu t'informes de l'artiste qui a fait ce chef-d'œuvre pour lui en commander un semblable, c'est impossible car il n'a pas le temps, il est pêcheur ou chasseur de crocodiles ou d'éléphants et il n'est à la maison que quelques jours par an. On ne sait pas quand il reviendra et on ne se souvient à peine du jour où il est parti.

C'est un drôle de peuple, ils vivent de rien, ils pêchent du poisson, l'échangent au chinois qui le fait sécher pour du riz et un peu d'alcool, ce travail a duré une heure, le reste de la journée se passe à raccommoder les filets et le sampang (une autre heure) et puis dormir, jouer de la musique et se promener en chantant le long du fleuve avec des couronnes de jasmin sur la tête. C'est à peu près tout ce qu'ils font, il y en a quelques uns qui ont des besoins parce qu'ils ont vécu près des européens alors ils travaillent pour pour avoir de l'argent, mais ils sont peu.

Heureusement il y a les annamites et des chinois sans cela on ne sait pas ce que l'on deviendrait. Il n'y a que les choses d'art qui les intéressent vraiment et d'une façon continue les gosses qui sont à l'école travaillent pendant les repos et sont rentrés une heure avant l'heure fixée et tous les jours, j'ai sur ma table un bouquet de roses de Champa ou d'ylang-ylang, c'est très oriental, d'avoir un petit bouquet à la main et la grosseur du bouquet ou sa qualité est proportionnée à la situation sociale du porteur.


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