Chroniques de La Désirade (15)Quand la serendipity se trouve relancée à côté du Bout du monde, chez Cedric Simon l'architecte apiculteur fou de livres. De Walden au mariage de l'ourse en passant par le rêveur Duval, la géniale Annie Dillard et le Zibaldone de Leopardi...Ceux qui tirent la gueule le lundi sont à plaindre et d'autant plus que c'est tous les jours qu'ils freinent à la montée avant de s'éclater d'ennui le week-end. Mais plus que les plaindre, on devrait les enterrer comme autant de morts-vivants, et comme ça fait du monde ça ferait de la place. Cette solution nous est suggérée par Philippe Claudel dans son dernier livre intitulé Inhumaines, que mon amie-Facebook par moi surnommée la belle Brabançonne m'avait recommandé, et sur lequel je suis tombé samedi dernier en découvrant la nouvelle bouquinerie de Cedric Simon, immédiatement avenant et aussi fou de livres que je le suis depuis l'âge de raison (donc ça va faire 60 ans mercredi), juste à côté du Bout du monde genre café bohème hors d'âge, et à l’enseigne de L’Imprudence.Le dernier Claudel me fait penser à du Reiser à la kalache ou à cette nouvelle de Bukowski où un couple de barjos se fait servir un morceau d'autostoppeur congelé dûment arrosé de bière. Dans Inhumaines, le mariage pour tous se fait avec des animaux domestiques ou sauvages (une ourse fait l'affaire en l'occurrence) et les SDF sont reclassés en fonction de leur potentiel commercial sur le marché de l'art; le problème de l'élimination des pauvres et des vieux est envisagé sans états d'âme, et quand un mec s'aperçoit qu'il n'a plus de queue c'est pour s'en réjouir vu que c'est un problème de moins et que Calvin Klein reste au top.Il ne m'a pas fallu 7 minutes pour découvrir, dans la nouvelle bouquinerie de Cedric Simon, une sorte de bibliothèque personnelle aux rayons propices à qui veut refaire son miel. Un premier regard sur la longue table d'accueil et pof, voici que je tombe sur le livre du rêveur Duval que je voulais justement commander la veille sur Amazon (shame !), au titre insolent (Et vous, faites-vous semblant d'exister ?) et à la préface engageante signée Denis Grozdanovitch, l'exemplaire tout neuf étant à 7 balles...Ensuite le Claudel, et le pavé mythique du plus glorieusement méconnu des trésors de savoir non aligné dont le titre, Zibaldone, annonce la nature de fourre-tout évoquant à la fois Montaigne et les modernes fragmentistes à la Cioran ou Ceronetti, etWalden de Thoreau l'auteur-fétiche d’Annie Dillard et bingo: Apprendre à parler à une pierre de celle-ci, non mais Monsieur Cedric vous voulez ma ruine ?C'est donc lundi et faut que je réponde un mot gentil à Dominique Bourgois qui m'a envoyé, pendant notre voyage aux States, deux nouveaux titre de Dillard parus en poche, m'annonçant dans la foulée que tout reparaîtrait sous cette forme. Or trouver, juste à côté du Bout du monde, un architecte (c'est sa profession) apiculteur fou de lecture connaissant Annie Dillard, m'a d'autant plus réjoui que jusque-là seuls l'artiste outsider Christine Sefolosha et ces autres fous de livres que sont le poète luxembourgeois Lambert Schlechter et le libraire genevois Claude Amstutz partageaient ma passion pour cet auteur également trop méconnu.Il est rare qu'une librairie soit à la fois l'émanation pour ainsi dire corporelle, ou le reflet de l'âme du ou de la libraire. Or il y avait de ça à La Pensée sauvage du regretté Philippe Jaussy, et c’est ce qui saisit illico dès la première visite de L’Imprudence, où je m’impatiente de me repointer imprudemment avant lundi prochain.Post Scriptum: L’Imprudence se trouve évidemment à Vevey (Suisse du sud-ouest), à 100 mètres des quais où voisinent les bustes de Gogol et Eminescu, autre cinglés notoires...