Petit feuilleton historique estival
Un Kilo de Reinettes
A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.
Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.
Extrait de son Journal (Eds Kimé) :
3 Août (1903) : (...) Puisque j'en suis à parler de M. Cézanne et que l'occasion rafraîchissante s'offre à moi
(...) Certaines natures mortes, par la fidélité très servile de leur rendu, font excuser la ridicule maladresse du technicien; mais ce qui est passable ou tolérable du moins dans l'interprétation d'un moutardier, d'un céleri ou d'une rave, d'une botte de radis ou d'asperges, ou d'un kilo de reinettes n'est absolument plus permis dès qu'il s'agit de la figure humaine, qui réclame, on en conviendra, une autre science et une autre psychologie.(...)
- H. de Groux et Cézanne ont en commun de revendiquer l'héritage de Delacroix. Mais, tandis que Cézanne aborde la peinture en mathématicien ou en mécanicien (rôle crucial de la perspective), H. de Groux adopte plutôt une démarche de lettré.
Cézanne prolonge la volonté de Delacroix de fusionner la peinture avec la musique, qui conduit à un système de représentation picturale plus uniforme (De Groux reproche à Cézanne de traiter la figure humaine sur le même plan qu'un pichet de terre cuite) ; le peintre belge, pour sa part, poursuit l'effort de Delacroix pour traiter de grands sujets dignes de l'esprit humain. Ils témoignent de la variété et de la complexité de l'art moderne.