Le macronisme a un faible pour les succès faciles qui laissent les ongles propres.
Par Ivan Rioufol
Le macronisme a un faible pour les succès faciles qui laissent les ongles propres.
La droite, ce canard sans tête, méritera sa défaite aux législatives. Comment suivre les Républicains? Les uns vont vers le parti présidentiel, les autres lui tournent le dos. L'incohérence était nichée dans l'union scellée, il y a quinze ans, entre européistes et souverainistes. Rien ne peut plus lier Alain Juppé et Laurent Wauquiez, après l'OPA "progressiste" d'Emmanuel Macron qui fascine le marais centriste et la droite honteuse. La faute des Républicains aura été de se rassurer sur leur précarité en contemplant le désastre du PS et l'amateurisme du FN. Une majorité absolue de députés est promise, le 18 juin, à La République en marche. Il sera alors urgent pour la droite éparpillée de se reconstruire autour d'un conservatisme libéral et social. Dans l'immédiat, un parti unique et consensuel se profile. Les médias envoûtés ont déjà sacré saint Macron "leader du monde libre". Mais cette régression angélique, qui ne conçoit ni le conflit ni la menace, aggrave l'infantilisation de la France endormie.
Il est révoltant, par exemple, d'entendre, lundi, Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, qualifier "d'assassins et de voyous" les trois djihadistes, dont deux Britanniques, qui ont pris Londres pour cible, samedi (8 morts, 50 blessés). Cette banalisation du terrorisme islamique, qui a visé trois fois la Grande-Bretagne en trois mois, est une berceuse. À quoi bon une "task force", présentée mercredi, si le pouvoir a peur de nommer l'ennemi? Quand Castaner ajoute que l'État islamique "trahit l'islam", le secrétaire d'État exonère les musulmans de tout esprit critique dans l'application des sourates guerrières par des fanatiques. Ce sont pourtant ces textes qui arment les tueurs. À Londres, après avoir écrasé des passants avec leur camionnette, les enragés en ont poignardé d'autres en hurlant: "C'est pour Allah!" Une fois de plus, les autorités musulmanes, là-bas comme en France, ont condamné les crimes sans appeler leur communauté à manifester massivement contre ceux qui tuent au nom de leur Dieu.
Le macronisme a un faible pour les succès faciles qui laissent les ongles propres. Mais il ne suffira pas au chef de l'État de faire voter une loi de moralisation de la vie publique (rebaptisée "Confiance dans la vie démocratique") ni d'imposer aux syndicats vermoulus son indispensable réforme du Code du travail pour convaincre de son autorité "jupitérienne". Rien n'est plus simple que de toiser Trump, en lui disputant son leadership mondial sur le climat. C'est ce qu'a fait habilement le président français après la décision de l'Américain de se retirer, vendredi dernier, des accords de Paris, conformément à sa promesse électorale. "La France s'est placée à l'avant-garde de la lutte contre le changement climatique", a déclaré Macron. Personne n'a d'ailleurs cherché à entendre, ni même à exposer sans parti pris, les arguments de Trump, bête noire de l'universalisme et de ses croyances. La surpopulation, qui menace la planète, plus encore que le CO2, n'est pas davantage un sujet abordable dans l'unanimisme planétaire. Cependant, batailler contre le climat est sans danger.
Le mépris élitiste que le camp du Bien déverse sur Trump est applaudi par ceux, innombrables, qui ne veulent voir dans ce personnage extravagant qu'un plouc devant qui il est aisé de se grandir. Pourtant ce qu'il dit est à entendre quand, après l'attentat de Londres, il tweete: "Nous devons en finir avec le politiquement correct et nous occuper de la sécurité de nos concitoyens." Lorsque, à Riyad (Arabie saoudite) le 21 mai, il lance à une trentaine de dirigeants de pays musulmans: "Chassez (les terroristes) de vos lieux de culte, de vos terres sacrées, de vos communautés et de vos territoires", il a le mérite de mettre les musulmans face à leurs responsabilités. Lundi, la réponse de l'Arabie saoudite, berceau du salafisme, a été de désigner le Qatar comme bouc émissaire de la haine islamiste. La dénonciation prête à sourire. Néanmoins, le petit émirat, partenaire privilégié de la France, a été aussi mis au ban par l'Égypte, Bahreïn et les Émirats arabes unis. Tous l'accusent, visant l'Iran, de soutenir le terrorisme d'al-Qaida, de l'État islamique et des Frères musulmans. Voici donc un démenti à tous les Castaner qui vont répétant que l'islam n'a rien à voir avec la violence. En France, les Frères musulmans ont pignon sur rue. Les islamistes y sont en terrain conquis. Le scandale crève les yeux.
Euphorique macronite
Avec la macronite, cet euphorisant qui fait marcher sur l'eau, le réveil collectif est repoussé à une date ultérieure. Si Macron doit mener un combat, c'est contre les idées reçues. Tout indique qu'il y est perméable. Le premier de ces jugements paresseux fait gober que le pays fait face à une simple délinquance, avec ses malfrats isolés et radicalisés in extremis. "C'est pour la Syrie!" a hurlé, mardi, un étudiant algérien qui a agressé au marteau un policier devant Notre-Dame de Paris avant d'être blessé par les forces de l'ordre. En réalité la France est le théâtre, avec l'islam politique, d'un choc des cultures qu'il faut nommer. Quand Macron se fait le porte-parole d'Amnesty pour interpeller Vladimir Poutine, à Versailles, sur la répression des homosexuels en Tchétchénie musulmane, il oublie de s'inquiéter de la condition des femmes, voire des gays, dans des cités françaises ou des quartiers de Paris. Ce déni est une lâcheté.
L'autre confort intellectuel est de croire, au nom de l'optimisme, que la guerre civile s'évitera en acceptant des compromis avec une idéologie conquérante. Theresa May, premier ministre britannique, a reconnu que son pays avait été trop complaisant, en laissant prêcher la haine djihadiste depuis trente ans. Un des tueurs du London Bridge avait étalé ses diatribes dans un reportage télévisé. En Grande-Bretagne, 23 000 personnes seraient liées à l'islam radical, ce qui fait une petite armée. Ni la société multiculturelle britannique ni la laïcité française ne satisferont ceux qui exigent le vivre ensemble et les droits de l'homme pour mieux les rejeter. Ces militants ne respectent que le rapport de force. C'est cette poigne que Macron devrait montrer, plutôt que de provoquer Trump ou se montrer en sauveur de la planète. La démocratie israélienne, qui affronte les mêmes ennemis, est l'exemple d'une efficace insoumission.
"In", "out"
La macronie divise la France en deux: les "in", qui ont tout compris, et les "out", ringards du vieux monde. Les élites ont gagné sur le peuple. Cet accident de l'histoire reste explosif.
IVAN RIOUFOL
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