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# 181/313 - Voilà donc comment ils reviennent, les morts

Publié le 31 juillet 2017 par Les Alluvions.com

Mardi 18 juillet, en Suisse, un couple disparu depuis soixante-quinze ans dans le massif des Diablerets a été retrouvé momifié dans les neiges du glacier de Tsanfleuron. La police a confirmé le lendemain l'identification des corps :

" Sur la base des comparaisons ADN effectuées par le médecin légiste en collaboration avec la police cantonale valaisanne et le ministère public, les dépouilles rendues par le glacier ont été formellement identifiées. Il s'agit de monsieur Marcelin Dumoulin et de son épouse Francine Dumoulin, âgés de 40 et 37 ans, disparus tragiquement le 15 août 1942. " (cf. Le Monde)


Le même jour, Jean Prod'hom poste sur son blog un billet intituléEric Chevillard et W.G. Sebald : the blades of grass, qui s'ouvre sur la reproduction d'un article du Matin daté du 23 juillet 1986, relatant la découverte semblable du corps d'un guide disparu en 1914 sur le glacier de l'Aar :

# 181/313 - Voilà donc comment ils reviennent, les morts


La photo un peu tronquée de cet article apparaît à la fin du premier récit du livre de Sebald, Les émigrants.

# 181/313 - Voilà donc comment ils reviennent, les morts


Jean Prod'hom écrit en post-scriptum de son article :

"J'apprends à l'instant que les corps rendus jeudi dernier par le glacier de Tsanfleuron ont été identifiés. Il s'agit d'un couple de Savièse (VS) disparu le 15 août 1942, Francine et Marcelin Dumoulin parents de sept enfants.
Francine et Marcelin se rendaient dans un alpage situé sur le territoire bernois. Monique sa fille se souvient de ce jour où elle vit pour la dernière fois son papa et sa maman, c'était le matin du 15 août 1942, le jour de l'Assomption. Ils lui ont donné la tâche de s'occuper de ses jeunes frères et soeurs avant de s'engager dans la vallée, à pied, elle avec son costume de l'époque, des bas noirs et des souliers cloutés, il faisait grand beau ce jour-là, un ciel bleu à n'en plus finir, son papa et sa maman sont partis en chantant, ils chantaient tout le temps. Lui avait une voix de ténor, il chantait n'importe quoi, Verdi, il chantait tout le temps.
La police valaisanne a découvert près de leurs corps un sac à dos, une montre et une bouteille. Un livre aussi, dont on n'a pas cru bon donner le titre. On a hâte de le connaître. Les Émigrants ?"

Cela m'a immédiatement donné envie de relire ce premier récit, Dr Henry Selwyn, le plus court des quatre qui composent Les émigrants. Récit qui s'ouvre sur la photo d'un cimetière de campagne que je suppose anglais, avec un très bel arbre s'étendant au milieu des dalles funéraires souvent penchées. C'est dire si la mort est déjà présente, alors même qu'aucun mot n'a encore été prononcé. D'ailleurs l'histoire d'Henry Selwyn ne sera pas abordée d'emblée de jeu : Sebald inaugure ici son art si singulier de la narration, que l'on peut qualifier de labyrinthique. Tout commence fin septembre 1970, où, peu avant de rejoindre son poste à Norwich, à l'est de l'Angleterre, il part avec Clara, sa femme ? sa compagne ? (on ne saura pas grand chose sur elle) pour Hingham, en quête d'un logement. La vaste place du village est vide et silencieuse mais la maison indiquée par l'agence est vite repérée :

"C'était l'une des plus grandes de l'endroit ; non loin de l'église entourée d'un cimetière gazonné planté d'ifs et de pins écossais, elle se cachait dans une rue tranquille derrière un mur à hauteur d'homme et un fourré inextricable de genévriers et de lauriers du Portugal."

Sans doute est-ce là le cimetière de la photo. Notez que la maison se cachait, derrière un mur et un fourré inextricable : c'est en quelque sorte le château de la Belle au Bois dormant. Sauf qu'il n'y a point de Belle, mais au bout du compte, après avoir suivi " un sentier moussu, plongé dans une ombre profonde", contemplé longuement une large perspective boisée donnant sur un horizon de champs cultivés et de gros nuages blancs, une silhouette immobile allongée sur le gazon dans la pénombre d'un grand cèdre :

"C'était un vieil homme qui soutenait sa tête sur son avant-bras replié et semblait abîmé dans le spectacle du petit carré de terre qu'il avait juste devant lui [...] Mais ce n'est que lorsque nous fûmes près de lui qu'il s'aperçut de notre présence et se redressa, quelque peu confus [...] I was counting the blades of grass, dit-il pour excuser sa distraction. It's a sort of pastime of mine. Rather irritating, I am afraid."

Deux jours plus tard, Sebald et sa compagne emménagent à Prior's Gate. J'y reviendrai demain.


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