"Dire "risquer sa vie", c'est être vivant dans "sa" propre vie et envisager cela comme un événement qui peut être catastrophique ou merveilleux, c'est-à-dire envisager la possibilité que la mort vienne l'enfouir, la recouvrir, la détourner d'elle-même ou de soi."
Anne Dufourmantelle, Eloge du risque, Payot, 2011.
La mort accidentelle de Anne Dufourmantelle continue d'émouvoir ceux qui l'ont bien connue. France-Culture, où elle intervenait régulièrement, lui consacre une page où il est possible de la réécouter, en particulier dans un entretien dont le thème ne peut apparaître que prémonitoire : "Pour qui, pour quoi risquer ou donner sa vie aujourd'hui ?"
Si sa disparition me frappe autant, c'est sans doute aussi parce que cette femme, que je n'ai jamais rencontrée, faut-il le préciser, fut à l'origine d'un travail semblable à celui-ci, mais qui reste, pour le moment tout au moins, totalement inédit, pour la bonne raison que le support en fut un carnet (Pantone universe 18-3949, bleu roi, pour être tout à fait précis) que je rédigeai entièrement au crayon de papier entre le lundi de Pâques, 6 avril 2015, et le jeudi 17 septembre de la même année. Il demeure sans lecteur à ce jour. Son titre est Carnets de l'attracteur étrange, 1 (car il en existe un second, mais encore inachevé, celui-ci), et sous-titré Rêves, labyrinthes et papillons. Rêves, parce qu'au principe de cette écriture, il y eut d'une part quelques rêves marquants, d'autre part un essai d'Anne Dufourmantelle, trouvé à la librairie La Poterne, à Bourges, en haut de la rue Moyenne. C'était Intelligence du rêve, sous-titré Fantasmes, apparition, inspiration, publié chez Payot en 2012. J'avais envie qu'un dialogue s'établisse avec ce livre, qu'il soit en quelque sorte un déclencheur d'écriture.
Dans cette période, je me souvenais aisément de mes rêves, et beaucoup étaient étonnants, complexes et énigmatiques. Une sorte de nostalgie m'étreint presque au souvenir de ces jours fermentés par la nuit. Car il n'en est pas de même depuis que j'ai commencé Heptalmanach, je continue de rêver certes, mais mes songes se dissolvent au réveil, comme une eau vite bue par le sable d'une plage, l'instant d'un souffle de vent. Aucun rêve à marquer d'une pierre blanche depuis plusieurs mois, enfin me semble-t-il. Sauf, curieusement, les deux derniers jours précédant l'affreuse nouvelle, et je me souviens m'être fait la remarque : tiens, les rêves reviennent. Mais sans y accorder plus d'importance que cela.
Je me souviens en particulier de ce rêve qui faillit être pénible. J'avais laissé ma voiture dans l'enceinte d'un château pour suivre je ne sais quelle manifestation. Seul, j'avais voulu ensuite la reprendre mais m'était perdu sur les sentiers qui ramenaient vers le bâtiment, pris de mauvais itinéraires, rebroussé chemin à plusieurs reprises. Et puis je m'étais souvenu que j'avais passé l'heure de fermeture et que j'allais être prisonnier tout le week-end de cette petite ville. Dépité, je frappe à la porte de ce qui apparaissait comme une maison de gardien, à l'orée du château. Personne ne répond, j'entre, j'erre dans les pièces de cette maison beaucoup plus grande à l'intérieur qu'elle ne le laissait supposer. Je finis par rencontrer deux personnes qui, loin de me considérer en intrus, se révèlent être possesseurs des clés du château. Je vais pouvoir partir et j'en reste presque incrédule, de cette chance inespérée. Ce qui aurait pu facilement tourner au cauchemar s'est résolu comme par miracle.
Je n'ai aucune signification à donner à ce rêve, je sais seulement qu'il advint ces jours derniers. Une clé m'était donnée pour récupérer mon bien.