Sur la galerie arrière, devant moi, les grands efflanqués de pins rouges, maigres et longs de leurs 40 ans passés, mais qui, généreux et presque fraternels, accueillent à leurs pieds des framboisiers, des bleuetières, des mûriers qui donnent peu de fruits, et quelques feuillus adolescents qui réclament vie et avenir.
Sur la petite table à côté de moi attendent : tablette, liseuse, livres, cahier et plume.
Toujours hâte de lire
J'ai rarement hâte de laver l'auto, de balayer le plancher, même de préparer le souper. Encore moins de réparer le boyau d'arrosage, d'entretenir la piscine. Les jours sans lire sont à la limite des jours perdus.
Les jours derniers, j'ai volé un peu de temps au temps, j'ai expédié les " il faut " et j'ai lu deux livres. J'aime bien lire ce que les autres écrivains pensent de l'écriture pour découvrir pourquoi j'ai tant besoin d'écrire. Et tant besoin de lire.
La solitude de l'écrivain de fond, Daniel Grenier
" Parce que l'écrivain - le véritable écrivain de fiction - n'écrit pas pour dire ce qu'il pense et ce qu'il ressent, mais pour le découvrir. "
Un essai trop court où Daniel Grenier, auteur de L'année la plus longue, réfléchit sur son propre parcours tout en nous présentant Wright Morris, un auteur étatsunien (pourquoi on parle toujours d'Américain, je suis Américaine moi aussi) méconnu. " Si je parle de lui, c'est qu'il ne m'a jamais demandé le de faire ".
Comme une entrevue. Comme un documentaire où on n'entend pas l'interviewé. Daniel Grenier fait à la fois les questions et les réponses. Ils sont deux : le lecteur Grenier et l'auteur Morris. Deux qui auraient pu être correspondants ou amis. L'admirateur qui redonne vie à son mentor.
Grenier qui doute. Morris qui n'aura pas eu droit à la reconnaissance qu'il aurait pu connaître.
J'accroche sur le mot solipsisme. Je cherche, je trouve : doctrine affirmant que seuls existent pour le sujet pensant le moi et ses manifestations.
Petit vertige qui me ramène au temps où je lisais Anaïs Nin. Et plus récemment Annie Ernaux. Je n'aime pas lire ce qu'on dit parfois de ces auteures : " pathos larmoyant d'apitoiement nombriliste "
Ça me fait mal de lire pareil commentaire. Bien des lecteurs n'aiment pas que les personnages pleurent, chialent, grattent leurs plaies. Bref, cherchent à comprendre. J'ai peur parfois d'écrire, de publier, peur d'être blessée, qu'on ne m'aime pas. Peut-être que je préfère l'indifférence à l'antipathie.
" Au bout du compte, on ne sera peut-être le grand écrivain de personne ".
C'est quoi ce besoin de reconnaissance? Ce désir quasi-insatiable d'être important pour quelqu'un?
Je ne cherche plus autant de réponses qu'à trente ans, mais je me pose encore les questions.
L'écriture et la vie, Laurence Tardieu
" [...] puisque je ne sais rien trouver en ce qui concerne mon travail d'écriture, autrement que par l'écriture. Cela ne passe ni par la pensée, ni par l'imagination, ni par la conceptualisation. C'est l'écriture et seulement l'écriture, qui permet l'écriture, qui le révèle. "
Je transcris. Je note. Je ne réfléchis pas, je sens. Je m'identifie. Laurence Tardieu, une auteure française que je ne connaissais pas, n'a pas écrit depuis vingt-deux mois. On dit qu'elle écrit juste, mais elle voudrait maintenant écrit "vrai".
" [l'écriture] nous pousse vers le vrai. Dans la vie, on ne cesse de s'arranger avec nos misérables petits mensonges. "
Mais qu'est-ce que le vrai? Existe-t-il une vérité? Vais-je vers le vrai? Est-ce que je ne passe pas mon temps à me contenter de mes " misérables petits mensonges "? Est-ce donné à tout le monde d'avoir le besoin de dire le vrai? Elle donne l'exemple des livres d'Annie Ernaux nuançant ainsi entre vérité et réalité. La réalité est toujours teintée de mille nuances.
" L'auteur sait à quel moment, soudain, dans le travail, quelque chose existe. "
L'ai-je jamais su ou vu? Peut-être que rien n'existe dans mon travail?
" Le voilà, l'amour des lecteurs. Aussi Immense : ils croient. Ils croient parfois pour nus. Ils nous portent. "
Je m'obstine peut-être à vouloir faire publier mon dernier manuscrit parce que quelques lecteurs - dix? cinq? - y croient, l'attendent et me le disent. Et j'aimerais ne pas les décevoir.
" Question essentielle : la question du risque. La mise en danger. "
Pour être publiée, pour se faire remarquer, j'étais prête à cette mise en danger. Franchir des frontières, je veux bien. "Sortir de notre zone de confort" comme disent les jeunes apprentis de toutes sortes. Mais jusqu'où? Jusqu'à n'être plus soi-même? S'aventurer, je veux bien, explorer, se dépasser, toujours prête, mais tout en respectant qui je suis. Je n'écrirai pas n'importe quoi juste pour épater la galerie. Ou pour vendre. Ou pour être au goût du jour. Plus maintenant.
Et puis, je ne baisse pas les bras, mais je n'ai plus cette soif et cette faim qu'on a à trente ans, ce besoin de renouvellement qu'on a à quarante ans. Cette urgence qu'on a à cinquante ans. Est-ce à dire que je n'ai plus rien à dire? Que j'ai fait le tour? Non. Encore et toujours ce besoin de chercher, de découvrir, de comprendre.
Après - et même pendant- de telles lectures, j'aimerais bien disserter sur mon écriture : le besoin, le but, le sens. En parler aussi copieusement que les deux auteurs cités. Je n'aurai jamais, et je n'y tiens pas non plus, la verve et le vocabulaire de certains intellectuels, exemple Pierre Samson / Bertrand Laverdure dans Les lettres crues, un essai épistolaire sur l'écriture également, où les auteurs tirent allègrement sur tout ce qui s'écrit au Québec -- je ne voudrais pas être dans leur mire --, mais j'aimerais bien avoir un peu de souffle pour en parler plus longuement.
Donc, j'y reviendrai sûrement. Un jour de froidure quand les oiseaux ne chanteront plus.
Je vais les écouter pendant qu'ils s'égosillent sous les grands pins.
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