Magazine Journal intime

F. O. deux S. O

Publié le 28 juin 2017 par Stella

F. O. deux S. O

C’était mon ami et mon frère.

Fosso de Florence est mort le 19 juin 2017, il n’avait que 64 ans.

« F. O. deux S. O. », précisait-il à chaque fois dans les présentations, y compris auprès de ceux qu’il connaissait parfaitement bien. Et d’ajouter « de Florence, comme la ville ». Et je vous passe toutes les blagues à deux sesterces qu’il savait faire sur son patronyme si mystérieux.

Depuis combien de temps le connaissais-je ? Je ne saurais le dire, la date se perd dans la nuit des temps, et pourtant je me souviens parfaitement du jour où j’ai fait sa connaissance. C’était dans la rue, dans le 15ème arrondissement. Je venais de déjeuner avec un copain, nous marchions en direction du métro et nous sommes tombés sur lui… je ne vais pas dire « par hasard » car d’aucuns me rétorqueraient qu’il n’y a pas de hasard, alors disons « à l’improviste ». Les deux garçons ne s’étaient pas vus depuis un petit temps, ils se sont mis immédiatement à plaisanter et j’ai ri de leurs bêtises. Il faisait chaud, c’était le début de l’été. La gaité a été immédiate. Mon camarade et moi-même devions aller à un feu de la Saint-Jean quelques jours plus tard et tout naturellement, nous avons prié Fosso de se joindre à nous. Début d’une superbe amitié.

Fosso et moi fréquentions le même type d’association, quoique dans des lieux différents. Je ne pouvais pas lui rendre visite, mais je l’accueillais toujours chez moi avec grand plaisir et lui-même ne boudait pas son plaisir à venir participer à nos activités. Chaque hiver, nous faisons un grand dîner et chaque été, une fête champêtre. Rares sont les années où il n’est pas venu.

Au fil des ans, nous avions créé une extraordinaire complicité, faite d’humour et de jeux de mots, tout en restant très sérieux dans nos propos car nos travaux communs étaient avant tout culturels. J’aimais beaucoup ses interventions, toujours riches d’enseignement, notamment sur les traditions bantoues. Elles étaient aussi pleines de plaisanteries que j’étais parfois l’une des seules à comprendre. Du coup, j’avais fini par ne venir aux réunions que parce que je savais qu’il serait là. L’agitation intellectuelle qu’il savait susciter suffisait à me motiver lorsque, parfois, le froid et la fatigue du plein hiver étaient des plus décourageants.

Avec Fosso, il y avait toujours une occasion de rire. Je me souviens d’une fois où, à cause d’un pic de pollution, je n’avais pas pu prendre ma voiture pour me rendre jusqu’aux locaux de notre réunion. Et ce jour-là, comble de malchance, il fallait que j’emporte… un balai. « Qu’à cela ne tienne, me dit Fosso au téléphone, je serai chez toi à 18 h 30 et nous irons ensemble en métro. Je t’aiderai à tout porter… » Qu’est-ce que nous avons ri avec ce balai ! De vrais gosses !

Des anecdotes comme celle-là, j’en ai des dizaines en mémoire. Des histoires toutes bêtes, toutes simples et que certainement, ami lecteur, vous ne trouvez pas drôles du tout. Mais moi qui les ai vécues, dans ce climat de partage que Fosso savait mieux que personne faire régner autour de lui, je m’en souviens et… je pleure.

Oui, je pleure cet ami perdu. Celui dont l’expression favorite était : « … que du bonheur ! » Car c’était vrai, il avait du bonheur à être au milieu de ses contemporains, qu’ils soient parisiens, camerounais ou… walapücks à pois verts. C’est lui qui m’a appris combien précieuses peuvent être les minutes passées avec quelqu’un qu’on aime, même si ce sont les dernières. Je me souviens l’avoir dit à ceux qui étaient présents aux obsèques de mon oncle André et, surtout, de l’avoir vécu comme tel pendant les huit mois où je l’ai accompagné dans sa maladie et jusqu’à la dernière heure du dernier soir. Que du bonheur…

Alors à mon tour, je vous le dis, chers lecteurs : cela n’a été que du bonheur de connaître et de fréquenter Fosso. Jusque dans sa chambre de l’hôpital Cochin où, m’a-t-il murmuré avec son sourire malin, il attendait « le prochain transport »… Il est parti vers l’orient et je suis restée en Occident, mais chaque fois que le soleil se lèvera, je saurai qu’il revient pour me voir. Et chaque fois que je passerai un coup de balai quelque part, je ne manquerai pas de sourire.


Retour à La Une de Logo Paperblog