Tangentiel à la Roue du Nemeton belâbrais et perpendiculaire à l'axe Nesmes-Château-Guillaume, cet axe est balisé par Nesmes, Villesalem, Haims, Chapelle-Viviers, Cubord (chapelle priorale), La Chapelle-Morthemer et La Villedieu-du-Clain. Il semble exprimer l'élan chevaleresque vers l'Orient lumineux, où le Christ avait souffert sa Passion. Car Villesalem, Morthemer, c'est évidemment faire référence à la Terre Sainte, à Jérusalem et à la Mer Morte. Guy de Lusignan n'avait-il pas été brièvement roi de Jérusalem ? A la mort de Baudoin V, il avait hérité du trône grâce à son mariage avec Sybille, la soeur du roi, avant que son incompétence politique provoque le désastre de Hattin face à Saladin en 1187 et la reprise de Jérusalem par ce dernier.
Villesalem mérite un éclairage particulier. Ce prieuré, magnifique témoin de l'art roman poitevin, fut en effet fondé par Robert d'Arbrissel (vers 1047 - vers 1117) à partir d'un mas qu'on lui avait cédé en 1089. C'est à Fontevraud - autre monastère fondé par d'Arbrissel, qui donna son nom à l'Ordre -, que mourut le 31 mars 1204, à quatre-vingts passés, Aliénor d'Aquitaine. L'ordre accueillait à l'origine des communautés d'hommes et de femmes, placés sous l'autorité d'une abbesse. « Avec la recherche du symbolisme évangélique, commune à la plupart de ses contemporains, il [ Robert d'Arbrissel] vit surtout dans les femmes le sexe auquel appartenait la Vierge Marie. Voulant l'honorer en elles, il leur donna la supériorité sur les religieux ; la soumission des moines à l'abbesse devait rappeler celle que les apôtres témoignaient à Notre-Dame. »(Dom Beaunier, « Recueil historique des archevêchés, évêchés, abbayes et prieurés de France », 1906).
C'est la propre tante de Henri Plantagenêt, Mathilde d'Anjou, qui succéda en 1149 à Pétronille de Chemillé, la première abbesse de Fontevraud. Le lieu n'a pas été choisi au hasard des pérégrinations inlassables du fantasque religieux, parce que brusquement le concile de Poitiers, en 1100, l'a sommé de fixer sa troupe errante où - péché majeur aux yeux des légats du pape - se mêlent les hommes et les femmes. Il est patent que le choix du site est mûrement réfléchi : ce « désert » où il s'est retiré, ce « lieu inculte et âpre, plein d'épines et de buissons », ce vallon isolé de Fontevraud n'est rien moins qu'à la croisée de trois provinces, à la limite de l'évêché d'Angers et de l'archevêché de Tours, à l'extrême pointe septentrionale du diocèse de Poitiers. Offert par le seigneur Gauthier de Monsoreau, dont la fille a rejoint la communauté, il est aussi à une lieue de Candes Saint-Martin, au confluent de la Loire et de la Vienne, où le célèbre saint, nous l'avons vu, a rendu l'âme à Dieu.
Le choix de Villesalem relève d'un même souci stratégique : il s'agit là aussi d'un vallon isolé, avec présence d'une source (à Villesalem, elle est même à l'intérieur de l'église), et sa localisation là encore dans le diocèse de Poitiers coïncide avec une grande proximité avec les diocèses de Bourges et de Limoges. De même, sur un plan autre que religieux, c'est sa situation au carrefour de trois provinces qui vaut au hameau des Hérolles, à quinze kilomètres à vol d'oiseau de Villesalem, d'accueillir une des plus grandes foires de la région.
Villesalem (carte des diocèses du 18ème)
Et qui fait la loi en ce temps-là sur le Poitou ? Une vieille connaissance, le redouté Guillaume d'Aquitaine, troubadour et baroudeur. Guillaume qui s'était emparé à deux reprises de Toulouse, accompagné chaque fois par Robert d'Arbrissel. « Deux documents l’attestent, écrivait Marc Briand (site disparu), l’un en Juillet 1098 qui modifie les prérogatives de Saint-Sernin et le second, en 1114, concernant la fondation du prieuré de Lespinasse, au nord de Toulouse, tout de suite rattaché à Fontevrault. » Leurs signatures voisineraient sur plusieurs actes. « D’autres ont établi une corrélation entre Fontevrault et l’Amour courtois qui prend son essor à la même époque ; la place faite aux femmes par Robert d’Arbrissel qui voulait que l’abbesse ait aussi autorité sur les moines de l’ordre aurait eu une influence sur une littérature qui exalte la femme et son rôle dans la «fin’amor». Un lien de cause à effet est difficile à établir : que les différentes facettes d’une époque trouvent un style n’est pas extraordinaire. »Cette alliance entre deux trublions de l'époque laisse rêveur : poésie et géographie symbolique, architecture et politique, mythes et réalité se mêlent de façon inextricable, comme dans un de ces buisson d'épines en ces déserts aimés du breton. Sur le site de la ville de Lespinasse, je vérifie qu'en effet Robert d’Arbrissel reçut la forêt dite d’Espèse - qui s’étendait avec ses garrigues entre l’Hers et la Garonne - de Philippa, fille de Guillaume IV, Comte de Toulouse, et épouse en seconde noces de Guillaume IX Duc d’Aquitaine. On ajoute qu' elle prit le voile à Fontevraud et devint abbesse. Il faut se souvenir qu'elle fut répudiée par Guillaume au profit de la « Maubergeonne ». Autre exemple de l'accord bien senti entre Guillaume et Robert.
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Coïncidence de dates (et je jure que je n'ai rien fait pour synchroniser cet événement avec cette étude - sans la déambulation à Lignac, je n'aurai pas abordé de sitôt la géographie symbolique de Luzeret), il se trouve que ce week-end a lieu pour la première fois dans le village même la fête des Cabérioles, qui tous les deux ans, met à l'honneur théâtre, cirque, danse et musiques.