Premier point, nous pouvons être rassurés, sa virtuosité n’emprunte en rien à une quelconque virtualité. Surtout quelconque.
Deuxième point que j’aurai dû mettre en premier, mais bon, je laisse comme ça : je n’ai pas forcément l’intention d’écrire un article objectif.
Troisième point, dans le genre préalable aussi : outre le supposé tortionnaire néo-bolchevique dont nous entendîmes déjà parler, et qui renforçait sur la scène l’effectif masculin déficitaire, il n’y avait en fait qu’un seul danseur ; ça nous a simplifié la tâche. Oui, à part les quelques danseuses qui s’y trouvaient aussi.
Quatrième point : je n’y connais rien en chorégraphie, et pratiquement rien en danse. Mais cela ne devrait pas m’empêcher d’aller au bout de mon propos : on voit assez de critiques en tous genres s’adonner à l’activité de critiquer dans des domaines où leur niveau de culture avoisine tout juste celui du protozoaire de base. Et je ne suis pas non plus biologiste, c’est dire la pertinence de cette comparaison.
Je me posais une question, tandis que le public bruyant s’installait encore alors que le spectacle avait commencé, tendance répétée après chacune des deux entractes, ce qui m’inspira d’inventer prochainement une machine à étêter munie de plusieurs lames, (mais je ne suis pas mécanicien), je me posais donc une question : est-ce qu’on a les jambes qui tremblent avant d’entrée en scène pour danser ? Un peu comme on a les cordes vocales qui tremblent avant d’entrer en scène pour chanter. Ce petit décrochage intérieur qui procède d’un abandon total de son soi connu, ou supposé tel, pour s’élancer à la conquête de son autre : quelques liens que la nécessité vitale oblige à entretenir habituellement entre les deux pour avancer jusqu’à la scène. J’imagine que la réponse est oui.
Donc il est danseur : cela ne fait aucun doute.
A quoi le reconnaître ? Au plaisir. Au plaisir évident avec lequel il danse. Aussi bien sur à ce que l’on peut repérer de quelques quantités sans doute pas négligeables de travail, oui. Mais voilà, à cette capacité de faire oublier le travail, dont nous n’avons rien à faire, le public est ainsi fait, et à nous montrer son plaisir. On y devine sa foi. Son désir. Son rêve. Son rêve sorti des limbes pour chercher les rêves d’autres qui y sont restés et qui, pour la plupart vont y demeurer. C’est un rêve esquissé. Qui se dessine. Je peux n’être que je, et avoir senti ses insatisfactions. C’est un rêve dont je sais les mots, et dont il était difficilement imaginable que je ne cherche pas à voir les pas, les gestes, les élans, les retenues, les maîtrises, les envolées. Dont il était trop tentant d’aller, en catimini, voir vivre l’enveloppe. La matière, le visage, le regard. Il y a une rareté qui consiste à se vivre assez intérieurement pour s’en animer extérieurement, et à réaliser cette alchimie du corps et de l’âme sans presque jamais sacrifier l’une à l’autre, et réciproquement. C’est ainsi, exister, d’une façon plus dense dans la cité.
Je ne puis croire personne qui, normalement constitué, ce qui est un abus de langage, n’espère pas que cet être-là grimpe aux étoiles. Au niveau lumière il y aura toujours une suffisante partie du monde qui s’en trouvera mieux éclairée. Et ça, ça n’a pas de prix.
Pris de court, ce qui m’arrive assez peu souvent, par l’ambition d’être juste, ce qui est un comble en matière de partialité, mais je veux dire par-là d’être assez simple pour que rien ne souffre ici d’une dithyrambie où s’égarerait je ne sais quels soupçons, je m’arrête à avoir dit cet essentiel qui me vient, là, tout de suite.
La petite photo de fin d’article n’a rien à voir avec le sujet, en apparence : cependant j’ai trouvé que cela pouvait opportunément illustrer cette forme humaine qui nous tient lieu de point de repère pour nous apparenter au même règne vivant ; et la force qui du dedans fait apparaître à la surface la vraie qualité d’être à laquelle chacun doit travailler comme à une forge, et comme en un jardin.
Comme je pense qu’il le fait.
Et que c’est beau à voir.
Merci.