Le Chant du Cygne (3)

Publié le 13 juillet 2017 par Zebralefanzine @zebralefanzine

Petit feuilleton historique estival

Résurrection de Grünewald

A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.

Extrait de son Journal (Eds Kimé) :

27 Septembre (1902) : Grünewald. N'est-ce pas un des phénomènes les plus singuliers d'éclipse devant la postérité et l'ascendant de gloires ambiantes, que l'histoire de ce Mathias Grünewald disparaissant de la vie artistique de son pays pendant environ deux siècles pour augmenter de l'appoint, d'ailleurs si hétéroclite, de son oeuvre, la gloire, si grande qu'elle fut déjà, de contemporains tels que Holbein, Lucas Cranach et Dürer ?

N'est-ce pas un prodige tout à fait déconcertant qu'un génie aussi fort, aussi original et aussi voyant qu'était celui de Grünewald ait pu voir la presque totalité de son oeuvre changer graduellement et, tout à coup, formellement et totalement d'attribution pendant l'immense période de plusieurs générations et au point d'avoir failli en perdre, pour jamais peut-être, la paternité alors qu'elles n'avaient avec celles de ces devanciers que les quelques signes indéniables de l'origine teutonne commune bien que plus affirmés en elles, qu'en toutes autres.

A jamais ? Non pourtant : l'originalité si criante, la différence essentielle de ces oeuvres avec celles de Dürer et d'Holbein par exemple, tôt ou tard, devait produire la protestation et la révélation définitive d'un Joris-Karl Huysmans, d'un Emile Verhaeren et restituer à ce séquestré jusqu'à son nom véritable si digne d'être illustre à côté des plus illustres.

Mathias d'Aschaffenburg ou Mathias von Aschenburg devait, d'avatar en avatar nominaux, en revenir finalement à son nom primitif, désormais invariable de Mathias Grünewald, aujourd'hui si justement glorifié.

[A peine une trentaine de dessins de Mathias Grünewald (1480-1528) ont été conservés, la plupart d'entre eux étant des études préparatoires. Ci-contre, une tête-qui-rit.

Grünewald est passé à la postérité grâce au fameux retable d'Isenheim.

- Ci-dessous : Trois soldats par le jeune A. Dürer (1489), et un faune dessiné par L. Cranach.]