J'avais imaginé un voyage de retour plus gai, plein de couleurs à la façon de cette affiche. Je naviguai sur le Melbourne des Messageries Maritimes en janvier 1909.
Pas à pas, j'avançais vers elle, elle tenait par la main sa fille Huguette presque cachée dans ses jupes. Je n'étais plus qu'à un mètre d'elle et vit les larmes couler sur ses joues.
" Marie Alexandrine ? C'est bien vous? "
Elle se tourna vers moi surprise et essuya une larme avec le mouchoir brodé qu'elle serrait dans ses poings.
" Mais qui êtes-vous? d'où me connaissez vous? " " Je suis Christine, l'une de vos arrières petites filles, descendante de votre fils Maurice ". Ses larmes coulèrent à nouveau, ce n'était pas l'effet que je souhaitais,
je lui proposais de s'asseoir et que nous prenions le temps de parler.Je demandais à un serveur de lui apporter un verre d'eau.
Elle me raconte cette année 1908 qui commençait si bien.
" Je suis partie de Marseille début aout 1907 avec Huguette qui allait pouvoir fêter son 4eme anniversaire avec son père, mon cher Georges parti pour Madagascar pour un emploi de Bourrelier à Diego-Suarez. J'avais tellement hâte de le retrouver! Nous sommes arrivées ma fille et moi le 21 août, et Georges avait préparé un petit dessert avec une bougie pour Huguette toute intimidée devant son papa qu'elle n'avait pas vu depuis si longtemps.
Tellement heureux de nous retrouver, nous nous sommes aimés...
Je suis tombée enceinte... Pour la nouvelle année 1908 , nous nous sommes souhaité une belle année qui s'annonçait pleine de promesses, nous formions enfin une famille. Je faisais des travaux de couture pour les dames de Diego-Suarez tandis que mon ventre s'arrondissait.
Le matin du 17 avril 1908, les premières douleurs, et en fin de journée grâce à la sage-femme arrivée à temps, je tenais dans mes bras ma petite Jeanne. Georges est allé la déclarer à la mairie et en a profité pour reconnaitre Huguette, puisque n'étant pas mariés, ma grande portait mon nom Lolivray.
Oui, nous formions une vraie famille , et cela me faisait souvent penser à Maurice mon premier-né que je n'avais pas vu revoir depuis ses 4 ans.
Nous étions heureux, mais à la mi-août, Georges a attrapé les fièvres, il était tellement mal qu'il a été hospitalisé à l'hôpital d'Antisrane et il s'est éteint dans mes bras le 21 août. Pas un mot sur moi sur son acte de décès, puisque non mariés... seule le nom de sa femme pourtant décédée y figure "
Les larmes coulent à nouveau sur ses joues pâles... Mais elle reprend:
" Je devais me reprendre pour mes filles. Mais il était dit que cette année débutée dans l'espoir devait finir dans le malheur. Ma petite Jeanne, tomba à son tour dans les fièvres et malgré mes soins et ceux du médecin, elle mourut à son tour... "
Un sanglot se fit entendre, mais elle continua:
" Seule avec ma petite Huguette, si loin de mes parents je décidais de travailler le plus possible, pour rassembler l'argent nécessaire pour rentrer en France.
Me voilà donc sur ce bateau, je ne sais comment mes parents vont m'accueillir, vont-ils accepter d'héberger chez eux à Paris leur fille divorcée et mère célibataire?
Je ne sais ce que me réserve l'avenir... "
Son regard s'est à nouveau dirigé vers l'horizon... et je me suis éloignée pour la laisser avec ses souvenirs.
A vrai dire Je ne sais pas à quel moment est décédée la petite Jeanne ni à quel moment Marie Alexandrine Lolivray est rentrée en France....